Joseph Gabet, le compagnon oublié

De Histoire de Chine

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rédigé par Claire Le Chatelier

« Truculent, haut en couleur, avec son tempérament exubérant et sa langue bien pendue, Huc a presque entièrement éclipsé la figure de son compagnon, le P. Gabet, qui, lui, semble avoir été animé d’un zèle évangélique d’une qualité plus profonde ». C’est ainsi que Simon Leys nous introduit Joseph Gabet dans Les tribulations d’un gascon en Chine.

À la lecture des souvenirs de voyages d’Evariste Huc, on serait en effet tenté de penser que Joseph Gabet n’était que son falot compagnon. On s’étonne d’ailleurs de la façon dont J. Gabet demeure invisible dans les livres du Père Huc, après deux ans d’une expédition qui les avait poussé probablement à un étroit compagnonnage : quelques lignes dans l’Empire chinois pour, à l’annonce de sa mort, rappeler leur ancienne association…  

En réalité, le Père Gabet était le plus âgé et même le supérieur hiérarchique de l’expédition. Né à Nevy sur Seille dans le Jura le 4 décembre 1808, ordonné prêtre le 27 octobre 1833 et lazariste le 22 février 1834, il s’embarque le 21 mars 1835 pour la Chine sur le Edmont au Havre, le 26 juin arrive à Batavia, embarque sur le Royal George qui quitte le port de Surabaya le 7 août pour Macao où il arrive le 29 du même mois. Il prononce ses vœux religieux le 6 mars 1836 et le 15 août part pour la mission de Mongolie qu’il atteint le 6 mars 1837.

Il passe plusieurs années en Mandchourie et en Chine du nord. A Jéhol il converti deux lamas, l’un de 25 ans baptisé Paul, l’autre d’à peine 20 ans, baptisé Pierre. Ce dernier fut envoyé à Macao et devint le lazariste M. Fong. Le Père Gabès écrit un traité de doctrine chrétienne en mongol traduit en mandchoue grâce au baptise Paul qui lui enseigne le mandchoue, ainsi qu’une grammaire mandchoue et une réfutation du bouddhisme. Le Père Gabet convertit un bonze, Jean Baptiste qui est le fameux « samdadchiemba » dont parle Huc.

À l’été 1844, Gabet chargé d’ouvrir la mission de Mongolie se choisit Huc comme collègue. Ils se mettent en route pour une prospection apostolique et atteignent Lhassa, qui, contrairement à ce que le Père Huc voulut faire croire par la suite, n’avait jamais été l’objectif initial de leur voyage.

Quand les voyageurs arrivèrent à Macao début octobre 1846, un différent d’ordre administratif opposa M. Guillet, procureur des Lazaristes et le Père Gabet au sujet de la nomination de celui-ci comme coadjuteur de Mgr Mouly, vicaire apostolique de Mongolie. Les lazaristes restent silencieux sur le sujet. Gabet avait été pressenti pour l’épiscopat à une réunion du conseil des lazaristes à Paris en avril 1844, mais c’est en fait le Père Florent Daguin qui fut nommé.

Des missionnaires au Thibet

Quoiqu’il en soit, au lieu de se reposer à Macao, et de repartir en Mongolie, le Père Gabet en novembre 1846 réembarqua, et par la route de la mer rouge arriva à Marseille en janvier 1847. De là, il partit pour Paris où il resta jusqu’au 6 avril puis chez lui dans le Jura et arriva à Rome le 14 août.

Le Père Gabès s’emploie à obtenir le soutien du gouvernement français pour retourner a Lhassa d’où il estime qu’il a été injustement chassé par le résident chinois, et à faire connaître aux supérieurs des lazaristes et au Pape Pie IX l’état des missions de Chine. D’où les publications suivantes :

  • Considérations sur nos missions de Chine, 1er semestre 1847, archives de la congrégation de la Mission de Paris.
  • Lettre au cardinal Fransoni, préfet de la congrégation de la propagande à Rome, août 1847.
  • Rapport au Pape Pie IX, rendant compte de 12 années de mission en Chine, 25 août 1847.
  • Coup d’œil sur l’état des missions en chine, précédé de, Lettre à Pie IX du 12 octobre 1847, Poissy  1848 et qui reprend des thèmes des Considérations.

Le memorendum de Gabet montre le respect que lui inspirèrent les valeurs chinoises, respect dont certains de ses confrères missionnaires demeuraient largement incapables. Joseph Gabet expose les raisons de l'échec des missions en Chine : rivalités entre congrégations, effectifs insuffisants du clergé local et répugnance à former des prêtres chinois et à leur faire confiance et enfin connaissance inadéquate que les missionnaires ont de la langue et de la culture chinoise, ce qui empêche leur prédication d’être prise au sérieux. Le texte de Joseph Gabet, remarquable de clairvoyance et de clarté, au-delà des missions en Chine, pose indirectement le problème des rapports entre l'Occident et l'Orient. Son insistance sur l’établissement d’un clergé chinois, son manque de préjugé, ses largeurs de vues firent que ce mémoire recut un accueil mitigé du à un eurocentrisme de la mentalité missionnaire de l’époque proche de l’état d’esprit de la conquête coloniale. En 1850 E. J. F. Verrolles, le vicaire apostolique de Mandchourie réussira à le faire condamner par la Congrégation pour la Propagation de la Foi... Entre-temps, le Père Gabet avait été envoyé en mission en 1849  au Brésil, où il mourra de fièvre jaune en 1853, près de Rio de Janeiro. Il avait 45 ans.

Sources

  • Anthropologie et missiologie XIX-XX siècle : entre connivence et rivalité, Olivier Servais, Gerard van’t Spijker, Karthala editions, 2004
  • Voyage en Tartarie et au Tibet, introduction de Paul Pelliot, Édition réimprimée, illustrée Éditeur Routledge, Evariste Huc
  • L’Empire Chinois, Evariste Huc
  • Lettres de M. Gabet, missionnaire lazariste, Nouvelles annales des voyages, 1845 et 1848
  • LES MISSIONS CATHOLIQUES EN CHINE EN 1846. Coup d'oeil sur l'état des Missions de Chine présenté au Saint-Père le Pape Pie IX, Joseph Gabet
  • Lettres de Chine et d'ailleurs - 1835-1860, Evariste Huc, Joseph Gabet
  • La Politique Missionnaire de la France en Chine 1842 1856, Wei Louis
  • Mongolie et pays des Tangoutes, N. Prjevalski, St Petersbourg, 1875
  • L'Église catholique en Chine au XXe siècle, Claude Soetens, Editions Beauchesne, 1997