L’implantation consulaire française en Chine du Sud-Ouest

De Histoire de Chine

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rédigé par Jacques Dumasy (Consul Général de France à Chengdu, 2009)

Le traité de Huangpu (Whampoa), signé le 24 octobre 1844 entre la France et la Chine, est la base de la création des premiers établissements diplomatiques et consulaires en Chine : dès 1843, Théodore de Lagrenée, chargé par Guizot d’établir des relations avec la Chine, a installé sa délégation diplomatique (ambassade) à Macao. Elle y sera maintenue jusqu’à son transfert à Shanghai en 1860 puis à Pékin en 1862.

Parallèlement, des consulats s’installent à Canton dès 1840, à Xiamen en 1846, à Hankou et Tianjin en 1863, à Ningbo en 1864, à Fuzhou en 1868. Une vague d’établissements consulaires est créée en Chine du sud après la conquête du Tonkin : Beihai en 1887, Longzhou et Mengzi en 1889, Donxing, Hekou, Simao et Chongqing en 1896, Haikou en 1897, Shantou et Chengdu en 1906, Nanning en 1908, Kunming en 1920, le dernier a être officiellement créé (mais un consul honoraire, Auguste François, y séjourne dès 1900…).

La création en 1896 du Consulat Général de Chongqing, confié à Frédéric Haas, répond à la volonté de s’implanter là où peuvent remonter le plus en aval du Yang-Tsé les navires de Shanghai. C’est une position commerciale et militaire avantageuse, bien perçue comme telle par les Britanniques, porte d’entrée des provinces du Sichuan et du Guizhou, et une base d’exploration des territoires plus à l’ouest et peu connus du haut Yang-Tsé, vers le Tibet et les fleuves himalayens descendant vers le Tonkin.

La Bastille, édifiée à Chongqing par la Marine Française pour servir de base aux bâtiments remontant le Yang-Tsé depuis Shanghai

Au début du XXème siècle, une vingtaine de français y résident ; deux sociétés commerciales sont présentes : « La compagnie des Indes et de l’Extrême-Orient » et la maison « Antoine Chiris » ; la mission catholique possède un hôpital et une école, dirigée par trois frères maristes, et s’occupe également d’œuvres de charité pour les Chinois, notamment un orphelinat, un refuge pour femmes seules et un hospice pour vieillards. Les sœurs franciscaines ont ouvert de leur côté une école pour jeunes chinoises chrétiennes. Nos militaires y édifient également, dès 1902, la « Bastille », fier immeuble de facture classique au confluent du Yang-Tsé et du Jialing pour y accueillir nos canonnières remontant de Shanghai.

Le 27 mars 1900, Pierre-Rémi Bons d’Anty est nommé par décret Consul Général de France à Chongqing, où il était arrivé quelques mois plus tôt pour remplacer Frédéric Haas. Dès son arrivée, il se montre particulièrement entreprenant et soucieux de pénétrer plus avant à l’intérieur de l’ouest chinois, à l’image de l’effort déjà entrepris par le Gouvernement britannique. La percée française en Indochine prend parallèlement son plein essor à la fin du XIXème siècle avec l’arrivée de Paul Doumer comme gouverneur et la constitution à Paris d’un Ministère des Colonies. Doumer rêve de faire du Tonkin la base d’une pénétration française en Chine et de rivaliser ainsi avec les Britanniques et Hong Kong en ouvrant un accès vers le Yunnan et le Sichuan par le Fleuve Rouge et une voie ferrée. Les diplomates du Quai d’Orsay cherchent à freiner l’aventurisme de Doumer qui, en 1899, envisage d’engager des troupes au Yunnan. Delcassé, le Ministre des Affaires Etrangères, envoie à Kunming en décembre de la même année, un homme expérimenté, Auguste François, promu Consul Général honoraire (la création d’un véritable Consulat n’est pas autorisée par les autorités chinoises) avec des consignes claires : « On compte sur vous pour tenir en bride Doumer et réprimer ses écarts… Efforcez-vous de ne pas briser avec lui : je ne suis pas certain que vous serez soutenu jusqu’au bout. Evitez la casse tout en nous secondant ici où nous avons besoin de toute notre liberté et sans risque d’être gêné par des affaires en Extrême-Orient. Il est nécessaire que vous sachiez que nous visons à rien en Chine. Notre table est mise ailleurs ; c’est au Maroc qu nous allons ». Faciliter auprès des mandarins la construction pacifique du chemin de fer du Tonkin au Yunnan, tout en s’opposant aux visées annexionnistes des agents placés à Kunming par le Gouverneur de l’Indochine, telle est la politique difficile que mènera avec brio Auguste François.

La prudence du Ministère des Affaires Etrangères est certes liée à nos priorités maghrébines, mais aussi à l’équilibre recherché avec les Anglais en Chine. La « déclaration de Londres », signée le 15 février en 1896 par la France et l’Angleterre, prévoyait en effet que tous les avantages concédés à l’une ou l‘autre dans le Yunnan ou le Sichuan seraient « autant qu’il dépend du gouvernement des ces deux pays, étendus ou rendus communs aux deux puissances ». En conséquence, un envoi de troupes à Kunming risquait d’être suivi d’un détachement anglais dans la même localité, ou pire : l’Angleterre, considérant rompu l’accord, pouvait s’avancer dans le Sichuan.

Comme le perçoit bien Bons d’Anty à Chongqing, l’obligation d’éviter l’aventure militaire en Chine du sud-ouest a pour corollaire la nécessité d’y intensifier notre présence diplomatique et économique dans le cadre d’une compétition ouverte avec l’Angleterre. Chongqing n’est donc qu’une étape sur la route de Chengdu, l’objectif restant d’établir une jonction « pacifique » entre le Sichuan et le Yunnan et au-delà l’Indochine. Les Anglais, une fois de plus, tirent les premiers : en 1904, le gouvernement de sa Majesté envoie Sir Alexander Hoise à Chengdu avec le titre de « Consul Général au Sichuan avec résidence à Chengdu ». Mais une difficulté surgit : Chengdu est bien la capitale politique de la province, le siège des administrations et le lieu de résidence du Vice-roi mais les traités conclus entre la Chine et les puissances étrangères ne lui ont jamais accordé le statut de « ville ouverte » et elle ne peut donc pas être le siège de consulat, de plein droit. Sur la base d’un rapport en ce sens du Vice-roi Xi Liang, le Ministère des Affaires Etrangères chinois indiqua officiellement à la Légation d’Angleterre à Pékin que seul pouvait être utilisé l’intitulé « consul Général pour le Sichuan en résidence à Chongqing », mais que « toute latitude était laissée à l’agent anglais de se fixer à Chengdu où il serait considéré ainsi comme se trouvant en mission permanente ». Les Britanniques acceptèrent cet arrangement.

Conscient de ces difficultés et souhaitant réagir rapidement à l’initiative anglaise, le Quai d’Orsay donne instruction, en 1905, à Bons d’Anty, de s’installer à Chengdu. En décembre, Bons d’Anty obtient l’autorisation de rentrer en congés en France pour un an. Il y est élevé au grade de Consul Général par décret du 3 avril 1906. Dans la foulée, par décret du 1er juillet 1906, Chengdu est édifié en consulat général. Il s’agit là d’une décision unilatérale que les autorités chinoises, pour les motifs indiqués ci-dessus, ne cesseront pas de contester. Bons étant en congés, la gérance du Consulat Général de Chengdu est confiée provisoirement à Alphonse Doire qui assurait jusqu’alors la gérance de Chongqing, transformé en vice-consulat et confié à Armand Hauchecorne. De retour en Chine en janvier Bons d’Anty, sur instruction de son ministère, passe six mois à arpenter le Hunan et le Guizhou en mission de reconnaissance. Ce n’est qu’en juillet 1907 qu’il prend effectivement possession de son poste de Consul Général à Chengdu. Il y restera jusqu’en 1916 laissant ainsi une empreinte de seize années passées au Sichuan.

Le présent article s’inspire du remarquable catalogue « La France et le Sichuan, un regard centenaire » tenue à Chengdu en octobre 2007 à l’initiative du Consul Général, Jacques Dumasy.