Entretien : Le professeur Pinol et son travail sur Jacquinot

De Histoire de Chine

rédigé par David Maurizot

Le sujet du Père Jacquinot, ce jésuite français qui créa un havre de paix lors de la Bataille de Shanghai en 1937 par l’établissement d’une zone de protection des civils qui prit son nom, est cher à la Société d’Histoire des Français de Chine.

Le Père Robert Jacquinot de Besanges à Shanghai en 1937

Si des biographies en chinois et en anglais ont déjà été publiées sur ce personnage historique fascinant et qui fit en son temps les unes de la presse locale et internationale, aucun historien français ne s’était lancé dans la recherche et la rédaction d’un ouvrage portant sur Robert Jacquinot de Besange. Cet oubli est en passe d’être corrigé grâce au travail du professeur Jean-Luc Pinol – un proche ami de la Société d’Histoire.

C’est avec un immense plaisir que nous partageons avec vous les réponses aux questions que nous lui avons récemment posées.

Comment avez-vous croisé l’histoire du Père Jacquinot ?

Le professeur Jean-Luc Pinol

Il y a quelques années, au cours d’un échange universitaire, j’avais participé à une journée d’étude sur les réfugiés à l’Alliance Française de Shanghai : Jacquinot avait été mentionné de nombreuses fois et je me suis dit qu’il y avait sans doute un lien avec l’Amiral Le Bigot, commandant des forces navales françaises d’Extrême-Orient à l’époque, sur lequel j’avais vu une exposition en France.

Comment votre recherche s’est-elle ensuite développée ?

De retour en France, je suis ensuite allé aux archives de Vincennes [archives historiques de la Défense] et j’ai trouvé un témoignage oral qui faisait état des relations entre Le Bigot et Jacquinot. J’ai donc continué mes recherches et je me suis ensuite intéressé à l’espace dans lequel se déroulait tout cela : je me suis alors rendu compte qu’un jeune artiste, dont l’atelier était juste à côté de l’Eglise où officiait Jacquinot, l’Eglise Saint-Pierre, était le fameux petit Tchang du Lotus Bleu, Zhang Chongren. J’ai alors trouvé des liens entre ce personnage et Jacquinot.

C’est alors, lors d’une conférence académique à Shanghai en 2017 – pour les 80 ans de la Zone Jacquinot – que vous avez présenté le résultat de ces premières recherches ?

En effet. J’avais failli ne pas la faire parce que je pensais que j’enfonçais des portes ouvertes avec mes travaux sur Le Bigot, Zhang Chongren, etc. Mais pas du tout ! Du coup, j’ai essayé d’en faire un article, qui n’est pas paru, et je me suis donc décidé à en faire un livre.

Au fur et à mesure que je cherchais des éléments, j’avais l’impression qu’à partir de quelques petits fils je remontais toute une série de choses particulièrement intéressantes et très souvent ignorées – en particulier en France, où Jacquinot est totalement inconnu.

J’en ai alors parlé autour de moi et des gens de l’Université de Lyon ont trouvé ce sujet passionnant. J’ai ainsi eu quelques financements. J’ai aussi rencontré Sébastien Cassen, qui a fait le documentaire « Le Samaritain de Shanghai » sur Jacquinot [diffusé sur KTO il y a quelques mois] et c’est ainsi que les choses se sont enclenchées. J’ai aujourd’hui un contrat avec les éditions Odile Jacob pour publier une biographie.

Le professeur Jean-Luc Pinol avec Sébastien Cassen et Florent Coulon (réalisateur et producteur du documentaire "Le Samaritain de Shanghai")

Où en êtes-vous dans la rédaction de votre ouvrage ?

La pandémie ne m’a pas aidé : de nombreuses sources que j’escomptais pouvoir consulter ne sont en ce moment pas accessibles. J’utilise donc des ressources électroniques, en attendant. Heureusement, j’avais pu rassembler beaucoup d’éléments lors de mon dernier passage à Shanghai en septembre 2019 et auparavant en novembre-décembre 2018.

Quelles sont vos sources ?

Les sources sont très diverses. On trouve des sources à Shanghai bien évidemment. Dans la presse en particulier : j’ai beaucoup utilisé la base de données ProQuest de la Bibliothèque de Shanghai et aussi le Shenbao que des étudiants m’ont aidé à utiliser sur les serveurs de l’ECNU. Côté presse, il y a également les bases de données de la BnF en France, de la British Library, et de la Bibliothèque du Congrès à Washington ou même les quotidiens et magazines australiens.

J’ai aussi pu utiliser état-civil et recensements pour reconstituer le milieu familial dont est issu Jacquinot, et les sources qui sont aux archives de la Défense de Vincennes et aux archives diplomatiques de Nantes. Je suis également allé à Genève pour consulter les archives de la Croix-Rouge. Les archives des Jésuites à Rome et les archives du Vatican sont celles que je n’ai pas pu encore consulter.

Heureusement, j’ai pu consulter les archives jésuites de la Province de France qui se trouvent à Vanves en banlieue parisienne où un dossier Jacquinot a été constitué. Mais il est important de pouvoir sortir de ce dossier Jacquinot car certaines archives qui le concernent directement ou indirectement n’y sont pas présentes comme par exemple ce qui concerne Notre-Dame de Bon Secours à Brest – il était dans la même classe que Victor Segalen.

Quand pensez-vous finir votre ouvrage ?

Malheureusement pour les raisons mentionnées plus haut, la rédaction est beaucoup moins rapide que je n’escomptais. J’aurais initialement dû rendre mon manuscrit au mois de janvier 2021… A mon avis, l’ouvrage ne devrait pas paraître avant 2022.

Cela dit, nous préparons une exposition avec le Centre Sèvres [Faculté jésuites de Paris] et avec l’Université de Lyon qui devrait, si nous pouvons l’organiser, permettre la publication d’un catalogue collectif dans le courant de l’année 2021. Il n’est pas impossible qu’il soit co-édité par le MAE [Ministère des Affaires étrangères] et par les Presses universitaires de Rennes.

La Société d’Histoire des Français de Chine vous tiendra au courant de ces derniers développements. En attendant, n’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez rejoindre le « groupe de travail » qui aide localement et ponctuellement le professeur Pinol qui ne peut évidemment plus se déplacer jusqu’à Shanghai (vérification de certaines sources, etc.).

Le sujet du Père Jacquinot, ce jésuite français qui créa un havre de paix lors de la Bataille de Shanghai en 1937 par l’établissement d’une zone de protection des civils qui prit son nom, est cher à la Société d’Histoire des Français de Chine.