Le capitaine Labrousse

De Histoire de Chine

Cet article est une contribution du Souvenir Français de Chine. → Visitez le site du Souvenir Français

Rédigé par David Maurizot

Le capitaine Labrousse[1]

Alexis Jacques Henri Labrousse est né en 1860 dans un petit village au pied du Massif Central dans le Lot. Un de ses oncles est mort colonel au Mexique, l’autre est capitaine en retraite. Peut-être ces parcours l’ont-ils fait rêver plus jeune ? Elève brillant, il rejoint le lycée jésuite Caousou de Toulouse et embrasse alors la carrière militaire : il est accepté à Saint-Cyr en 1881 où il devient officier d’infanterie de marine.

Promu capitaine en 1893, il est stationné au Tonkin (nord de l’actuel Vietnam) où il fait partie de l’état-major du commandant en chef des troupes de l’Indochine. A l’aube de l’été 1900, il obtient une permission pour rentrer en France. Plutôt que le classique voyage par bateau via le canal de Suez, il choisit de passer par la Sibérie, en s’arrêtant d’abord à Pékin en Chine. C’est alors que son histoire rejoint la grande.

La révolte des Boxers

Plan du quartier des légations et des fortifications établies durant le siège

La Chine est alors en ébullition. Les « Poings de la justice et de la concorde », surnommés « boxers », sont en rébellion ouverte contre la modernisation, la présence des étrangers, et les chrétiens chinois en particulier. D’abord concentrés dans la province du Shandong et opposés au pouvoir de la dynastie mandchoue des Qing, jugée non-chinoise, ils vont finir par s’allier aux mandarins réactionnaires et se rapprocher de Pékin.

Officiellement reconnus en janvier 1900, ils sont formellement organisés en milices en mai et directement dirigés par des princes de la cour impériale. Les choses s’accélèrent alors à Pékin : face à une hostilité de plus en plus ouverte, le « quartier des légations », où sont regroupés les ambassades et les intérêts commerciaux étrangers, commence à organiser sa propre défense. Quelques troupes étrangères rejoignent le quartier : ils sont seulement 400, dont 75 marins français provenant des navires d’Entrecasteaux et Descartes commandés par le lieutenant de vaisseau Eugène Darcy. De passage, le capitaine Labrousse n’est pas l’un d’eux, mais comme d’autres, il se met immédiatement à sa disposition.

Puis, le 20 juin, le chef de la légation allemande, le baron von Ketterler, est assassiné en pleine rue. Les boxers accourent et viennent encercler les légations, prêts à en finir une fois pour toute avec ces étrangers. Le siège commence. Il allait durer 55 jours.

Le rôle du capitaine Labrousse durant le siège

Une partie du quartier des légations après les combats

Les assiégés comptaient également 473 civils et environ 3000 Chinois chrétiens venus se réfugier dans le quartier des légations. Autant de bouches à nourrir, de mains à occuper et d’esprits à calmer. Car, il y avait de quoi paniquer : face à une marée d’insurgés qui ne songe qu’à tuer et piller, les soldats étrangers, eux, n’étaient équipés que d’armes légères et disposaient de peu de munitions. La seule pièce d’artillerie était un vieux canon à chargement par la bouche qui fut découvert, déterré et remis en état. On le surnomma « canon international » : le fût était britannique, l’affût italien, les obus russes et les artilleurs américains. La défense s’organisa ainsi.

Dans cette désolation, le capitaine Labrousse se montra exemplaire : toujours plein d’entrain et volontaire. Le 24 juin, un officier américain l’interpella : il avait vu des assaillants se préparer à franchir une barricade du côté de la légation allemande. Sans hésiter, ils repoussèrent ensemble l’attaque, l’un avec son pistolet, l’autre avec sa carabine. Quelques jours plus tard, quand le commandant Darcy l’envoya en renfort sur le front de la légation américaine, il lui répondit : « Et dire que j'avais prévu de passer quelques jours de vacances à Pékin. J'aurai jamais osé espérer mieux, mon cher ami ! » Les marines américains venaient de perdre leur chef et étaient quasiment résolus à se laisser submerger par la prochaine vague boxers. Grâce au capitaine Labrousse, l’esprit de défense et la situation des Américains furent rétablis.

Un témoin du siège le décrira ainsi, non sans malice : « Un homme d’aspect rude, avec un visage carré que barre une grosse moustache claire. En véritable officier de "Marsouins", il a beaucoup couru le monde et considère la situation à Pékin comme catastrophique, donc intéressante.  »

La mort du capitaine Labrousse

Actif sur tous les fronts, le capitaine Labrousse n’avait pourtant été blessé qu’une seule fois, le 28 juin, au genou. Mais la chance l’abandonna le 12 août, alors que les assauts des boxers atteignaient leur paroxysme : les insurgés voulaient en finir avec ces diables d’étrangers qui leur tenaient tête depuis plus de 50 jours, alors que les renforts étaient en train d’arriver.

Le commandant Darcy décrit ainsi les derniers instants du capitaine Labrousse en ce début de soirée du 12 août 1900 : « A huit heures, nous allons M. Labrousse et moi, sur le seuil de la porte de la salle à manger et nous regardons le parc que les herbes ont envahi depuis que personne ne le foule. Labrousse me fait remarquer que, de l’endroit où nous sommes, un factionnaire verrait très bien l’ennemi s’avancer, et pourrait prévenir tout de suite si cet ennemi tentait un assaut. Sa phrase n’est pas achevée qu’une balle le frappe au front, entre les deux yeux. Il tombe en arrière, sans pousser un seul cri ; la mort a été foudroyante. »

Le lendemain matin à 9h, au grand désespoir des assiégés, on l’enterra, dans le cimetière improvisé sur le terrain de la légation d’Angleterre, le « glorieux petit cimetière de la légation » de Pierre Loti. Le médecin militaire Jean-Jacques Matignon prononce l’oraison funéraire : « Par son courage, son calme et son énergie, Labrousse avait forcé l’admiration de tous les étrangers. Très dur envers lui-même, il exigeait beaucoup des autres. Brave sans forfanterie, audacieux jusqu’à la témérité, il était le type accompli de l’entraîneur d’hommes. » Revêtu de son habit, lié sur une simple planche, il est inhumé à même le sol puis recouvert d’une épaisse couche de chaux vive – pour que son corps ne soit pas profané, si jamais les boxers arrivaient jusque-là.

Le surlendemain, 15 août 1900, le quartier des légations était enfin libéré.

Nos remerciements à Nicolas Savy, historien et Robert Delsart, Délégué Général du Souvenir Français dans le Lot.

Sources

  • Pierre Loti, Les derniers jours de Pékin, Calmann Lévy, 1901.
  • Eugène Darcy, La défense de la Légation de France à Pékin, Augustin Challamel, 1903.
  • Jean-Jacques Matignon, Dix ans aux pays du dragon, A. Maloine, 1910.
  • Jean Mabire, L’été rouge de Pékin, la révolte des Boxeurs, Du Rocher éditions, 2006.
  • Larry Clinton Thompson, William Scott Ament and the Boxer Rebellion, McFarland, 2009.
  1. © Bruno Baverel