La Gazette de Changhai : (18) Les observatoires

De Histoire de Chine

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rédigé par Charles Lagrange

Dès le début du XVIIème siècle et ce pendant presque 150 ans, les jésuites avaient dirigé l’observatoire de l’empereur à Pékin, initiant par là même une longue tradition d’appui scientifique aux autorités chinoises. Dès qu’ils purent reprendre pied au Kiangnan en 1842, ils n’auront de cesse de redéployer cette expertise au service de tous et ce, au travers de deux institutions qui auront une renommée mondiale : les observatoires de Zi-Ka-Wei (Xujiahui) crée en 1873 et celui de Zô-Sé (She Shan) construit en 1901.  

Une extension naturelle de l’implantation à Zi-Ka-Wei (Xujiahui)

En 1873, nait l’observatoire de Zi-Ka-Wei, à peine vingt ans, après le déploiement des activités de charité et d'enseignement, dans le domaine jouxtant la sépulture du premier évêque chinois Paul Siu (Xu Guanqi) mort en 1637.

L’observatoire magnétique en 1877

L’observatoire est créé à l’initiative du père Gotteland, père fondateur du domaine de Zi-Ka-Wei. Des instruments astronomiques comprenant un télescope avaient été amenés par les premiers arrivants dès 1842. En 1865, le père Henri Le Lec devient professeur de sciences à l’école St Ignace et 7 ans plus tard, il fonde une première station d’observations météorologiques dans le jardin du domaine.  

En Novembre 1872, il est décidé de créer un véritable observatoire, ainsi d’ailleurs qu’un Musée d’histoire naturelle dont nous reparlerons plus tard.

En septembre 1873 la construction du bâtiment est terminée à l’est du domaine, le long de la rivière Siccawei (Zhaojiabang creek), comprenant une salle des instruments, une bibliothèque et la chambre des pères.

Le père Le Lec s’adjoint l’aide de deux éminents collègues : les pères Augustin Colombel qui dirigera l’établissement pendant les deux premières années, et surtout le père Marc Dechevrens, un scientifique brillant qui le dirigea pendant les 10 ans qui suivront.

Dès 1873 sont publiées les observations météorologiques de la région et en janvier 1877 est publié le premier « Bulletin mensuel de l’observatoire magnétique et météorologique de Zi Ka Wei ».

L’activité prenant de l’extension, les jésuites décident d’agrandir le petit bâtiment initial et en 1880 les pères s’installent dans un nouveau bâtiment.

L’observatoire de Zi Ka Wei après 1880


Deux nouvelles ailes et une tour seront ajoutées vingt ans plus tard pour arriver à la structure que nous pouvons toujours voir aujourd’hui (280, North Caoxi road) : trois étages de style roman avec un escalier magistral conduisant à la tour construite devant le bâtiment initial, tour qui sera surélevée en 1907.

L’Observatoire de Zi Ka Wei en 1901

Le développement des domaines de compétence

De simples mesures météorologiques faites au début, l’équipe des chercheurs de l’observatoire oriente ses études vers le magnétisme terrestre et en 1884, les services sont divisés en quatre départements : astronomie, météorologie, sismique et magnétisme terrestre.

Dès 1887 apparaissent des communications de l’observatoire dans l’Annuaire de la Société Météorologique de France.

Bulletin météorologique de l’observatoire de septembre 1874

En 10 ans, pas moins de 21 études spéciales sur la physique du globe sont publiées à Zi-Ka-Wei. Parmi celles-ci, notons des recherches sur les variations horizontales et verticales de la vitesse du vent, qui avaient été réalisées sur un anémomètre géant construit dans la cour de l’observatoire.

Parmi celles-ci figurent également des études sur les cyclones, ainsi que sur les variations magnétiques lors des éclipses de lune.

En 1908 la ligne de tramway (dont nous reparlerons) sera prolongée jusqu'à Zi-Ka-Wei. Cette ligne induira tellement d’interférences que tous les instruments de mesure du champ magnétique seront transférés à Lukiapang (Lujiabang), à mi-distance entre Changhai et Soochow (Suzhou) dans des installations construites tout exprès.

En 1889, le père Deschevrens doit rentrer en France pour raisons de santé et le père Stanislas Chevalier lui succède. Celui-ci avait entrepris un long voyage au Sichuan pendant lequel il avait procédé à de nombreuses observations géographiques qui lui ont permis de publier un atlas détaillé de la haute vallée du Yang Tsé, œuvre qui est restée une référence pendant des décennies.

Le père Chevalier publie de nombreuses études sur les tempêtes, les moussons, ainsi que sur les variations de pression atmosphérique en Sibérie et en Extrême Orient.

Peu après, il oriente ses études vers l’astronomie et il est alors décidé d’acquérir un double télescope qui sera amené à Changhai en 1901.

Le télescope sera installé au sommet de la colline de Zô-Sé (She Shan), à 30 kilomètres à l’ouest de la ville, colline qui était au départ un lieu de villégiature des pères et qui deviendra un lieu de pèlerinage important et sur lequel sera érigée une basilique 30 ans plus tard.

L’observatoire de Zô Sé à la fin du XIXème

Dès le début du XXème se développera donc à Zô-Sé une expertise sur les positions et les magnitudes des étoiles et planètes. En effet, le télescope sera doté d’un système d’enregistrements photographiques qui permettra à l’équipe de contribuer à l’avancement des connaissances sur les constellations, les comètes, la Lune, Jupiter, le Soleil et plus particulièrement les taches solaires, etc.

Le père Stanislas Chevalier à l’œuvre sur le télescope de Zô-Sé


Trois ans plus tard le département d’études sismiques se développera encore, suite au don par le gouvernement japonais d’un pendule « Omori ».

En 1909 lui sera adjoint un pendule astatique vertical « Wiechert » et en 1914, un sismographe « Galitzin ».

Suivront alors et ce jusqu’à la fin de la présence des jésuites à Zô-Sé, une série impressionnante de publications sur la sismologie terrestre.

L’observatoire existe toujours et son musée comprend la plupart des instruments : nous vous conseillons vivement d’aller le visiter.

Les Services météorologiques de Zi Ka Wei

Le typhon qui dévaste la région de Changhai le 31 juillet 1879 est amplement décrit dans un article qui fait grande impression parmi les tous les marchands de la ville. Il est alors décidé d’organiser un service de veille et d’en confier la gestion à l’observatoire.

Sémaphore du Bund après 1906

La chose est promptement organisée et dès 1882, l’observatoire publie un communiqué transmis à tous les journaux de la ville qui détaille toutes les données météorologiques du jour ainsi que les prévisions du lendemain.

Robert Hart, Directeur général des Douanes Maritimes chinoises, prête immédiatement son concours à l’observatoire en aménageant des postes d’observation dans tous les bureaux de douane du pays.

En 1884, le conseil municipal de la Concession Française finance la construction d’un sémaphore bâtit sur le Bund, à la frontière entre les deux concessions (intersection Yanan lu/Waitan) et relié par télégraphe à l’observatoire.

A dater de cette année, le service de météorologie de l’observatoire émet tous les jours ses deux bulletins au service de tous.


La qualité du service s’améliorera avec le temps :

  • Dès 1896, des cartes sont établies quotidiennement et affichées au sémaphore.
  • En 1898, de nouveaux codes sont créés pour mieux décrire la position des cyclones, l’importance des dépressions, la direction du vent, les marées, etc. De plus, ces codes sont adoptés par les douanes dans toute la Chine.
  • En 1906 le sémaphore qui n’était qu’un mat haubané sera construit en dur (le bâtiment – bien qu’ayant été déplacé de 65 mètres vers le sud lors de la construction du viaduc de Yanan lu qui a lui-même disparu - peut toujours être admiré aujourd’hui).
  • Plus tard, en 1913, le Conseil municipal donnera accès à son système de TSF.
  • Dès 1914 tous les navires recevront les bulletins par TSF deux fois par jour.
  • En 1918 les codes seront complétés et de plus, l’observatoire proposera à tous les capitaines de navires un service d’étalonnage des baromètres et des chronomètres.
Code des signaux du sémaphore

Que ce soit en astronomie ou en météorologie, les observatoires opérés par les jésuites de Zi-Ka-Wei et Zô-Sé ont donc été une source vitale d’information pour tous les navires marchands du pays et leur compétence rayonnera bien au-delà des mers de Chine.  


Une autre réalisation des jésuites a eu comme origine la passion d’un homme et aboutira à la plus fantastique collection d’échantillons de faune de flore de Chine ainsi que d’artisanat local : la collection Heude. Nous en parlerons la prochaine fois… Restez branchés.