Il était une fois... le Centre d'Exposition de Shanghai

De Histoire de Chine

rédigé par David Maurizot

A quelques centaines de mètres du Temple de Jing'an se dresse l'une des structures les plus insolites de Shanghai : le Centre d'Exposition.

Accolé à la voie surélevée de Yan'an Lu et perdu au milieu de gratte-ciels plus ou moins modernes, coiffé de son étoile communiste, on l'imagine sans mal en plein centre de Moscou… au temps de l'URSS.

Le Palais de l'Amitié Sino-soviétique

Le centre d’exposition en cours de construction en 1954
Le bâtiment central de l’ex-Centre d’exposition des réalisations de l'économie nationale de l'URSS (photo prise en 2005)

Au sortir de sa victoire militaire sur le continent chinois en 1949, Mao s'engage dans une alliance avec l'Union soviétique de Staline. Les « experts soviétiques » débarquent alors, avec dans leurs valises : plans et techniques pour aider la Chine à devenir une grande nation communiste moderne.

Ils seront près de 10 000 Russes à venir en Chine et plus du double de Chinois envoyés en URSS pour se faire former. Cette armée d'experts va alors répliquer, y-compris par des copier-coller dans le domaine de l'architecture, le modèle soviétique en Chine.

Quand en 1953 on décide d'équiper Shanghai d'un centre d'exposition moderne, les plans et un des architectes sont donc fournis par le « grand frère soviétique ». Le bâtiment reprend ainsi l'architecture du Centre d'Exposition des réalisations de l'économie nationale de l'URSS construit à Moscou dans les années 1930.

C’est ainsi que naquît la Tour de l'Amitié Sino-soviétique (telle est son nom en chinois, 中苏友好大厦), qui sera ensuite rebaptisée « Centre d'Exposition de Shanghai » en 1968 – rupture sino-soviétique oblige.

Durant les années 50 et 60, elle était la structure la plus élevée de Shanghai.

Silas Hardoon

Silas et Liza Hardoon

Toutefois, avant 1950 le bloc aujourd'hui occupé par le Centre d'exposition était alors la propriété d'une des plus riches familles de la Shanghai des Concessions : celle d'un homme d'affaires juif, Silas Aaron Hardoon, et de sa femme, Liza.

Né à Bagdad dans une famille juive pauvre, Silas Hardoon était arrivé à Shanghai en 1868 à l'âge de 17 ans.

Comme beaucoup, il se consacra dans un premier temps au trafic de l'opium avant de développer un goût pour la spéculation immobilière. Il travailla d'abord pour Victor Sassoon (un autre Juif de Shanghai dont la famille était originaire de Bagdad) en commençant comme simple gardien, puis grimpa dans la hiérarchie du groupe jusqu'à devenir gérant de la branche immobilière Sassoon.

Il fonda ensuite sa propre compagnie et se construisit ainsi un immense empire immobilier. C'est lui, par exemple, qui développa une partie non négligeable de la Rue de Nankin (aujourd'hui Nanjing Lu). Avec l’explosion des prix de l'immobilier à la fin du XIXème siècle et après la Première Guerre Mondiale, il deviendra l'une des plus grandes fortunes de Shanghai.

Hardoon avait la fâcheuse habitude d'aller lui-même collecter les impayés auprès de ses locataires et c'est ainsi qu’il rencontra sa femme Liza (ou Luo Jialing), née d'une mère chinoise et d'un marin français. Dénuée de presque tout, elle vivait de la vente de fleurs et de son corps…

Mariés quelques semaines seulement après leur première rencontre, ils ne se séparèrent plus pendant les 45 années suivantes. Ensemble ils adoptèrent une vingtaine d'enfants – Occidentaux et Chinois.

A Shanghai, ils formaient un couple unique, autant ouvert à la culture occidentale que chinoise, et hautement influent. Silas Hardoon fut l'un des seuls, si ce n'est le seul, a avoir été membre des deux conseils municipaux : celui de la Concession internationale et celui de la Concession française.

Quand Silas mourut en 1931, Liza le fit enterrer dans leur propriété. Elle le rejoignit en 1941.

Le Jardin de l’Amour conjugal

Pagode en pierre dans le Hardoon Garden

C’est pour Liza et pour abriter leur amour, que Silas Hardoon fit construire à partir de 1904, dans ce qui était alors la banlieue occidentale de la Concession internationale, leur résidence sur un terrain de plus de 100.000m².

Il baptisa en chinois cette immense propriété « Aili Yuan » (Ai / 爱 pour l’amour, Li / 俪 pour le couple marié, et Yuan / 园 pour le jardin). Les Shanghaïens prirent l'habitude de nommer ce vaste parc composé de jardins à la chinoise, de temples bouddhistes, et équipé des plus grands raffinements de l'époque, le « Hardoon Garden ».

Vue aérienne du bloc en 1948, alors encore occupé par les restes du Hardoon Garden

Quelques mois après la mort de Liza, en décembre 1941, les Japonais saisirent la propriété et la pillèrent sans vergogne. Au sortir de la guerre, le jardin était dans un tel état qu'il resta à l’abandon.

En 1949, les communistes s'en emparèrent et quand, quelques mois plus tard, il fallut choisir un vaste terrain au centre de Shanghai pour bâtir un palais dédié à l'amour entre la Chine de Mao et l'URSS de Staline, le choix se porta tout logiquement sur le « Jardin de l’Amour » des Hardoon…