Il était une fois... le zoo de Shanghai

De Histoire de Chine
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rédigé par David Maurizot

Avec l'arrivée de la belle saison, les longues sorties redeviennent enfin possibles. Pourquoi ne pas aller faire un tour au zoo de Shanghai, à deux pas de l'aéroport de Hongqiao ?

Perdu dans la banlieue Ouest de la ville, cet immense espace vert abrite en effet un passé historique étonnant…

Routes extérieures

Le quartier de Hongqiao en 1901

Au début du XXème siècle, le quartier de Hongqiao (alors orthographié Hungjao) était à mille lieux du vibrant cœur urbain de Shanghai et de ses concessions étrangères. Cette campagne était parsemée de nombreux champs et de petits villages. Des canaux la traversaient en tous sens. Il n'est alors pas impossible qu'un petit ouvrage enjambant l'un d'eux soit nommé « Pont arc-en-ciel » et eut donné son nom au lieu (Hong/虹 : arc-en-ciel, Qiao/桥 : pont).

C'est à cette époque qu'un sujet de sa majesté britannique vint y acquérir quelques arpents de terre pour établir une écurie où il élèvera d'abord une dizaine de chevaux.

Les autorités de la Concession internationale vont alors construire une route moderne reliant la ville à ce développement foncier. La route et les territoires qui la longent vont ainsi passer sous l'administration directe du Shanghai Municipal Council anglo-saxon – quand bien même elle se trouvait en dehors du territoire stricto sensu de la Concession internationale. Oubliées ou ignorées des descriptions historiques contemporaines, d'autres « routes extérieures » seront ainsi également tracées à l'Ouest et au Nord des concessions et finiront par représenter un vaste territoire soustrait de facto à l'administration chinoise.

Carte de Shanghai en 1928 avec les territoires des routes extérieures (E, F, G et H, entourés en orange)

Hungjao Golf Club

Inauguration du Club House en 1917

En 1914, notre écurie et ses dépendances s'étendent ainsi sur 67.000m² et comptent plus d'une centaine de chevaux. Le propriétaire va malheureusement tomber malade et sera obligé de revendre le tout.

Huit hommes d'affaires, et pas n'importe lesquels, vont alors s'en porter acquéreurs : il s'agit des plus grandes fortunes anglaises de Shanghai – le patron du groupe Jardine, celui de Swire et celui d'HSBC, entre autres. Ils vont alors transformer l’élevage équin en… terrain de golf.

Ouvert en 1916 avec 9 trous, équipé d'un bâtiment de deux étages inauguré en 1917 pour y accueillir ces messieurs, le Hungjao Golf Club sera l'un des clubs les plus select de Shanghai. En 1930, il deviendra le plus vaste golf de Chine avec ses 18 trous et son practice, et ses 250 membres – principalement des Anglais et des Américains qui s'acquittent de la coquette somme du membership annuel – pourront s'adonner à leur passion golfique tout en étant servis par une trentaine d'employés entièrement dévoués.

En pleine action au Hungjao Golf Club en 1938

Victor Sassoon et Rubicon Garden

Rubicon Garden

Quelques-uns des plus importants hommes d'affaires ou personnalités de Shanghai vont alors se faire construire de magnifiques manoirs le long de Hungjao Road et aux abords du golf. Le plus illustre d'entre eux, Victor Sassoon, magnat de l'immobilier haut en couleur (à l'origine de ce qui est aujourd'hui le Peace Hotel sur le Bund – entre autres), y fait élever deux vastes maisons de campagne. Il baptise l'une d'entre elles Rubicon Garden, du nom de la petite rivière qu'enjambe encore aujourd'hui Hongqiao Lu juste avant le zoo. Pour ces tycoons, Hongqiao devait en effet sembler aussi éloigné que l'était le Rubicon de la capitale antique et Shanghai était sans nul doute leur nouvelle Rome…

Parc de Xijiao puis zoo de Shanghai

Le golf sera occupé par les Japonais durant la Seconde Guerre Mondiale. Les officiers de l'armée nippone se consacreront à leur tour aux plaisirs bucoliques du golf, puis remettront, en 1945 au moment de leur défaite, les clefs aux propriétaires britanniques. Il sera restitué en parfait état – ce qui est loin d’avoir été le cas pour d'autres infrastructures. Mais, entre gentlemen golfeurs point de coup bas.

Vue aérienne du golf et de ses alentours en 1948

Les communistes siffleront toutefois la fin de la partie en 1953 quand le terrain sera « vendu » et restitué à la ville de Shanghai. Plaisir bourgeois honni par les autorités de l'époque, le golf sera impitoyablement transformé en un parc public nommé « Parc de Xijiao » (Xi/西 : Ouest, Jiao/郊 : banlieue).

Ensuite, en 1963, la municipalité décidera de regrouper tous les animaux exposés dans les parcs de Shanghai (principalement ceux du Parc Zhongshan et ceux du Parc Fuxing) au Parc de Xijiao qui deviendra alors un vrai zoo. Il n'en prendra toutefois le nom qu’en 1981 en devenant officiellement le « Zoo de Shanghai ».

L'entrée du Parc de Xijiao

Que reste-t-il ?

A deux pas des flots nonchalant et impénétrables de ce qu'on appelle aujourd'hui non plus le Rubicon mais le Xin Jing Gang, Rubicon Garden subsiste mais ne se visite malheureusement pas. Classé comme monument historique, dans un état de conservation relativement bon, ce véritable petit cottage anglais est encore parfaitement visible depuis Hongqiao Lu (au n°2310). Il devrait être restauré dans un avenir proche – mais incertain.

Façade Nord de Rubicon Garden de nos jours

Quant au golf : il ne reste plus rien du bâtiment du club qui a été probablement détruit au début des années 1980, et a été remplacé par une série de bâtiments administratifs liés au zoo (situés au coin Sud-Est, aujourd'hui au croisement de Hongqiao Lu et Hami Lu). Une partie de l'allée d'arbres y conduisant, quelques hauts platanes probablement centenaires, semblent toutefois d'époque. On peut les apercevoir depuis Hami Lu. Le plan au sol de la partie située à l'entrée du zoo est également très proche de ce qu'était la disposition des parcours de golf. Les petits plans d'eau, les vastes pelouses restent le témoignage de cette époque aujourd'hui révolue. Mais ce sont surtout les arbres, encore une fois, qui semblent avoir été conservés. Ah ! si seulement les platanes de Shanghai pouvaient parler…