Henri Metz et le British Museum

De Histoire de Chine

rédigé par Philippe Fourneraut (ECP 1988), ancien Président des Centraliens de Chine

Certains Centraliens laissent une trace dans l’histoire par leur réalisations techniques, d’autres pour leur esprit d’entreprise… et certains ont une fibre plus culturelle et lèguent une œuvre littéraire ou artistique. C’est le cas d’Henri Metz (ECP 1902), ingénieur en chef de la Municipalité française de Tientsin (Tianjin) et amateur éclairé d’antiquités chinoises.

Le dossier de l’élève Metz nous révèle que son parcours scolaire fut difficile. Entré en 1898 127e sur 240 en première année, il la termine à une piètre 205e place[1]. On notera au passage son 11 de moyenne en géologie/minéralogie suivi d’un 15 aux examens généraux.

« 11 Avril : Avertissement, au nom du Conseil, pour la médiocrité de ses notes. On prévient sa famille ».

Ce courrier et les avertissements suivants ont dû être adressés à son père. Celui-ci, qualifié de commerçant dans le dossier, est tailleur à Berzieux, un village d’un peu plus de 200 âmes, non loin de Sainte Menehould, ville célèbre depuis que Louis XVI y fut reconnu le 21 juin 1791, lors de sa fuite. [Mathias,] Henri y est né au domicile familial le 17 octobre 1875. Son enfance se déroule donc dans la campagne de l’Argonne, à mi-chemin entre Reims et Verdun.

À Centrale, Henri est autorisé à finir ses examens généraux de fin d’année pendant les vacances pour raisons de santé. Il effectue donc ses dessins « d’architecture de machines » à la maison avec de bonnes notes à la clé. Il est admis en deuxième année en spécialité métallurgie.

Cette deuxième année est tout aussi difficile, avec des notes « médiocres »[2], et une crise en avril pendant laquelle il multiplie les absences et reçoit un blâme le 10 avril car il « s’est caché dans sa salle et a manqué l’amphithéâtre de 10h½ ». Il termine l’année à la 211e place sur 226 élèves.

Pour la troisième année, le dossier ne porte que des mentions lapidaires : « 18 mai 1901 : Autorisé par le Conseil de l’école à revenir en février 1902 pour terminer la 3 e année d’études. » Sans plus de détail, on peut supposer qu’il a eu des problèmes de santé pour être ainsi autorisé à redoubler sa 3e année, une mesure exceptionnelle à l’époque. En outre, le 17 mai 1902 il est « autorisé par le Conseil de l’École à changer de spécialité, de Métallurgiste [il] devient Mécanicien. » Il obtient donc son Certificat[3] d’ingénieur mécanicien en 1902.

Entre temps, il s’était marié le 28 décembre 1901 avec Albertine[4] Thuveny, à Charny dans la Meuse. Celle-ci est de famille bourgeoise, son père étant rentier à 27 ans au moment de sa naissance en 1875 à Châlons-sur-Marne.

Sa santé fragile le dispense de service militaire[5] et il trouve à sa sortie de l’École un poste dans les services techniques de la Municipalité du Havre comme ingénieur, chef de section des travaux municipaux.

Quelques fossiles ramassés en Argonne[6]

Son enfance dans les campagnes de l’Argonne a dû le familiariser avec les fossiles marins du crétacé qui parsèment la région, aussi le retrouve-t-on membre dès 1902 de la Société géologique de Normandie où il assure la fonction de bibliothécaire-archiviste[7].

Après trois ans d’expérience havraise, il est recruté par la Société de construction des Batignolles (SCB) pour être affecté aux travaux d’assainissement de la ville de Santiago du Chili. Les travaux commencent le 1er juillet 1905 ; il s’agit de réaliser « la construction des canalisations, le pavage des rues et l’amélioration du service d’eau potable »[8]. Il faut construire « 45km de collecteurs ; 300km de canalisations de décharge ; 35km de canalisation de lavage ; 11km de canaux à ciel ouvert ; 190km de conduites en fonte ; 3000 robinets-vannes pour l’eau potable. Les chantiers achevés sont livrés à l’exploitant en quatre tranches en novembre 1907, août 1908, septembre et décembre 1909. » Les travaux sont supervisés techniquement par la SCB et financièrement par un comité de quatre membres qui comprend Maurice d’Orival (ECP 1889)[9] . Le chantier s’achève en 1911.

Cependant, dès 1910, Henri Metz est envoyé à Salonique alors dans l’Empire Ottoman, pour une mission de relevés topographiques dans la vallée du Vardar. Puis il rejoint en 1911 la Régie Générale des chemins de fer (RCGF)[10] à Constantinople, où il participe à l’étude des réseaux de la Mer Noire et d’Albanie.

Il effectue une mission de terrain en Albanie pendant l’été 1912, juste avant la déclaration de la Guerre Balkanique qui voit l’alliance des nations slaves et grecques contre l’Empire Ottoman. Il en tire un récit de voyage assez exotique, navigant entre rebelles, brigands et paysans amicaux ou hostiles dans la région des lacs qui sont aujourd’hui à la frontière de l’Albanie et de la Macédoine du Nord. À la fin de ce texte où il fait des notes géologiques et minières, peu avant son retour à Monastir, il nous dit : « À la gorge du Loup, où il y a une grotte à stalactites très importantes, il faut plusieurs heures pour en parcourir les couloirs, les paysans nous apportent des pièces de monnaie à effigies grecques, romaines et byzantines trouvées par eux dans les champs environnant la grotte. J’en ai recueilli ainsi plus d’une centaine. »

En 1913, il quitte la RGCF et Constantinople pour rejoindre La Compagnie Générale des chemins de fer de Chine, société du groupe belge Empain qui a obtenu la concession du chemin de fer dit Pienlo/Lung-Hai (汴洛/陇海铁路) entre Kaifeng (开封市) et Henan-fu (河南府[11] (Luoyang 洛阳市)), transversal à l’axe nord-sud du Pékin-Hankou ou Kin-Han (京汉铁路).

Les actionnaires et l’administration française[12] impose à Empain l’emploi d’ingénieurs français, dont le chef du projet, Henri Seymat (ECP 1891), vétéran de la ligne du Yunnan et du Kin-Han où il était chargé des travaux de la section nord. On retrouve Henri Metz en 1914 comme sous-chef de la quatrième section (service est) basé à Xuzhou-fu (叙州府), dans le nord de la province du Jiangsu (江苏省). Il est promu dès 1917 au poste de Secrétaire technique auprès de la direction à Zhengzhou (郑州市), ville où se croisent les deux axes ferroviaires du nord du Yangtsé. En 1921 il est de retour sur le terrain, cette fois sur la partie ouest du Pienlo à Henan-fu, comme Inspecteur principal. Il sert alors sous les ordres d’Henry Estratat (ECP 1900).

Estratat et "ses admirateurs", 1923

Sur la photo de l’équipe d’Estratat on repère tout de suite le dandy, qui se tient de troisquarts au deuxième rang. Il s’agit bien d’Henri Metz, homme élégant et élancé, qui accorde un intérêt certain à la culture de son pays d’accueil.

Il profite de son séjour dans le Henan (河南省) pour assouvir sa passion archéologique. C’est sans doute pendant cette période qu’il fait la connaissance des R.P. Licent et Teilhard de Chardin[13] S.J., paléontologues du musée HoangHo-PaiHo (musée Huanghe-Baihe) (黄河白河博物馆) de Tianjin (天津), qui mènent des fouilles dans la boucle du Fleuve Jaune (黄河) aux confins de la Mongolie intérieure.

Il est de retour à Zhengzhou comme secrétaire technique lorsqu’il quitte l’aventure ferroviaire en 1925.

La Chine qui a connu une « révolution » en 1911 a vu l’Empire remplacé par une république le 1er janvier 1912 (an 1 de la République de Chine). Après une période où l’homme fort du régime, Yuan Shi-kai a repris le régime en main en marginalisant Sun Yat-sen et son parti, le Kuomintang (KMT), la Chine se morcelle à la mort de Yuan. S’ouvre alors la période dite des « seigneurs de la guerre » où le gouvernement siégeant à Pékin est au service d’une clique ou de l’autre et ne contrôle qu’une partie du territoire.

Les cliques s’opposent dans des conflits armés et la population subit les déprédations de la soldatesque et les levées de taxes arbitraires de leurs dirigeants locaux.

Canton est aux mains du KMT qui a constitué un 2e gouvernement, qui n’est pas reconnu par les puissances étrangères. Avec l’aide Soviétique il constitue une armée moderne. Puis, en alliance avec les seigneurs de la guerre du sud (notamment la clique du Guangxi) et le Parti Communiste, le KMT lance en 1926 « l’expédition vers le nord » destinée à réunifier le pays, ce qui est fait après le ralliement de certains des puissants seigneurs de la guerre (p.ex. Feng Yuxiang).

Pendant cette période troublée, la ligne du Longhai se trouve à la confluence de zones dominées par des cliques différentes.

Henri Metz revient à ses débuts de carrière, en prenant la tête du service de la voirie de la Municipalité française de Tianjin. En tant qu’ingénieur en chef il s’occupe de la voirie, des systèmes d’assainissement, des digues et de la centrale électrique. Il a dans son service un adjoint, Robert David[14] (ECP 1921), ainsi qu’un conducteur de travaux et deux surveillants français.

C’est alors qu’il écrit plusieurs articles pour le Bulletin de la Société de géographie commerciale.

En 1929, il livre des notes d’un voyage en Mandchourie effectué en 1927. Il y montre les traits de personnalités que nous avons pu constater ou deviner. Ces « notes décousues, extraites hâtivement de statistiques, de renseignements recueillis dans le train […], de visions fugitives de la portière du wagon, d’impressions rapides durant les stationnements dans les gares » doivent nous éclairer sur les enjeux de la dispute entre la Chine républicaine et l’Union soviétique propriétaire du chemin de fer hérité de l’Empire tsariste.

Comme ancien ingénieur du Long-Hai il nous donne les caractéristiques du Chemin de fer de l’est chinois, son réseau, son matériel roulant, son taux d’exploitation, son organisation administrative et les ressources potentielles de la région qu’il dessert.

L’enfant des campagnes et forêts de l’Argonne nous décrit la flore et le bétail en connaisseur : « les taureaux ont le cou gros, le poitrail vaste, les côtes rondes, les fanons projetés très au-delà de la ligne antérieure des jambes, l’arrière-train horizontal et les assises charnues. »

Le vétéran de la Chine des Seigneurs de la guerre nous livre – a contrario – son expérience : « L’ordre dans les trains ne laisse rien à désirer ; on n’est pas frôlé dans les coursives par des soldats aux relents d’ail et de gaz stomacaux. […] ce n’est pas ici qu’on voit le wagon restaurant accaparé par des contrôleurs et leurs amis, fumant, crachant, se gargarisant bruyamment avec du thé, se mouchant dans du papier. Et, lorsqu’on a retenu et payé une couchette, on ne la trouve pas occupée par un soi-disant général, qui l’a réquisitionnée au dernier moment. ».

La gare d’Harbin en 1927

Les deux articles suivants, parus en 1930 et 1931, sont consacrés à sa collection de céramiques et à celle de bronzes. Dans ces deux articles, Henri Metz, sous couvert de conseils aux collectionneurs, nous livre comment il a pu assembler les belles pièces qui illustrent ses textes :

« Le chemin de fer du Lunghai offre, en particulier, un champ immense de trouvailles. En partant de Chengchow 鄭州[15] , […] on rencontre, vers l’Ouest, au kilomètre 70, les tombeaux des Sung, à deux lis au Sud de la voie. Puis la ligne se développe au pied des monts Ti Mang 邙 山[16] , situés au Nord. Les contreforts de ces monts sont la nécropole des antiques dynasties, et, à partir de Kunghsien 鞏縣, kilomètre 60, jusqu’au-delà de Loyang 洛陽, kilomètre 120, on trouve des vestiges de sépultures Chou 周, Ch’in 秦, Han 漢, Wei 魏 , Sui 隋, T’ang 唐

Les pièces antiques affleurent : « Ces statues, enfouies sous les sables, émergent par places, et le travail de déblaiement pour les mettre à jour ne serait pas excessif. » D’ailleurs un trafic s’est établi de la région de Luoyang vers l’Europe : « Une abondante moisson de pièces a trouvé son chemin dans les musées d’Europe et d’Amérique. » ; ce qui permet aux musées Cernuschi et du Louvre de présenter des pièces de toute beauté comme il le mentionne.

Mais gare aux faussaires ! « Il est malheureusement difficile actuellement de se procurer des spécimens dans la région de Luoyang. La fraude a tiré parti de l’engouement des chercheurs. Vases et statuettes sont reproduits en quantité industrielle ; les faussaires imitent les incrustations terreuses, les squammes argentées, les réseaux craquelés, et l’on ne peut guère se fier qu’aux objets que l’on trouve soi-même "in situ" ».

Pour les bronzes, il nous explique : « Le collectionneur qui a la possibilité de fouiller les tumuli du loess, de parcourir les régions des dunes abrasées par le vent ou de fréquenter les boutiques des antiquaires de Pékin peut encore constituer des collections de très attrayantes séries de bronzes anciens chinois. […] les bronzes Han [ 漢朝 -202 à 220] sont encore relativement accessibles au chercheur. »

Ingénieur, il nous donne des détails de fabrication des différents types de céramique, par exemple à l’époque Song 宋朝: « La pâte, blanche et tendre, à glaçure plombeuse, des T’ang 唐朝, est remplacée par une pâte dure porcelanique avec des glaçures feldspathiques de grand feu, le plus souvent monochromes : blanc-ivoire, vert-olive, lavande, brun profond, pourpre. Les ornements sont sculptés, incisés ou moulés. » ; ainsi que les lieux de productions.

Il laisse aussi paraître ses préférences : « Les statuettes et sujets funéraires sont habilement traités. Le chameau bactrien, provient d'une sépulture T'ang [唐朝]; la pâte est tendre, blanche et la glaçure plombeuse est brillante, marbrée de jaune-ambre et blanc-jaunâtre. »

Vase Song[17]

« L'époque Sung marque l'apogée de la céramique chinoise du point de vue décors et couleurs, alors que l'époque T'ang marque l'apogée de la sculpture. »

« La troisième période de la céramique chinoise correspond à la dynastie des Ming [明朝] (1368 à 1627). C'est le règne de la porcelaine de la manufacture de Ching-tê-chên [景德镇], province du Kiangsi. Sous les Ming, les bleu et blanc et les polychromes deviennent à la mode et les glaçures monochromes des Sung sont reléguées au second plan. »

Et de conclure l’article après la revue des origines de la poterie au néolithique jusqu’à la dynastie Qing : « On peut dire, sans exagération, que, pendant dix siècles, depuis le début des Tang jusqu'à la fin des Ming, la céramique chinoise a atteint la perfection. Quant à la forme, au galbe et aux proportions des vases Han, ils avaient atteint déjà une plénitude définitive. »

Photos de l’article d’Henri Metz de 1930 dans le Bulletin de la Société française des ingénieurs coloniaux.

L’article de 1931 sur les bronzes est plus succinct, sa connaissance en semble moins aigüe tant au point de vue des procédés de fabrication qu’à celui de l’histoire de l’art. Il nous livre cependant quelques remarques techniques liées à la géologie :

« L'état de conservation et la beauté des patines de ces objets dépendent de la nature du sol dans lequel ils ont été enfouis ; ainsi, d'un sol sableux et sec de dunes surgissent des pièces à peine rongées par des oxydations en grumeaux, et qui sont intactes ; un sol aqueux livrera, au contraire, des pièces fragiles et ternes, dont le décor disparaît complètement ou à peu près sous une épaisse couche de rouille verte. [… ] La patine or (Liou Kin), qu'on trouve dans les pièces les plus anciennes. Cette patine ressemble à une dorure, mais en apparence seulement, et l'essai permet de s'en rendre compte.

Quant aux rouilles, elles couvrent parfois l'objet de grumeaux vert-malachite, avec, çà et là, des écailles ou des grains de diverses couleurs, rouge, bleu, jaune, gris. »

Il ne s’intéresse guère aux grands et gros vases antiques : « Les bronzes dits rituels, dérivés d'une antiquité plus ou moins contestable. Ce sont des vases à ornements conventionnels, surchargés d'entrelacs, de grecques, de volutes à angle droit, de schémas de dragons ou d'oiseaux, à peine gravés ou profondément incisés, lourds ou légers, épais ou minces, d'une stylisation minutieuse, banale parfois. »

Il leur préfère les petits objets qu’il qualifie de « sarmates[18] » provenant du bassin du fleuve jaune : « Les petits objets à motifs ornementaux sarmates, dont la variété de composition d'alliages, de patines et de décor est inépuisable ; cette multiforme floraison d'objets d'art, qui enchante le collectionneur, semble bien dater de la fin du 1er siècle de notre ère. »

Pour lui ces objets sont l’œuvre des artisans sarmates d’Asie centrale : « au début des Han, les artisans sarmates, ou les objets d'art importés de toutes pièces, purent passer sans encombre », ou de leurs descendants installés en Chine propre : « les artisans s'installèrent dans les vallées principales et tributaires du fleuve Jaune, depuis la boucle des Ordos[19]  jusqu'aux terres basses de la rivière Huai, et jusqu'au delta du fleuve. […] C'est principalement dans ces vallées du bas fleuve Jaune qu'on fait les plus intéressantes récoltes d'objets de cet art décoratif animal sarmate, de tendances stylisées et héraldiques, que nous ont légué les artistes de la Crimée actuelle et du Turkestan, du 3e siècle avant J.-C. au 3e siècle après. ». On pense certainement aux objets de l’exposition L’or des scythes à Paris en 2001 en regardant cette plaque en bronze représentant un tigre tenant un bouquetin dans sa gueule (ci-dessus).

Plaque de harnais, figurant un cheval. Bronze. Mongolie intérieure, 5e -1 er siècle av. JC.
Objet décoratif à motifs géométriques et têtes de félins (Han)
Mirroir en bronze. Inscription. Chine, 2e  siècle av.
Miroir Han. Décors d’oiseaux stylisés. Bordure en dents de scie. Bouton en haut relief
Couteau. Poignée en forme d’élan. Bronze ajouré. Mongolie intérieure, 1100-901 av.JC.
Couteau turco-mongol. Han
Sceau. Bronze. Type nestorien. Chine, 12e 13e.
Sceau en forme d’oiseau. Bronze. Type nestorien. Chine, circa 12e-13e.
Plaque animalière. Tigre avec un bélier en sa gueule. Bronze ajouré. Type de l’Ordos. Inner Mongolie intérieure, circa 3e-1 ersiècle av. JC-1stC BC.[20]

La vie d’Henri Metz à Tianjin n’a pas laissé beaucoup de traces. Il devait tout comme son adjoint Robert David[21] y connaitre une vie mondaine, jouant au polo et côtoyant les diplomates, les hommes d’affaires, les missionnaires jésuites ou lazaristes[22] , mais aussi les officiers des troupes coloniales stationnés dans la ville.

C’est d’ailleurs avec l’un d’eux, le lieutenant d’artillerie coloniale Jean Crépin, que sa fille Marguerite[23] , se marie en 1928 en la cathédrale Notre-Dame-des-Victoires.

Henri Metz est un compagnon de voyage de bonne compagnie comme en témoigne le récit d’Emil S. Fischer, un viennois installé à Tianjin qui parcouru le monde et la Chine et fit le récit de ses pérégrinations chinoises dans un livre paru dans cette ville en 1941. On l'aperçoit ainsi sur plusieurs photos illustrant les monuments visités en 1935 avec l’auteur et Mme Roucaud, épouse du commandant supérieur des troupes à Madagascar et voyageuse. Metz les accompagne en visite de hauts lieux et est leur guide pour l’inauguration du terminus du Long-Hai à Xi’an-fu (西安府)[24].

L’armée japonaise du Kwantong envahit le nord de la Chine en 1937 suite à « l’incident du pont Marco Polo » mis en scène par l’armée impériale comme prétexte à la guerre. Les concessions britanniques et françaises de Tianjin sont entourées par les occupants et même assiégées pendant plusieurs mois pour avoir eu le malheur de voir des patriotes chinois s’y manifester. Ce facteur a probablement joué dans le départ en retraite d’Henri Metz[25] en 1938.

De retour en France, il s’installe à Nice où il est reçu dès 1939 comme membre de l’Association des Naturalistes de Nice et des Alpes-Maritimes.

En 1950, lors d’une vente aux enchères dans le chef-lieu des Alpes maritimes, le Art Fund – une fondation soutenant la culture au Royaume-Uni et en particulier ses musées – acquiert « une collection de 29 pièces consistant en 21 plaques de bronze représentant des animaux en provenance de la région de l’Ordos, y compris des chevaux à tête de griffon, un tigre emportant un bélier dans sa gueule, un tigre attaquant un cerf, des cerfs affrontés de chaque côté d’un homme à tête d’ours debout sur un pilier. Ainsi qu’une plaque de stelite, une perche filiale (?) et six boucles de ceintures. »

Ces pièces forment le cœur de la collection Henri Metz du British Museum[26] (si ce n’est son entièreté).

Il s’éteint à Nice le 29 janvier 1951.

De gauche à droite : Annette, Henri, Marguerite et Jean Crépin, Félicie et Maurice des Etangs, chef de la police de la concession et mari d’Annette.


POST-SCRIPTUM

Sur la fin de mes recherches, je suis tombé sur un texte d’un certain Lao T’eou sur les croix nestoriennes de la collection de Mme Jean Crépin[27] . Cet article est illustré par des dessins de l’auteur. On y reconnait sans peine certains objets acquis par le British Museum. Et il ne fait pas de doute que l’auteur n’est autre qu’Henri Metz qui y montre une grande connaissance de ces objets, de l’histoire des chrétiens nestoriens en Chine et Mongolie et des controverses opposant des experts – par ailleurs missionnaires protestants – ainsi que les écrits du grand orientaliste Paul Pelliot sur ce sujet.

Mais le pseudonyme est peut-être encore plus intéressant puisqu’il s’applique le sobriquet de « le vieux », 老头, pour signer cet article en 1936. Le respectable Ingénieur en Chef de la Concession française de Tientsin, bientôt honoré de la légion d’honneur, fait ainsi montre d’une auto-dérision que ne désavoueront pas les Boris Vian (ECP 1942) ou Antoine Muraccioli (ECP 1966).

Références

  1. Sur 226 élèves admis en 2 ème année.
  2. Son dossier porte la mention: « 9 avril – avertissement au nom du Conseil, pour la médiocrité d’une partie de ses notes. – on prévient la famille »
  3. « 32 e certificat », il termine 210 e sur 224 et 108 e sur 112 dans sa spécialité.
  4. Félicie, Alexandrine, Albertine, née à Châlons (Marne) le 16 août 1875. Son prénom d’usage semble être Albertine, selon un avis de décès dans la gazette locale de Pau.
  5. Ajourné en 1896 pour « faiblesse », il est exempté en 1897 pour « bronchite spécifique des deux sommets » selon son dossier militaire.
  6. http://www.jlargonnais.com
  7. On trouve son nom dans un bulletin de la société qui comporte un long article sur les fossiles qu’on trouve en Normandie.
  8. Article : La société de construction des Batignolles : des origines à la Première Guerre mondiale (1846-1914) : premiers résultats de Rang-Ri Park, revue Histoire, économie & société, Année 2000 193 pp. 361-386
  9. Maurice Legris de la Chaise d’Orival a précédemment effectué les travaux de reconnaissance des lignes de chemin de fer du Lu-Han 卢汉铁路 (futur Pékin-Hankou) et du Shanxi 正太铁路 (Zhengzhou-Taiyuan) entre 1897 et 1899.
  10. La RCGF, voir Centrale-Histoire, note sur Philippe Vitali (ECP 1851) du 7 octobre 2010
  11. Nous conserverons les transcriptions d’époque dans les textes cites et utiliserons la transcription Hanyu pinyin standard de la RPC la plus utilisée internationalement et ferons suivre les premières occurrence des caractères chinois.
  12. Notamment les frères Berthelot, l’un à la tête de la Banque industrielle de Chine et l’autre au Quai d’Orsay.
  13. Pierre Teilhard de Chardin est envoyé en Chine par le Museum d’Histoire naturelle de Paris en 1922 pour assisté le Père Licent dans ses fouilles dans le bassin de l’Ordos, avant d’y être assigné et basé à Tientsin/Tianjin.
  14. Voir la revue CentraleSupélec alumni no 8, ou le site de Centrale-Histoire : archiveshistoire.centraliens.net/pdfs/revues/rev08_david.pdf
  15. La romanisation des noms chinois est celle d’Henri Metz ; j’ai ajouté les caractères quand j’ai pu identifier les noms.
  16. L’identification des monts Ti Mang à la colline 邙山 est probable mais pas certaine.
  17. Metropolitan Museum
  18. Le Larousse nous dit que les Sarmates sont un « [p]euple établi du iv e s. avant J.-C. au IIIe s. après J.C. dans la plaine qui borde au N. la mer Noire, de part et d'autre du Don. Nomades guerriers, excellents cavaliers, les Sarmates ont harcelé l'Empire romain en Dacie et tout au long du Danube. Ils ont été ensuite submergés à leur tour par les Goths, puis, au IVe s., par les Huns. Proches des Scythes, ils ont laissé des sépultures princières, les kourganes, qui ont livré de remarquables objets d'orfèvrerie, rehaussés de pierres de couleurs, témoignant d'un puissant style animalier.
  19. Le bassin de l’Ordos (mot mongol), est le plateau de loess enceint par la boucle du fleuve jaune 黄河 à cheval sur les provinces du Gansu, du Ningxia, du Shaanxi, du Shanxi et de la Mongolie intérieure.
  20. British Museum
  21. Cf. CentraleSupélec alumni no 08 : archives-http://histoire.centraliens.net/pdfs/revues/rev08_david.pdf
  22. Son arrière-petit-fils nous informe qu’il était très lié au P. Cornet, lazariste : JOSEPH CORNET | 高而谦 KAO EUL - K ’ IEN | Prêtre.Né à Poligny, Jura (France), le 13 mars 1873; arrivé à Chang-hai 上海 le 17 septembre 1904; reçu au séminaire à Kia-hing 嘉兴 le 27 septembre suivant; il y fit les vœux le 2 octobre 1906; y fut ordonné prêtre le 3 juillet 1910. Missionnaire au Tche-li 直隶 central (Pao-ting fou 保定府); en 1930 fut placé dans le vicariat de T’ien-tsin 天津. (Les Lazaristes en Chine 1697-1935, notes biographiques, Pei-p’ing 1936)
  23. 1 Né en 1906 à Santiago du Chili, elle a 22 ans. Elle mourra en 1944 en sautant sur une mine allemande alors qu’elle a quitté Nice pour se réfugier dans un village de montagne. Son mari, artilleur en Afrique équatoriale française depuis 1938, a rejoint la France Libre dès 1940 et suivra le Général Leclerc jusqu’en France et en Allemagne.
  24. Un premier récit signé des trois voyageurs parait dans le North China Star, Tientsin, le 26 mai 1935.
  25. Né le 27 octobre 1875, il est alors âgé de 63 ans. Il quitte Tianjin avant les grandes inondations de 1939 auxquelles fait face l’ingénieur en Chef par intérim avant le retour de Robert David (contrairement à ce que j’ai indiqué dans l’article sur R.David publié dans la revue CSA no 8).
  26. Collection visible en partie ici (page visitée le 04 juin 2022) : https://www.britishmuseum.org/collection/search?agent=Henri%20Metz&image=true&view=grid&s+ort=object_name__asc&page=1
  27. L'Astrosophie : revue d'astrologie ésotérique et exotérique et des sciences psychiques et occultes / Institut astrologique de Carthage ; 1936-10.