Hong Kong - L’épopée du contre-torpilleur Fronde

De Histoire de Chine

rédigé par François Drémeaux et Christian Ramage

Nous vous invitons à découvrir l’histoire d’un personnage singulier : le contre-torpilleur Fronde. Celui-ci a coulé à Hong Kong le 18 septembre 1906, y a été renfloué et réparé, puis a participé à un des premiers combats navals de 1914. Etonnamment le monument qui rend hommage aux marins français qui ont péri lors du naufrage de 1906 existe encore… Partons à la découverte de cette étonnante histoire.

Le contre-torpilleur Fronde

Le contre-torpilleur Fronde fait partie d’une série de bâtiments légers de 300 tonnes du début du XXème siècle, rapides et appréciés pour leurs qualités nautiques. Lancée à Bordeaux en 1902, la Fronde, d’abord basée à Toulon, rejoint en avril 1904 Saigon et la Division Navale d’Extrême-Orient (DNEO), accompagnée des bateaux-jumeaux Javeline, Mousquet et Pistolet et du croiseur d’Assas. La Fronde et le Pistolet mouillent ensuite à Hong Kong, première escale pour le contre-torpilleur dans le port de Victoria. De 1904 à 1906, le bateau navigue entre Hong Kong, Macao, Shanghai, Canton, Fort-Bayard, Haiphong et Saigon. Le 15 septembre 1906, la Fronde et quatre autres contre-torpilleurs de la DNEO, Javeline, Francisque, Rapière et Sabre arrivent de Shanghai, après avoir affronté une tempête, pour s’abriter à Hong Kong. Mais le 18 septembre, la flottille y subit un violent typhon qui entraîne le naufrage de la Fronde et la disparition de cinq membres de son équipage.

Typhon du 18 septembre 1906 à Hong Kong

La Fronde demeure plus de deux mois sous l’eau, mais la marine décide de renflouer l’épave, opération facilitée par le faible tonnage du bateau, relevé le 1er décembre pour entrer au bassin de radoub de Hung Hom, à Kowloon. Le bâtiment reçoit une nouvelle coque avant, les réparations consistant surtout à assurer sa navigabilité. Il sort du bassin le 14 mars 1907 puis, remorqué par le croiseur Alger, gagne Saigon, où l’armement et l’équipement du navire sont complétés. De 1907 à 1914, la Fronde croise en Indochine, patrouillant le long des côtes, ravitaillant des garnisons ou assurant des travaux d’hydrographie.

La Fronde renflouée

La Première Guerre mondiale fournit à la Fronde une dernière occasion d’être mentionnée. Le bateau participe en effet à l’un des premiers combats navals de la guerre, contre le croiseur allemand Emden, qui navigue en corsaire depuis le début des hostilités. Celui-ci a déjà coulé 22 bateaux de commerce alliés quand il affronte le 28 octobre 1914, à l’entrée du port de Penang, dans le détroit de Malacca, le croiseur russe Yemtchoug et les bâtiments français d’Iberville, Mousquet, Pistolet et Fronde ; ce dernier est à quai, machine démontée. Dans la tradition des corsaires, l’Emden a maquillé sa silhouette en gréant une quatrième fausse cheminée sur son pont, pour ressembler à un croiseur anglais. Il se rapprocheainsi du navire russe et le coule rapidement. Le Mousquet intervient mais est détruit par les canons de l’Emden, qui recueille 46 survivants alors que 43 marins, dont le commandant, meurent au combat. L’équipage de la Fronde assiste, impuissant, au drame. Un officier du bord écrit : « Et chez tous c’était la même rage de ne rien pouvoir faire. Le sentiment unanime c’était que d’aller par le fond, ce n’était rien, mais y aller sans même avoir pu tirer un coup de canon, sans se défendre, subir sans résistance cette boucherie dont nous venions d’avoir le spectacle pour nos pauvres amis russes, cela paraissait par trop dur ».

En mars 1915, la Fronde revient en Méditerranée et y patrouille jusqu’à la fin de la guerre. Le navire est désarmé en 1919 et sa coque est vendue à Toulon l’année suivante. La Fronde achève ainsi définitivement sa carrière qui avait déjà failli se terminer le 18 septembre 1906, au fond du port de Hong Kong…

Polémique autour d’un typhon

D’août à octobre, les typhons sont fréquents et violents sur ces côtes de Chine du sud, au climat subtropical. En 1867, le consul de France, Du Chêne, décrit ainsi un « ouragan dont les conséquences ont été désastreuses […] et qui a causé tant dans la rade que dans la ville des pertes dont le chiffre n’est pas encore appréciable. […] Quatre navires étrangers ont été jetés à la côte. Un schooner américain a sombré ainsi qu’une grande quantité de jonques chinoises ». Ces risques naturels conduisent les autorités coloniales à créer, en 1883, le Royal Observatory, chargé des prévisions météorologiques. Un système d’alerte par tirs de canon est mis en place pour avertir la population et les navires en rade de l’imminence d’un typhon.

Pourtant, le 18 septembre 1906, ce dispositif n’a pas fonctionné. Le commandant du Sabre souligne que « le service du port n’a pas donné l’avis habituel concernant l’approche d’un typhon ». Cette lacune a aggravé les dégâts matériels et les pertes humaines. Le consul de France, Auguste Liebert, décrit le désastre : « Près de 60 grands navires de type européen, 34 chaloupes à vapeur et des centaines de chalands, d’allèges et de jonques furent coulés, jetés à la côte ou avariés au cours de ce typhon qui ne dura pourtant que trois heures mais dont le centre passa en plein sur la colonie. La flottille de pêche de Hong Kong, comprenant au moins 1 500 barques ou sampans fut coulée et on estime à 7 à 8 000 le nombre des Chinois qui furent noyés ». La Fronde a sombré et « cinq hommes de l’équipage de ce petit navire disparurent et leurs cadavres n’ont jamais été retrouvés ».

Il s’ensuit une vive polémique, qui met en cause le Royal Observatory et son directeur. Les pertes causées à la flottille française conduisent le consul de France « à intervenir – à titre d’ailleurs privé – dans les travaux de la commission d’enquête ». Il précise : « Je crois avoir servi par les dépositions que j’ai faites devant la commission, les intérêts de la navigation dans ce grand port fréquenté par un nombre considérable de navires de guerre et de commerce français ».

Les travaux de la commission d’enquête durent plusieurs mois mais ses conclusions ne sont pas à la hauteur des attentes du consul : « Ainsi qu’il fallait s’y attendre, l’Observatoire (service officiel britannique) a été exonéré officiellement, mais il n’en est pas moins vrai que satisfaction a été donnée à l’opinion publique par la mise à la retraite de son directeur, M. Doberck. Enfin, ce qui vaut mieux encore, des ordres ont été donnés pour que l’Observatoire de Hong Kong tienne compte d’une façon plus sérieuse qu’il ne l’avait fait jusque-là des télégrammes météorologiques qui lui sont envoyés par les observatoires de Zi Ka Wei [aujourd’hui Xujiahui à Shanghai] et de Manille ». Le canon donnant l’alarme est remplacé par un système plus élaboré et des abris anti-typhons sont construits.

Si l’Observatoire est affranchi de toute responsabilité, des reproches demeurent. Les observatoires modernes de Zi Ka Wei et de Manille, fondés respectivement par les jésuites français et espagnols, assurent depuis des décennies la couverture météorologique des mers de Chine. Mais l’Observatoire de Hong Kong semble avoir souvent ignoré leurs bulletins d’alerte, ce que confirment les archives de la Marine nationale. Le 5 novembre 1901, le père Louis Froc, de Zi Ka Wei, répond au commandant du navire français Nive : « Vous dites que nous avons annoncé un typhon à Hong Kong trois jours à l’avance. Nous l’avons annoncé partout, mais pas à Hong Kong ; c’est le seul port qui ait refusé de recevoir de nous quelque avertissement que ce soit [et le directeur du Royal Observatory] s’est efforcé de faire enjoindre la même interdiction à l’Observatoire de Manille qui, grâce à ces démarches a, durant quelques semaines, reçu défense expresse de nous annoncer les typhons si redoutés ! ».

Pour autant, le drame aurait-il pu être évité ? Lors d’un colloque en 2006, des experts contemporains ont analysé les données météorologiques du 18 septembre 1906. Les informations sur Hong Kong et sa région diffusées ce jour-là par Zi Ka Wei et Manille ne mentionnent pas de risques de typhon. Et les données de l’époque, traitées par informatique cent ans plus tard, montrent que le typhon qui provoqua le naufrage de la Fronde fut exceptionnellement violent et bref. De faible diamètre, il s’est en effet formé brutalement et ne dura que trois heures. Il s’agissait donc d’un phénomène rare, fugace et de forte intensité que personne, à l’époque, ne pouvait prévoir.


Cet article est issu de Hong Kong, présences françaises, un ouvrage dirigé par François Drémeaux et publié en 2012. Il retrace plus de 150 ans d’histoire(s) entre la France et le territoire de Hong Kong.

Sources :

  • Archives du service historique de la Défense, section Marine, Toulon : journaux de navigation et correspondance des commandants, Toulon et Vincennes dans « La Revue Maritime », septembre 1951 – http://pages14-18.mesdiscussions.net/
  • Archives du Ministères des Affaires étrangères, Nantes
  • Paul Chack, Claude Farrère, « Combats et batailles sur mer », Flammarion, 1928
  • La Revue Maritime, septembre 1951

Sources photographiques : Service historique de la Défense/Marine/Vincennes et HKMM