La Gazette de Changhai : (23) La ligne de chemin de fer Pékin Hankou, un grand projet franco-belge (1)

De Histoire de Chine
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rédigé par Charles Lagrange

Le chemin de fer s’est développé en Europe dès le début du XIXe siècle, porté par un besoin de transport rapide et des industriels dynamiques. En Chine, si les toutes premières initiatives de construction de chemin de fer ont été initiées par les Chinois eux-mêmes, très vite la recherche de financement les a fait se tourner vers les puissances étrangères. L’intervention de celles-ci a sonné le départ d’une lutte d’influence sans pareil entre les Européens, les Russes et plus tard les Japonais.  

Les Belges à la conquête de marchés d’exportation

La première locomotive construite en Belgique

Les premières locomotives et les premiers rails utilisés en France et en Belgique sont de fabrication anglaise. Mais, très rapidement, des producteurs nationaux se révèlent capables de construire eux-mêmes ce matériel.

En Belgique, alors que le train circule seulement depuis mai 1835, l’entreprise Cockerill fournit déjà en décembre la première locomotive à vapeur construite dans le pays : « le Belge ». Et, dès 1839, deux autres producteurs livrent du matériel à l’État belge. La qualité de leur production est jugée telle qu’il ne sera plus nécessaire de passer des commandes aux Anglais.

Cette période marque le développement prodigieux d’une industrie ferroviaire florissante qui fera la richesse de la Belgique entre 1835 et 1913. Le pays compte pas moins de vingt constructeurs ferroviaires qui, de 1835 à 1950, produiront plus de 15.600 locomotives à vapeur. Environ 30% de ces engins sont fabriqués pour l’État belge tandis que 70% d’entre eux sont destinés à l’exportation ainsi qu’aux besoins de l’industrie privée du pays. Dès 1838, Cockerill devient le premier constructeur belge à vendre ses locomotives à l’étranger.

Dans un premier temps, les constructeurs belges prospectent dans les pays voisins. L’ouverture de la liaison avec Paris leur apporte même l’espoir de pouvoir exporter.

Mais, au fur et à mesure que la France et l’Allemagne commencent à fabriquer leurs propres locomotives et que leurs marchés se ferment aux importations, les producteurs belges se tournent vers des marchés de plus en plus lointains. Déjà, dans les années 1840, les constructeurs du Plat Pays font preuve d’un très grand dynamisme hors de leurs frontières : en Italie, en Autriche, en Grèce, au Portugal, en Espagne, en Égypte et au Mexique.

Les Belges seront ensuite très actifs en Russie, en Amérique latine ainsi qu’en Indonésie et en Chine. Des groupes comme ceux dirigés par Empain et Philippart vont alors devenir des spécialistes incontestés de la construction de tramways et de lignes secondaires dans le monde entier. Souvent, les investisseurs et les industriels belges s’associent à des financiers français, comme les Rothschild, avec lesquels ils créent des sociétés de chemins de fer à l’étranger.

Le réveil de l’industrie française

En raison de la construction plus lente d’un réseau de chemins de fer dans l’Hexagone, l’industrie ferroviaire française se développe plus tardivement qu’en Belgique. C’est surtout au cours des années 1840 que la situation décolle, donnant naissance à six grands producteurs de locomotives : Schneider & Co au Creusot, Fives-Lille, les Établissements Cail à Paris, la Société André Koechlin et Co. à Mulhouse, les Ateliers de Graffenstaden près de Strasbourg, et la Société Goüin et Co. à Paris. Les deux constructeurs alsaciens vont fusionner et deviennent, en 1872, la Société alsacienne de construction mécanique (SACM). En 1871, la Société Goüin changera son nom en Société de construction des Batignolles. Ces cinq producteurs principaux sont rejoints en 1881-1882 par deux sociétés belges qui ouvrent des succursales en France, pour éviter les tarifs élevés d’importation : la Franco-Belge et les Ateliers de construction du Nord de la France.

Les usines Fives-Lille dans la banlieue de Lille

Grâce à l’instauration de taxes dissuasives à l’importation, les constructeurs français vont bénéficier d’une part grandissante des commandes ferroviaires destinées à leur marché national.

À partir du milieu des années 1850, les constructeurs français se tournent également vers l’étranger. Dans la période 1856-1870, de 35 à 40% de la production est écoulée hors des frontières de l’Hexagone. L’Italie, l’Espagne et la Russie reçoivent, chacune, environ 30% de ces exportations. Ces années fastes se terminent avec la débâcle de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et la perte consécutive de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. Par la suite, les constructeurs français vont faire face à un manque de commandes régulières sur leur marché national, car durant cette période les grandes compagnies ferroviaires procèdent à d’importantes réductions de coûts. Il en résulte une capacité réduite de production de locomotives et des difficultés à honorer des commandes soudaines.

Une toute première tentative de chemin de fer en Chine

Premier convoi de Changhai à Wusong

C’est en 1876 qu’est construite la toute première ligne de chemin de fer entre Changhai et Wusong à l’embouchure du fleuve Huangpu. Elle l’est à l’initiative de la maison de commerce anglaise Jardine Matheson, implantée à Changhai dès les premiers jours de l’arrivée des Européens dans la ville. La compagnie est en effet fort soucieuse de pouvoir assurer un ravitaillement continu des cargaisons de bateaux qui fréquemment ne pouvaient pas remonter le fleuve par suite de son ensablement. Suite à un accident mortel, les Chinois rachètent la ligne en laissant à la société anglaise le soin de la terminer et exploiter les 17 miles de celle-ci. En Octobre 1877, les autorités chinoises décident d’interrompre l’exploitation, démontent la ligne et envoient les rails et l’équipement ferroviaire à Taiwan où ils pourriront sur une plage…

La première période de développement : 1878-1898

Kinder devant la Rocket of China : première locomotive entièrement fabriquée en Chine

Admirablement desservie par un réseau de fleuves et de canaux, la Chine avait pu exploiter ses voies fluviales pour acheminer les denrées et les marchandises d’un coté à l’autre du pays. La lenteur des transports et l’ensablement du Grand Canal vont inciter les autorités à insuffler un nouveau souffle au système de transport.  

Inauguration de la ligne de Tianjin par Li Hongzhang en 1888

La première réelle tentative d’introduire le chemin de fer en Chine date de 1878 et est celle de Tong King-sing (Tang Jingxing), directeur général de la China Merchant’s Steam Navigation Company, et Li Hongzhang, proche conseiller de l’Impératrice Douairière Cixi, fondateur de cette même société. Ils exploitent la mine de charbon de Kaiping, et désirent trouver un moyen économique pour transporter leur production vers Tianjin, à 100 kilomètres de la mine.

L’ingénieur anglais Kinder en charge du projet parvient à obtenir en 1881 l’autorisation des autorités locales d’établir une ligne reliant la mine à la rivière la plus proche et il prend l’initiative de construire la toute première locomotive chinoise qu’il baptise la « Rocket of China ».

Dans le même temps, Li Hongzhang parvient à persuader l’Impératrice Douairière de prolonger la ligne jusqu’à Tianjin.

Premier réseau de chemin de fer en Chine

Il en profite pour créer la China Railways Company, une société au capital de 3 millions de francs français empruntés à la Hong Kong and Shanghai Bank (HSBC), une institution bancaire anglaise créée en 1864 à Hong Kong.

La ligne atteint Tianjin en octobre 1888 et Li Hongzhang l’inspecte la même année.

Deux ans plus tard, l’extension vers l’est de la ligne atteignait Shanghaikwan, là où la Grande Muraille rejoint la mer.

En 1895 Li Hongzhang peut enfin entamer la construction de la jonction entre Tianjin et Fengtai, futur nœud ferroviaire situé à quelques kilomètres au sud de la Cité interdite de Pékin.

De l’intérêt de construire une grande ligne nord-sud

Action de la Compagnie impériale des chemins de fer chinois

À la suite de la guerre sino-japonaise de 1895, les finances de la Chine sont peu brillantes et l’initiative de construire des chemins de fer dans le pays se voit amenée à intégrer un financement externe tout en essayant d’en garder le contrôle.

Le 20 octobre 1896 est créée la Compagnie Impériale des chemins de fer chinois, à la seule fin de négocier des emprunts à l’étranger pour la construction d’un réseau de voies ferrées.

Très vite, il est décidé de s’atteler au projet d’une ligne nord-sud reliant dans un premier temps la capitale à Hankou (l’actuelle Wuhan) sur le fleuve Yang-Tsé, qui serait ensuite prolongée jusqu’à Canton dans le sud du pays.

Hankou, Hanyang et Wuchang (aujourd’hui Wuhan)

Avec cette liaison, les autorités chinoises cherchent à disposer d’une voie de communication rapide et moderne qui recouperait de façon presque rectangulaire le tracé des grands fleuves, spécialement le Fleuve Jaune (le Huang he) et le Fleuve Bleu (le Yang-Tsé). En effet, ceux-ci sont essentiellement orientés d’ouest en est, depuis les contreforts de l’Himalaya jusqu’à la Mer Jaune et la Mer de Chine orientale. Outre des objectifs de renforcement de l’autorité impériale, la ligne offrirait d’intéressantes perspectives économiques. En effet, elle relierait entre elles plusieurs régions fertiles et qui présentent un important potentiel de développement car le commerce maritime se trouve arrêté quatre mois par an dû aux glaces qui encombrent le golfe de Bohai donnant accès à Tianjin et Pékin.

Le choix de Hankou comme terminal sud du premier tronçon de la ligne permet en outre d’avoir accès au fleuve Yang-Tsé. Hankou forme avec Hanyang et Wuchang une grande agglomération de deux millions d’habitants. En 1899, le port fluvial y recevait plus de 3000 navires avec un chargement cumulé de 2,6 millions de tonnes.

Le grand projet d’une ligne de chemin de fer nord-sud sera vite ébruité et toutes les nations occidentales vont se porter candidates pour le réaliser. Ce sera le sujet du deuxième article. Restez branchés….