Il était une fois... le Garden Hotel

De Histoire de Chine
Révision datée du 24 janvier 2022 à 13:55 par Thierry (discussion | contributions)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)

rédigé par David Maurizot

Adresse : Garden Hotel, 58 Mao Ming Nan Lu (花园饭店,茂名南路58号) – à deux pas de l'arrêt de métro South Shaanxi Road (lignes 1, 10 et 12)

En 1903, les nombreux Allemands résidant à Shanghai établissent ici un club sportif allemand dans ce qui n'est alors qu'un bout de terrain perdu dans la campagne et qui ne se situe pas encore sur le territoire de la Concession française.

Il faut attendre l'extension de 1914, celle qui agrandira la Concession jusqu'à Xujiahui, et que l'Allemagne soit vaincue lors de la Première Guerre Mondiale (tous les biens allemands sont alors saisis par les puissances victorieuses) pour que cette parcelle devienne propriété de la municipalité française.

Dans un premier temps, l'administration de la Concession ne sait pas trop quoi faire de cet espace : il sera transformé en parc, qu'on nommera pour expier son passé allemand, le Jardin de Verdun. Il accueillera ainsi en 1921 une exposition automobile.

Le Cercle Sportif Français

A quelques centaines de mètres de là, les membres du Cercle Sportif Français qui se réunissent dans un petit bâtiment au Nord du Parc Koukaza (aujourd'hui le parc Fuxing) se trouvent trop à l'étroit. Pour les influents hommes d'affaires français, ce n'est d’ailleurs pas seulement l'espace qui manque au Club mais celui-ci est également considéré comme un peu vieillot, un peu trop XIXème siècle…

En 1924, ils décident donc de lancer la construction d'un nouveau complexe, et jettent leur dévolu sur le terrain du Jardin de Verdun. Et, foi de Français, cette nouvelle version du Cercle Sportif sera grandiose et ultramoderne !

Pour cela on choisit deux jeunes architectes audacieux qui viennent tout juste de s'associer et qui vont, pour la première fois, réaliser un projet à leur propre compte. Il s'agit de Léonard et Veysseyre.

Ceux-ci dessinent une monumentale façade de style classique : la pompe des colonnes force le respect. C'est tout le prestige de la France coloniale qui s'exprime à travers elle.

A l'intérieur, en revanche, ils chamboulent les convenances. Le style est… tout simplement époustouflant pour l'époque. Ils utilisent ce savant mélange de lignes géométriques et d'éléments exotiques : le style Art Déco – on ne pouvait alors faire plus moderne. On le trouve partout : des mosaïques du carrelage, en passant par les frises aux murs et aux plafonds, et jusque sur les vitraux des fenêtres. Chaque détail a son importance et donne une élégance sans pareil à ce monument élevé à la gloire « de l'art de vivre à la française »…

Lors de son inauguration, le 30 janvier 1926, le Président du Cercle rendra d'ailleurs hommage à « Messieurs Léonard et Veysseyre qui ne se sont pas contentés d'être des architectes de talent, mais qui ont été aussi de grands artistes. »

Le Club, outre les terrains de tennis et de sport à l'extérieur, outre sa grande terrasse et ses salles d'intérieur pour se détendre, comporte également une vaste salle de bal au parquet sur ressorts – afin de mieux voltiger au rythme du jazz à la mode – et une piscine couverte de près de 50 mètres de long, la plus grande de tout Shanghai.

La France a enfin un club à la hauteur de sa puissance. Les Anglais avec leur Shanghai Club sur le Bund, et son « plus long bar au monde », n'ont qu’à bien se tenir…

Ce qu'il en reste

Aujourd'hui, le Cercle Sportif de Léonard et Veysseyre est devenu la réception et la base de l'immense tour en béton de 33 étages de l'Okura Garden Hotel.

Pour retrouver des traces du Cercle, ne rentrez pas dans le Garden Hotel à l'endroit où les taxis déposent leurs clients, mais faufilez-vous y à partir de la porte Est, celle qui donne directement sur Maoming Lu : c'est par là qu'on y pénétrait à l’époque.

Le hall d'entrée a à peine changé. Malheureusement, à part lui, il ne reste plus rien du rez-de-chaussée de l'époque : la piscine qui se situait plus loin a malheureusement été détruite lors de la construction de l'hôtel.

Ne vous attardez donc pas trop longtemps en bas, sauf peut-être pour admirer quelques photos d'époque dans le couloir qui mène à la réception, et empruntez l'escalier magistral du hall d’entrée du Cercle.

A l'étage, tout de suite sur votre droite : la salle de bal dessinée par Léonard et Veysseyre. Celle-ci est souvent ouverte (de nombreux mariages y sont célébrés) : le sol est malheureusement recouvert d'un épais tapi qui ne permet pas de ressentir le plancher sur ressorts, mais les décorations murales et surtout le magnifique vitrail Art Déco au plafond sont toujours là. Tendez l'oreille : n'entendez-vous pas l'écho de ces mondains des années 30 ? Rires aux éclats, coupes de champagnes qui s’entrechoquent, musique jouée par l'orchestre. Comme si le fantôme de la Concession française de Shanghai flottait encore dans ces lieux…

Dirigez-vous ensuite vers les autres salles, moins grandioses que la salle de bal, elles ont été très bien restaurées et valent également le détour.


Après le Cercle

Occupé par les Japonais durant la Seconde Guerre Mondiale, le Cercle devient en 1945 un club pour les troupes américaines qui soutiendront un temps Tchang Kaï-chek et son régime contre les communistes chinois.

Avec la victoire de Mao sur le continent, il deviendra à partir de 1949 un centre culturel, avec, témoin de son passé, un terrain de course dans ses jardins.

En 1960, il est « annexé » par le Jinjiang Hotel, juste de l'autre côté de Maoming Lu, et renommé Club 58. Mao, quand il passait à Shanghai, aimait déambuler dans ce vaste parc…

Dans les années 1980, après la politique de libéralisation économique, le groupe japonais Okura en obtient la concession, et décide de transformer ce terrain au cœur de Shanghai en hôtel de luxe. Le Garden Hotel ouvrira ses portes en 1990.

On dit que Jacques Chirac, quand il passait en visite officielle à Shanghai, ne jurait que par lui et refusait de loger autre part…