La Gazette de Changhai : (1) La genèse

De Histoire de Chine

rédigé par Charles Lagrange

Chers amis lecteurs,

La série d’articles historiques qui vont paraitre chaque mois sur le compte officiel de la Société d’Histoire des Français de Chine vous proposera une navigation dans le temps et vous guidera tout au long du tracé de la présence française à Shanghai, épopée à la fois merveilleuse et dramatique d’un destin commun entre Chinois et Français dans ce qui fut, de 1849 à 1943, la Concession française de Changhai.

Cette rubrique vous fera vivre les grands moments de celle-ci à travers une série de thèmes dont de nombreux endroits sont encore aujourd’hui de précieux témoignages. Puissent ces articles susciter votre intérêt pour cette ville et vous aider à découvrir son charme désuet qui la rend si unique.

À l’aube du XIXème siècle, l’Empire du Milieu, géré d’une main autoritaire par la dynastie Qing, est un pays fermé à toute influence étrangère, qu’elle soit commerciale ou culturelle. Au XVIème siècle pourtant, l’Empereur avait octroyé aux Portugais l’enclave de Macao en reconnaissance de leur aide à chasser les pirates des mers.

Au XVIIème, les jésuites, à la suite de Matteo Ricci, avaient pu se faire admettre à la cours de Pékin, grâce à leurs connaissances scientifiques et surtout leur politique d’adaptation aux valeurs chinoises et aux rites confucéens.

Au XVIIIème siècle, autant les commerçants portugais se voyaient-ils confinés sur leur langue de sable, autant les religieux dont Rome ne soutenait pas le « rite chinois », se voyaient-ils pourchassés.

Si la situation des chrétiens en Chine était catastrophique en cette fin du XVIIIème siècle, celle des commerçants étrangers ne valait guère mieux.

En effet, depuis le milieu du siècle, ceux-ci avaient reçu le droit de commercer avec la Chine au travers d’un seul point d’entrée, le port de Canton.

Ce commerce était saisonnier car chaque hiver les commerçants étrangers étaient priés de rentrer chez eux. Les droits d’importation étaient prélevés par une caste privilégiée d’intermédiaires, les Co-Hongs, dont la rapacité n’avait pas de limites.

D’autre part, la mission Macartney de 1793 avait laissé un gout très amer aux Britanniques qui désiraient tisser des relations diplomatiques et étendre leur accès au marché chinois.

La fin de non recevoir de l’Empereur et la deuxième rebuffade lors de la mission Amherst de 1816 , achèvent de conforter les Anglais que seule la force pouvait amener la Chine à s’ouvrir.

En 1834 est abrogé le monopole de la Compagnie des Indes Orientales qui centralisait le commerce avec la Chine depuis plus d’un siècle.

Sigle de l’East India Company

La porte se trouve donc ouverte à tous pour commercer avec l’Empire du Milieu, mais celle-ci est close et il faut trouver un prétexte pour l’ouvrir.

C’est malheureusement le moins glorieux d’entre eux qu’utilisent les Anglais.

Le thé, la soie et le coton avaient été payés de tous temps en lingots et en pièces d’argent. D’une part celui-ci vient à manquer en Europe, et d’autre part les Anglais voient se développer aux Indes des cultures exportables.

Parmi celles-ci se trouve l’opium qu’ils sont prompts à utiliser comme monnaie d’échange à la place de l’argent.

Ce commerce est vite florissant, car le produit attire de plus en plus de Chinois, à tel point que l’Empereur s’en émeut et décide d’en interdire l’importation.

En 1839, Pékin charge Lin Zexu, un fonctionnaire connu pour son habileté, de mettre fin à l’importation de l’opium à Canton.

Celui-ci utilise un mélange de force et de persuasion. Il empêche les marchands européens de quitter l’ile de Shameen (Shamian) où ils résident, et ce jusqu’au moment où ils livreraient tout leur stock d’opium.

Il écrit également à la reine Victoria pour l’inciter à arrêter la culture de l’opium aux Indes et son importation en Chine.

Les marchand doivent obtempérer et plus de 2000 caisses d’opium sont détruites.

Lin Zexu et la destruction de l’opium

Le parlement anglais voit en ce geste le prétexte qu’il attendait pour exiger de la Chine la liberté de commercer, fut-ce un commerce illicite !

Les autorités britanniques envoyent un ultimatum à la Chine en les menaçant de bloquer tous les ports et de saisir tous les navires chinois.

Un accord est négocié donnant aux Anglais des droits privilégiés sur Hong Kong et une indemnité de 6 millions de dollars.

L’accord est cependant rejeté par Pékin et le nouvel envoyé anglais, Sir Henry Pottinger, reçoit l’instruction de démarrer les hostilités.

La flotte anglaise défait fort facilement les garnisons de Canton, puis celles de Amoy (Xiamen), Ningbo et Changhai. Lorsque la flotte remonte le Yang Tsé pour attaquer Nankin, l’Empereur décide d’envoyer son émissaire Qiying afin de négocier avec Pottinger un traité de paix.

Les traités « de Nankin » et « de La Bogue » sont signés en Août 1842.

Outre les conditions déjà négociées avec Elliot, ils ouvrent 5 ports au commerce avec les étrangers, les autorisant en outre à y résider : Canton, Fuzhou, Amoy (Xiamen) Ningbo et Changhai.

Les Etats-Unis sont prompts à suivre les Anglais en exploitant la clause dite de « la nation la plus favorisée » stipulant que toute concession accordée par la Chine à d’autres pays se devait de l’être au signataire. Il signent avec Qiying le Traité de Wang-hia, le 3 juillet 1843.

La France avait eu un consulat à Canton dès 1776 mais que le dernier agent consulaire avait quitté en 1801. Sous la pression des chambres de commerce, soucieuses de développer leurs activités en Chine, le gouvernement du roi Louis-Philippe décide en 1839 d’y envoyer un nouveau gérant du poste.

Le gouvernement du roi, fort au fait des privilèges acquis par l’Angleterre et les Etats-Unis, dépêche ensuite une importante délégation dirigée par un diplomate chevronné : Théodore de Lagrené.

Théodore de Lagrené

La délégation, naviguant à bord d’une frégate et deux corvettes, arrive à Macao le 13 août 1844. Le 24 octobre 1844, soit après plus de deux mois de négociations avec les représentants de l’Empereur, M. de Lagrené signe enfin le traité de Whampoa, qui en plus des accords d’ouverture au commerce des 5 ports, octroye le droit aux Français de « louer ou bâtir des maisons et des magasins pour y entreposer leurs marchandises » et également « y établir des églises, des hôpitaux, des hospices, des écoles et des cimetières ».

Avec ce traité, une convention supplémentaire assure la protection des missionnaires catholiques en garantissant leur reconduite auprès du Consul de France si une autorité chinoise locale les jugeait indésirables, et l'absence de persécution pour les Chinois catholiques à qui rien d'autre ne pouvait être reproché.

Le traité de Whampoa

La signature du traité de Whampoa permet aux missionnaires de revenir en Chine par la grande porte : ils s’y engouffrent alors que l’encre n’était pas encore sèche. C’est également grâce à ce traité que la France allait officiellement prendre pied à Changhai, ce que nous verrons dans un prochain article... Restez branchés !