17 février 1917 : 543 travailleurs chinois périssent en Méditerranée

De Histoire de Chine

Cet article est une contribution du Souvenir Français de Chine. → Visitez le site du Souvenir Français

rédigé par David Maurizot

En 1917, 543 Chinois périssaient dans un terrible naufrage en mer Méditerranée. Avec le temps, cette lourde tragédie a été oubliée et l’implication de la Chine dans la Première Guerre Mondiale est maintenant quasiment ignorée. Pourtant, ces hommes avaient quitté leur pays pour soutenir l’effort de guerre français. Revenons sur l’histoire aujourd’hui largement méconnue de cette catastrophe…

Les travailleurs chinois

Travailleurs chinois sur le pont d’un navire français pendant une traversée[1]

Dès 1915, la question de pallier au manque de bras dans les usines et dans les bases arrière des armées se posa pour les Alliés. La Chine, quant à elle, loin des préoccupations européennes, minée par des querelles internes et rabaissée par l’Empire nippon, ne voulait et ne pouvait pas s’engager militairement dans le conflit. Elle opta toutefois pour l’envoi de travailleurs en substitution à des effectifs armés : c’est la politique dite « Yigong daibing » (以工代兵 = le travail à la place des soldats).

Pour la France, un officier retraité des troupes coloniales, Georges Truptil, fut missionné afin de négocier les conditions d’emploi de ces travailleurs. L’arrangement est signé le 14 mai 1916 et fut le suivant : la partie chinoise, via une société dédiée, se chargeait des recrutements en Chine, tandis que la partie française gérait le transport et le séjour des travailleurs en France. Les embarquements auraient lieu depuis Tianjin, Qingdao, Pukou, Shanghai, Canton et Hong Kong.

C’est dans ce cadre qu’à partir de décembre 1916 cinq contingents de travailleurs chinois prennent successivement la mer depuis Hong Kong. L’un d’eux est composé de 734 hommes qui embarqueront dans un paquebot français : l’Athos.

Le torpillage de l’Athos

L’Athos, à son lancement en juillet 1914 : un paquebot à deux cheminées et de 160m de long[2]

Commandé en 1911 et lancé en 1914 au début du conflit mondial, L’Athos, navire des Messageries Maritimes, est immédiatement mis au service de l’effort de guerre. Après avoir servi comme navire-hôpital, il navigue plusieurs fois jusqu’en Indochine pour acheminer des bataillons de tirailleurs indochinois sur le théâtre de guerre européen.

Puis, fin 1916, après avoir effectué un long voyage de deux mois depuis le port de Marseille jusqu’à celui de Yokohama au Japon, il en repart le 26 décembre : sur sa route, Hong Kong, où il embarque le contingent de travailleurs chinois, puis Djibouti, où il embarque 850 tirailleurs africains. 2164 personnes sont alors à bord du navire.

Le 14 février 1917, après avoir passé le canal de Suez, il quitte Port Saïd et entre en mer Méditerranée. La campagne des U-Boote menée par l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie atteignait alors son paroxysme : les Alliés y subissaient des pertes considérables. Pour s’en prémunir, l’Athos est d’abord accompagné d’une escorte anglaise avant que, le 17 février, deux navires français prennent le relais : le Mameluck et le contre torpilleur Enseigne-Henry commandé par le lieutenant de vaisseau Marcel Traub qui laissera un témoignage détaillé du naufrage.

Alors que les trois navires se trouvent entre la Crête et Malte, à 12h27 exactement, le commandant de l’Enseigne-Henry entend « une explosion assez forte et un peu sourde » et « ayant immédiatement regardé l’Athos, je vis l’eau provenant de la gerbe due à l’explosion de la torpille s’écouler en nappe le long du bord. » L’Athos venait d’être pris pour cible par un sous-marin allemand U-65. Traub se dirige immédiatement et « à toute vitesse sur le point probable où se trouvait le sous-marin, prêt à mettre en action tous mes moyens effectifs : torpilles, grenades et canon » mais ne vit rien. « Après avoir couru pendant quelques minutes sur différents sillages dus probablement à l’Athos et à l’Enseigne-Henry, j’abandonnai la chasse et commençai les opérations de sauvetage. »

Le navire des Messageries Maritimes est malheureusement gravement touché à hauteur de la cloison étanche de séparation de la cambuse (magasins) et des machines : ces deux pièces sont envahies par l’eau quasi instantanément. L’Athos va alors sombrer en seulement 14 minutes.

Un terrible bilan

Illustration publiée à l’époque : L'Athos disparait tandis que les torpilleurs accourent pour tenter de sauver les survivants[3]

Le bilan définitif du naufrage de l’Athos recense 775 disparus, soit plus d’un tiers des personnes à bord. Parmi les victimes figurent le commandant Eugène Dorise qui « ne s’est jeté à l’eau qu’au dernier moment et est mort quelques instants après » mais aussi un officier mécanicien de quart nommé Donzel et un premier chauffeur nommé Cipriani qui se précipitèrent dans la chaufferie arrière pour empêcher les machines d’exploser et qui furent bloqués par la porte d’issue automatiquement verrouillée. Leur sacrifice permit d’éviter un drame encore plus important.

L’abandon du navire est ordonné trois minutes à peine après le torpillage. Les rares femmes et les enfants sont d’abord évacués, en bon ordre. Sept minutes supplémentaires s’écoulent avant que les radeaux de l’arrière soient tous mis à la mer et que les tirailleurs africains soient évacués. 109 restent toutefois à leur poste pour superviser la fin de l’évacuation. Ils mourront tous.

Car, les radeaux à destination des ouvriers chinois auront malheureusement le plus grand mal à être utilisés convenablement : malgré les injonctions de l’équipage et des tirailleurs, les travailleurs – totalement inconscient des choses de la mer – ne réalisent pas l’imminence du danger. Après un long moment d’apathie, où certains ont toutefois eu le temps d’aller piller des cabines abandonnées, ils se ruent à la dernière minute et de façon désordonnée vers les embarcations de secours. Il est alors trop tard. L’Athos s’enfonce rapidement par l’arrière, un instant plus tard la proue du navire se dresse presque à la verticale, s’enfonce et disparaît. Ceux qui le peuvent encore se jettent à la mer : mais la température de la Méditerranée au mois de février est sans pitié. 543 Chinois périssent ainsi.

Le lendemain, 18 février, 1389 rescapés sont recensés. Parmi eux, seulement 191 des 734 travailleurs chinois embarqués à Hong Kong.

Sources

Notes

  1. Excelsior, n°2387, 29 mai 1917, page 6
  2. © Collection particulière d’Andreas Hoppe
  3. © Collection particulière de X. Escallier