La Gazette de Changhai : (22) Le conflit Franco-Chinois (2)

De Histoire de Chine

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rédigé par Charles Lagrange

Dans l’article précédent, nous avons passé en revue les événements qui ont été à l’origine du conflit entre la Chine et la France. Les dispositions de la convention de Tientsin, signée le 11 mai 1884 n’ont pas été respectées par la partie chinoise. La France décide de montrer les dents et l’escadre d’Extrême-Orient reçoit le 2 août 1884 l’ordre d’occuper Keelung – sur l’île de Taïwan –, afin de couper l’approvisionnement en charbon de la flotte chinoise.

Nous sommes en août 1884.

Les batailles de Keelung et la bataille de Fuzhou

Scène de la bataille de Keelung

Le 5 août, le Commandant Lespès fait donner du canon sur les forteresses défendant la baie de Keelung. Il se rend maître de la ville mais se trouve encore à quelques kilomètres des mines de charbon, dont l’attaque lui semble trop risquée compte tenu de ses effectifs.

Entretemps, à Fuzhou, les deux flottes se regardent en chien de faïence…

À Changhai où résident les plénipotentiaires chinois, Patenôtre remet une note les informant des raisons de l’attaque de Keelung : cette prise est en quelque sorte un gage pour la mise en place des dispositions prévues par la Convention de Tientsin.

Scène de la bataille de Fuzhou

Pendant ce temps, les Chinois renforcent leurs effectifs à Fuzhou : leur flotte se compose maintenant de 9 bateaux de guerre, 10 jonques armées et diverses embarcations de soutien.

Ils disposent des batteries supplémentaires sur le monticule de la Pagode.

Le lendemain, Courbet fait venir La Triomphante et Le Drac qui étaient en position à Changhai.

Le 22 août, ordre est donné à l’amiral d’attaquer la flotte chinoise stationnée à Fuzhou.

À 1h45, Courbet donne du canon. 2 heures plus tard, plus aucun navire chinois n’est en état de combattre mais les batteries de terre continuent à tonner.

Les pertes chinoises sont estimées à 22 navires et jonques, 5 commandants, 39 officiers et 2000 soldats et marins. Les Français déplorent 6 tués et 27 blessés.

Le lendemain, Courbet décide de bombarder l’arsenal – construit par les Français – et ce, pour ne pas risquer la vie de 600 hommes d’infanterie de marine devant affronter des milliers de Chinois. Les canons de 19 et 24 du Duguay-Trouin et de La Triomphante ne peuvent être utilisés, aussi il bombarde avec des canons de 14 ou de 10 et parvient à détruire la fonderie, l’atelier de dessin, et crible un navire en construction.

Le 25, deux compagnies sont envoyées pour enlever les 3 canons Krupp de la Pagode.

Les navires descendent la rivière Min sous le feu de batteries positionnées dans les forteresses de Kimpaï et Mingan qui sont prises à revers.

Le 29, toute la passe est « nettoyée » et tous les bâtiments de la flotte regagnent le large où était réfugié le navire danois de la North Eastern Telegraph qui transmettait les messages vers la France.

Le même jour, les deux divisions de Chine et du Tonkin sont officiellement regroupée sous le nom « Escadre d’Extrême Orient ».

Scène de la bataille de Tamsui

Trois jours plus tard, La Triomphante mouille au large de Keelung, rejointe par le Parseval qui était resté à Changhai pour parer à toute éventualité.

Décision est prise de sécuriser toute la région autour de la ville, et de bloquer le trafic de marchandises qui passait par le fleuve Tamsui et rejoignait Keelung par la terre.

Le 1er octobre, l’attaque de Keelung commence et le lendemain, tous les forts entourant la ville sont réduits au silence.

Entretemps, le contre-amiral Lespès arrive au large de Tamsui, et bombarde le « Fort Rouge » qui garde l’embouchure du fleuve.

Il lance une attaque terrestre qui se solde par un échec.

Le 11 octobre, Jules Ferry fait savoir à Li Hongzhang qu’il serait opportun de nommer un tiers pour poursuivre les négociations afin de concrétiser le retrait des troupes chinoises du Tonkin, ratifier le traité de Tientsin et maintenir la flotte à Taiwan durant celles-ci.

Li Hongzhang, avisé de l’échec du débarquement à Tamsui, rompt les pourparlers.

Le blocus de Formose (Taiwan)

Le 23 octobre, la France décide de procéder au blocus de l’île de Formose. Celui-ci est conçu comme un « blocus pacifique », à savoir que seuls peuvent être arraisonnés les navires chinois qui transportent de la contrebande, c’est-à-dire, des armes des munitions ou des troupes, les navires battant pavillon étranger étant soumis à un simple contrôle dans les eaux internationales.

Croiseur Le Champlin

Pour ce faire, l’escadre est renforcée des croiseurs Rigault de Genouilly, Nielly et Champlin.

Les navires des Messageries Maritimes font escale à Keelung pour le courrier et n’accostent plus à Changhai pour des raisons évidentes de sécurité. Les passagers à destination de Changhai descendent à Hong Kong en embarquent sur des steamers anglais.

Keelung se transforme en base de ravitaillement, mais la vie sur place apporte son lot de maladies et 1/20ème des troupes sont malades ou doivent être rapatriées.

Le 22 janvier, les Anglais font savoir qu’ils ne peuvent plus autoriser les navires de guerre français à faire du charbon ou réparer à Hong Kong ou à Singapour.

D’autre part, les effectifs chinois sur l’île étaient passé de 5.000 à 30.000 en l’espace de quelques semaines.

Les Français décident alors d’étendre le contrôle et l’arraisonnement aux navires étrangers.

Il faut savoir que depuis le mois d’août, la China Merchant Shipping Co. avait été vendue à la société américaine Russel & Co. et battaient donc pavillon américain !

Fin janvier, 2000 hommes arrivent de France en renfort et aménagent la ville de Keelung pour la rendre plus vivable.

Le blocus du riz

Voyant que du côté des parlementaires chinois rien ne bougeait, le 14 février, le gouvernement français décide de procéder au blocus du riz.

Chaque année, plus de 50.000 tonnes de riz étaient acheminés des provinces centrales vers le nord à partir du port de Changhai. Pour se faire, plus de 150 navires des sociétés Jardine & Matheson et Russel & Co. étaient affrétés, le Grand Canal étant inaccessible depuis longtemps sur plusieurs de ses tronçons.

Le gouvernement français décide d’étendre la liste de matériel de contrebande au riz.

L’escadre se positionne à l’embouchure du Yangzi et arraisonne tout bâtiment, chinois ou étranger, transportant du riz vers le nord de la Chine : s’il transporte la précieuse marchandise, le navire est conduit de force à Changhai, le riz débarqué et stocké sous bonne garde.

Les armateurs de Changhai renoncent donc à ce transport juteux en attendant que les choses se calment.

La prise des îles Pescadores (Penghu)

Contre-amiral Henri Rieunier

Suite à l’échec de la prise de l’estuaire du Tamsui, l’amiral Courbet décide de prendre pied sur une autre partie du territoire chinois et se fixe comme objectif les îles Pescadores.

Sa première action est de demander à la Marine du renfort. Sont alors envoyés, sous le commandement du contre-amiral Rieunier, le cuirassé Le Turenne, les croiseurs Magon, Roland, Primauguet, les canonnières Comète, et Sagittaire, deux torpilleurs et un navire d’appoint.

Port Makung, sur l’île Penghu, avec sa baie de 875 hectares et sa profondeur de 10 mètres, se prêtait parfaitement à l’établissement d’une base logistique.

Le 29 mars, est envoyé un détachement d’infanterie de marine avec 650 fusils et 6 canons.

A 17 heures, le port est sous contrôle avec 3 tués et 7 blessés du côté français et de 300 à 400 tués du côté chinois.

Scène de la bataille des Pescadores

Dès le début, la circulation des jonques est règlementée et le 30 mars, la flotte capture le navire de guerre chinois Ping-on, et avec lui, 750 hommes, 2 généraux et 10.000 Piastres.

Dès le 9 avril, le Tonkin apporte des informations encourageantes sur l’évolution des pourparlers de paix.

L’armistice et l’accord de paix

Dès février, Robert Hart, Directeur Général des Douanes Maritimes chinoises, avait remis une missive de l’Empereur proposant de reconnaitre la convention de Tientsin, de cesser toutes les hostilités et de lever le blocus de Formose. Les Français avaient accueilli la proposition avec des réserves.

Le 4 avril, ils proposent aux Chinois de retirer toutes leurs troupes du Tonkin, et dès que cette retraite se confirme, d’accepter un armistice et d’entamer les pourparlers de paix.

Le 13 avril, un décret impérial ratifie la convention de Tientsin du 11 mai 1884.

Les Français évacuent tout le matériel de Keelung et le débarquent aux Pescadores avec l’aide des Messageries Maritimes.

Monument Courbet à Abbeville

Entretemps, le Primauguet et le Nielly sèment la terreur parmi les consignataires de Changhai en arraisonnant tous les navires, dont le Waverley qui leur avait échappé à de nombreuses reprises.

Le 9 juin, le « traité de paix, de commerce et d’amitié » est signé et son article 9 stipule que dans le mois qui suit la signature, toutes les forces françaises devaient avoir évacué Keelung, les Pescadores et l’embouchure du Yanzi.

La santé de l’amiral Courbet se détériore et le 11 juin, il rend son âme à Dieu. Son corps est rapatrié en France. Les funérailles sont célébrées aux Invalides le 28 Aout et le 1er septembre, il est inhumé à Abbeville, sa ville natale.

Le 21 juin, l’évacuation de Keelung est terminée, et celle de Makung suit deux jours après.

Le 27 juillet, l’escadre d’Extrême Orient est dissoute et prend le nom de « division navale d’Extrême Orient ». Les cuirassés La Gallissonière, Turenne, Triomphante, les croiseurs Lapérouse, Primauguet, Champlin et Roland et les canonnières La Vipère et Sagittaire forment cette nouvelle division.  

Après cette page de l’histoire, nous allons nous pencher sur une page moins douloureuse : le grand projet franco-belge de construction de la ligne de chemin de fer Pékin-Hankou, dont les négociations ont été principalement menées à Changhai. Restez branchés…