André Travert : un diplomate amoureux de la Chine et de Hong Kong

De Histoire de Chine

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rédigé par Christian Ramage

André Travert occupe une place particulière parmi les diplomates français affectés à Hong Kong au cours du XXe siècle. Passionné par la Chine, où il séjourna longtemps, il effectua deux séjours à Hong Kong, à 30 ans de distance et y fut consul, après avoir été ambassadeur en Malaisie.

André Travert en 1945, lors de son entrée au ministère des Affaires étrangères[1]

André Travert est né à Nantes le 24 mars 1921. Après des études de droit à Paris, il est diplômé en novembre 1943 de l’Ecole du Louvre (arts de l’Asie) puis en juin 1944 de Langues O’ (chinois). L’étudiant sérieux est aussi un combattant de la Résistance, engagé auprès du Service de renseignement franco-britannique et au sein de l’Organisation de résistance de l’armée (ORA), sous les ordres du général Revers. Il sert à l’état-major central de Paris de janvier 1943 à mai 1944. Il est contraint, du fait de ses activités clandestines, de se cacher pendant un temps chez Paul Demiéville, célèbre sinologue, titulaire de la chaire de langue et littérature chinoise au Collège de France. André Travert participe aux combats de la libération de Paris et reçoit plusieurs distinctions pour sa conduite courageuse dans la Résistance. Il est cité le 6 août 1945 à l’ordre de sa division :

« Jeune agent de liaison plein d’ardeur, de sang-froid et de courage. Après avoir travaillé pour l’état-major central de l’ORA à Paris pendant près de six mois, a été détaché à l’état-major d’une région FFI à partir de mai 1944. A accompli dans ces deux affectations de nombreuses missions périlleuses. Arrêté au cours de l’une d’elles, le 13 juin 1944 par la « Feldgendarmerie » à Sens, a subi un interrogatoire pénible et a réussi par son sang-froid et son courage à se faire relâcher sans avoir rien révélé de son activité. »

Après la guerre, le jeune diplômé intègre le ministère des Affaires étrangères et y entame une vie professionnelle consacrée à l’Asie mais surtout à la Chine, pour laquelle il voue une véritable passion et où il effectue une grande partie de sa carrière diplomatique. André Travert est affecté en mars 1946 à l’ambassade de France à Chongqing, comme « secrétaire d’Extrême-Orient de 3e classe », puis en mars 1948 à Nankin comme « secrétaire d’Extrème-Orient, archiviste ». Il assiste dans cette ville, aux côtés du lieutenant-colonel Jacques Guillermaz, attaché militaire, à la chute du gouvernement nationaliste chinois et à la victoire communiste. Il rejoint alors la délégation de l’ambassade de France à Canton mais, après la prise de la ville par l’Armée Populaire de Libération, la délégation doit se replier sur Hong Kong.

Après la dissolution de la délégation, André Travert est maintenu à Hong Kong. Il y commence, le 1er septembre 1950, sa première affectation dans la colonie, qui durera dix ans, comme « chargé par intérim des fonctions de secrétaire d’Extrème-Orient archiviste au consulat de France » (il est titularisé sur son emploi le 1er juin 1951). Le 20 février 1951, André Travert épouse au consulat Mlle Kouei Sieou-tsing Suzanne, originaire de Suzhou, près de Nankin, avec pour témoin le lieutenant-colonel Guillermaz, également affecté auprès du consulat de France, comme attaché militaire. Les deux amis font alors partie des premiers « China watchers », ces observateurs et ces analystes qui, pendant des décennies, suivront l’évolution politique de la Chine à partir de Hong Kong. Jacques Guillermaz souligne la perspicacité de son compère, cet amoureux de la Chine qui « en est aussi un critique impitoyable, et pas seulement de son régime. Il réagit aux évènements et aux gens avec fougue, s’engage à fond, et ses jugements cinglants ou ironiques sont souvent empreints d’un humour glacé. Mais ses dépêches diplomatiques sont des modèles d’analyses lucides et sereines ». En février 1952, André Travert reçoit ainsi les félicitations du ministère des Affaires étrangères pour son rapport sur « la situation en Chine en 1951 ». Ses notes, ses dépêches et ses télégrammes sont lus au plus haut niveau. Edgar Faure, dans ses « Mémoires », rend ainsi hommage à la qualité des « excellents rapports d’André Travers » (le nom est écrit avec un « s » et non un « t » final), dont il loue « la force d’analyse, le don de la synthèse et la capacité d’exposition ». Sous la IVe République, en tant que président du Conseil, ministre, député et président de la commission des Affaires étrangères, Edgard Faure a en effet accès aux analyses d’André Travert, quand celui-ci est en poste à Hong Kong. Les deux hommes se rencontrent d’ailleurs en 1957, lors du premier voyage en Chine d’Edgar Faure, entrepris à partir de la colonie anglaise.

André Travert demeure en poste à Hong Kong jusqu’au 1er avril 1959, date à laquelle il quitte le consulat pour rejoindre à Paris son affectation en administration centrale, à la direction d’Asie et d’Océanie, section « Chine ». Pendant son séjour au Quai d’Orsay, de 1959 à 1965, André Travert continue d’apporter aux décideurs politiques son expérience et sa connaissance approfondie de la Chine. Et, quand Edgar Faure effectue en 1963 un voyage officieux à Pékin afin de préparer la reconnaissance de la République Populaire de Chine par la France, il utilise les notes rédigées par André Travert à la direction d’Asie du ministère des Affaires étrangères : « ses travaux me furent d’une grande utilité lors de mes voyages en Chine » écrit dans ses Mémoires celui qui était alors sénateur du Jura.

Le 10 mars 1965, André Travert repart en Asie mais pour le Japon et Kobé, où il est nommé consul général. La même année, Jacques Guillermaz rend visite à Kobé à son ami « qui idolâtre la Chine » et qui « se morfond à délivrer des documents de commerce et de navigation ». Son « désir de Chine » le démange mais, dans une lettre à Etienne Manac’h, directeur d’Asie-Océanie, en date du 20 décembre 1967, André Travert précise que « des considérations d’ordre personnel et familial dont je ne conteste en aucune manière le bien-fondé s’opposent, comme vous le savez, à mon affectation à Pékin. (Au surplus, je me sens trop attaché à la culture classique chinoise pour pouvoir assister avec un serein détachement au spectacle quotidien de sa destruction systématique, à mon sens injustifiée, et malheureusement irréversible) ». Aussi André Travert demande-t-il à être affecté à Tokyo, où il prend ses fonctions le 2 juillet 1968, comme conseiller d’ambassade. Mais la nostalgie de la Chine demeure la plus forte et, à défaut de pouvoir être affecté à Pékin, André Travert songe de nouveau à Hong Kong. Il adresse donc le 26 janvier 1970 une lettre personnelle à Jean Batbedat, directeur du personnel du ministère des Affaires étrangères, dans laquelle il postule pour l’emploi de consul général à Hong Kong :

« Je ne pense pas pêcher par excès de présomption en m’estimant qualifié pour occuper ce poste. En effet : 1) je connais bien Hong Kong où j’ai déjà effectué un long séjour et où j’ai conservé d’excellentes relations, 2) j’ai entretenu ma connaissance de la langue chinoise et n’ai jamais cessé de suivre de près les questions chinoises, 3) j’ai acquis en trois ans de séjour à Kobé, une bonne expérience des questions consulaires. »

Malgré ces arguments convaincants, c’est à… New York qu’André Travert est nommé en septembre 1972, comme conseiller d’ambassade à la Mission permanente de la France auprès des Nations Unies. Le Représentant permanent, Louis de Guiringaud, ancien ambassadeur au Japon, souhaite en effet avoir auprès de lui ce fin diplomate, qu’il connaît bien et expert reconnu de la Chine, afin de pouvoir négocier au Conseil de Sécurité avec les diplomates chinois. La Chine Populaire vient en effet de prendre sa place aux Nations Unies, à la place de Taïwan. Mais, aux dires d’un témoin de l’époque, André Travert s’ennuie quelque peu aux Nations Unies et apprécie modérément les plaisirs de la diplomatie multilatérale : « il trouve le travail trop abstrait, bureaucratique, artificiel, et placé sur un terrain trop idéologique » commente ainsi Richard Duqué, qui fut son binôme au sein de la Mission française. André Travert retrouve à New York son ami Patrick Nothomb, Représentant permanent de la Belgique auprès des Nations Unies, connu au Japon quand le père… d’Amélie Nothomb était consul de Belgique à Osaka. Après ce court intermède hors de sa zone de prédilection, André Travert revient en Asie en avril 1976, comme premier conseiller auprès de l’ambassade de France à Jakarta. Puis, après deux années et demi à ce poste, il est nommé en 1978 ambassadeur de France en Malaisie, où il est en fonctions jusqu’en décembre 1981.

[2]

Début 1982, André Travert, toujours aussi passionné par la Chine et désireux d’y revenir en poste, sollicite de nouveau une affectation à Hong Kong, comme consul général, alors qu’il vient d’effectuer une mission comme ambassadeur. Il écrit une lettre personnelle à Jean-Pierre Cabouat, directeur du Personnel :

« Il me revient de plusieurs parts que l’ambassade de Singapour aurait été promise, au départ à la retraite de M. Chollet, à M. Georges Egal. Si cette information était exacte, je me porterais sur les rangs pour la succession de M. Egal à Hong Kong. Je crois avoir les qualifications requises pour ce poste où j’ai servi dix ans à une époque où nous n’avions pas encore établi de relations diplomatiques avec Pékin et où l’observation de la Chine se faisait à partir de Hong Kong. J’ai gardé de nombreux amis dans cette ville. Je parle, lis et écris couramment le chinois. Certes, il est assez inusité de solliciter un consulat, fût-il général, après avoir occupé un poste d’ambassadeur. Mais cet ordre de considérations est pour moi secondaire, et je ne souffrirais pas outre mesure d’une telle « diminutio capitis ». Je vous prie donc de bien vouloir considérer cet acte de candidature comme sérieux et sincère. »

André Travert obtient enfin gain de cause et est nommé le 14 mai 1982 consul général de France à Hong Kong. Il y demeure jusqu’au 11 juin 1985, puis, après un bref retour à Paris, il rejoint sa dernière affectation à Taiwan, comme responsable de la représentation française à Taipeh. Le 25 mars 1987, André Travert prend sa retraite et achève, sur cette terre de Chine qu’il a tant aimée, sa longue carrière diplomatique.

Sources

  • Je remercie Liliane Travert pour les informations précieuses qu’elle m’a communiquées sur son père
  • Témoignages : Richard Duqué, Nicolas Chapuis
  • Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris, dossiers « Personnels »
  • Edgar Faure, « Mémoires »,  Tome I, « Avoir toujours raison, c’est un grand tort », Plon, 1982
  • Jacques Guillermaz, « Une vie pour la Chine, mémoires 1937-1989 », deuxième édition, 1993. Pluriel, Robert Laffont

Crédits

  1. Archives du ministère des Affaires étrangères, dossiers "Personnels", Paris
  2. Cassam Gooldjarry