Il était une fois... la Résidence de France

De Histoire de Chine
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rédigé par David Maurizot

À quelques heures de la réception organisée dans les jardins de la Résidence de France à l'occasion de la visite officielle de notre Premier Ministre, revenons sur l'histoire de cette magnifique demeure, située au n°1431 Huaihai Zhong Lu (au croisement avec Wulumuqi Lu).

Extension de la Concession

En 1914, la France se voit octroyer une extension de sa Concession à Shanghai. La voilà qui s'étend maintenant du Huangpu jusqu'au quartier des jésuites à Xujiahui.

Dans ce vaste nouveau territoire, imaginez un calme coin de verdure traversé par l'Avenue Joffre (tel était alors le nom de Huaihai Lu), alors simple petite route de campagne bordée par de biens jeunes platanes…

Villa Basset

Lucien Basset

C'est dans ce rêve champêtre, au croisement avec la route Dufour, que Lucien Basset, riche courtier français travaillant pour une banque franco-belge, le Crédit Foncier d'Extrême-Orient, décide de bâtir une luxueuse villa en 1921.

Ses architectes vont prendre un malin plaisir à mélanger les influences : méditerranéenne, avec ses faïences à motifs floraux sur la façade et ses balcons à l'italienne, flamande par sa toiture, néo-classique par les colonnes du porche, chinoise par petites touches dans son jardin avec son pavillon et sa montagne factice, elle est typique des folies shanghaïennes de l'époque. L’intérieur est également à couper le souffle : boiseries sombres omniprésentes, les trois étages et le sous-sol, font de la Villa Basset un joyau à l'éclat sans pareil – mais n'est-ce pas un peu le cas, chacune à sa manière, pour chaque grande bâtisse de l'ancienne Concession ?

Edna, belle-soeur de Lucien Basset, en tenue cavalière dans le jardin

Peut-être dérangés par les vibrations et le « ding ding » du tramway dont on venait de prolonger la ligne, les Basset vont se séparer de leur villa en 1931 et la vendre à un notable de la communauté américaine : Frank Jay Raven.

Mister Raven aimait collectionner les titres : membre du tout-puissant Conseil municipal de la Concession internationale, il était également Président du conseil d'administration de l'école américaine, et membre du Rotary Club de Shanghai.

La toile qu'il avait tissé en a malheureusement piégé plus d'un… car l'immense fortune qu'il avait amassé à la tête de sa compagnie immobilière, l'Asia Realty Company, ne l'avait pas été de manière très… honnête.

Condamné pour fraude en 1935, il entraina plusieurs milliers de victimes dans sa chute…

Après le « scandale Raven » en 1935, la Villa entama alors une carrière plus « institutionnelle ».

Elle devint d'abord Consulat d'Espagne, puis Consulat de Corée, avant d'être attribuée en 1939 à l'attaché commercial français qui ne l'habitera que deux ans.

En 1941, c'est l'Eglise catholique du Jiangnan qui l'acquiert, puis qui la vend à une première riche famille chinoise en 1946, qui elle-même la revendra en 1948 à une seconde riche famille chinoise… qui préférera quitter Shanghai à l'arrivée des troupes communistes en 1949.

Devenue propriété de la Municipalité de Shanghai, elle hébergera le Parquet entre 1976 et 1980, avant qu'enfin les autorités françaises la louent à partir de 1980 pour en faire le Consulat général de France à Shanghai.

La Villa Basset vue du jardin un jour de neige (probablement dans les années 1920)
La Villa Basset dans les années 1920

L’ancien Consulat de France

Le Consulat de France en 1937

Au temps de la Concession, le Consulat français se trouvait autre part : sur le Quai de France (ou French Bund) au croisement avec la rue… du Consulat (aujourd’hui Jinling Dong Lu).

Un premier bâtiment y avait été inauguré en 1867, avant qu'un second, plus solide,le remplace en 1892.

Petite structure de trois étages, faite d'arcades typiques du style colonial de l'époque, elle hébergeait les services d'un Consul de France qui régnait sans partage sur la Concession française – jusqu'en 1943.

Une fois la Concession formellement restituée à la Chine, elle continuera toutefois à servir fidèlement les intérêts français à Shanghai, et ce n'est qu'à la suite de la prise de pouvoir des communistes qu'elle fermera, en 1952 – la France n'avait pas encore reconnu officiellement la République populaire.

Un agent se chargera de la garde du bâtiment jusqu'en 1962, puis « le Consulat » sera ensuite désaffecté et transformé en école.

A la fin des années 1980, il sera implacablement sacrifié sur l'autel de la spéculation immobilière, comme de nombreux autres structures sur l'ancien Quai de France (au contraire du Bund) et aujourd'hui une immense tour, dont on dit que les arcades à sa base sont un hommage au Consulat français, la remplace.

Le site de l'ancien Consulat aujourd'hui

Nouvelle Résidence de France

Vue aérienne du quartier au début des années 1930

Depuis octobre 1980, la Villa Basset est donc devenue Résidence de France – c'est-à-dire la résidence officielle de notre Consul général à Shanghai.

La bâtisse a abrité dans un premier temps non seulement le domicile du Consul général mais également ses services administratifs et économiques – avant que ceux-ci ne soient déplacés dans de vrais bureaux, par manque de place.

Aujourd'hui, cadre privilégié des manifestations organisées sous la bienveillance de M. et Mme. le Consul général, « la Résidence » n'a rien perdu de sa majesté originelle.

A la belle saison on ne se lasse pas d'admirer la silhouette bienveillante de cette vieille dame – car elle est en effet presque centenaire. Seuls les arbres qui lui portent gracieusement ombrage semblent avoir vieillis.

Là, dans son jardin en plein centre de l'immense métropole shanghaïenne, on sent encore frémir le sol. Comme si celui-ci voulait nous dire quelque chose. Car on ne vous avez pas prévenu mais ici le terrain a gardé le souvenir du passé. Et…ce sont bel et bien les vibrations du tramway d’antan que vous ressentez. Ainsi, ne serait-ce que pendant une fraction de seconde, il peut alors vous arriver de vous retrouver chez M. et Mme. Basset… à cette folle époque où à Shanghai tout était possible…