Le chemin de fer du Yunnan (3)

De Histoire de Chine

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rédigé par Michel Nivelle

Après le conflit Sino-Japonais et l’intervention des puissances, en présence des privilèges considérables que la Chine venait d’accorder à divers Etats étrangers, le Gouvernement de la République se vit dans la nécessité de se prévaloir, tant de l’égalité de traitement assurée à la France par ses traités, que des importants services qu’il venait de rendre à la Chine, pour réclamer des compensations, parmi lesquelles se trouvait la concession définitive d’une ligne de chemin de fer sur Yunnanfou. Signalons, en passant la disposition finale aux termes de laquelle « le Gouvernement Chinois, au bout de 80 ans, pourra entamer des négociations avec le Gouvernement Français pour reprendre la voie et toutes les propriétés s’y rattachant, moyennant le remboursement intégral des frais de construction, de la main d’œuvre industrielle, ainsi que des garanties d’intérêt payées et des dépenses de toute nature imputables au chemin de fer ». Mais c’est aussi la seule concession accordée par la Chine dans cette forme ; et le chemin de fer du Yunnan, à ce point de vue, occupe un rang à part sans précédent et sans analogue dans la série des chemins de fer concédés en territoire chinois.

La plaine de Mongtzé aperçue depuis le Km. 163,45
Les rizières étagées d'Apeu

Le Yunnan, il est vrai, ravagé par les guerres civiles, habité par une population clairsemée, mal connu d’ailleurs, ne paraissait pas offrir matière à une intense activité économique ; mais on se plaisait à le considérer comme un grand corps endormi que le chemin de fer devait, pour ainsi dire, galvaniser. Un sous-sol riche, un climat tempéré et salubre, une situation géographique aux confins du Tonkin suffiraient à justifier l’aventure. Et enfin, le Yunnan n’est-il pas comme l’antichambre de la riche province du Sichuan ?

En 1897, une mission d’études était envoyée par le Ministre des Affaires étrangères, sous la Direction de MM. Guillemoto, Ingénieur en Chef des Ponts-et-Chaussées, et Leclère, Ingénieur au Corps des Mines pour procéder à une reconnaissance préalable du chemin de fer, et à une étude géologique et minière de la province.

Yunnan qui signifie le « Sud des nuages » en chinois est bordé au nord par le fleuve Bleu ou Yang-Tsé-Kiang, à l’est par la province du Guangsi, à l’ouest, sa frontière borne la Birmanie anglaise, enfin au sud c’est l’Indochine française, le Tonkin et le Laos.

Il existe en fait trois régions fort différentes au Yunnan : la première au nord-est du fleuve Bleu, contrée basse, humide, malsaine, couvertes de pics, de gorges, de torrents, et à peine peuplée. La seconde, avec des plaines larges et verdoyantes, tantôt avec des horizons sans fin, tantôt boursouflée de mamelons et de collines toujours sillonnée d’étangs, de lacs, de rivières. Le ciel y est pur, la température douce et agréable. La population s’y groupe dans les vallées, et près des lacs. La troisième, à l’ouest et au nord-ouest, faite de massifs élevés, peu épais, séparant de profondes gorges, au fond desquelles l’air est lourd et brûlant. La population y est en partie sauvage, et c’est un pays difficilement abordable, par suite de l’hostilité des indigènes et de la difficulté des communications. Dans l’ensemble la partie du plateau Yunnanais traversée par le chemin de fer forme une région élevée où les plaines s’étagent à des altitudes de 1100 m à 1300 m au sud, à 2000 m et 2200 m au nord, entres des hautes montagnes atteignant jusqu’à 2500 m et 3000 m.

Le village d'Apeu au Km. 88, altitude 1200m. (La ligne passe dans la vallée, 600m. plus bas.)

L’étude de la géologie, et des mines a fait l’objet de nombreux travaux, mais le pays est si vaste et les communications si difficiles qu’il a été long de se faire une opinion un peu nette sur la valeur des richesses minérales du Yunnan. « Ces plateaux, ces bassins de lacs, ces monts presque partout absolument désylvestrés, cachent dans leurs dessous une incroyable profusion de métaux,et l’on a pu prétendre que le Yunnan est la contrée minière par excellence. » sont les propos de M. Leclère, Ingénieur en Chef des Mines. La houille serait partout, à divers horizons géologiques, enfoncée à divers âges de la planète. Puis le fer qui se cache et se montre partout également, un fer magnétique très riche, et facile d’extraction. Ensuite du cuivre, en quantités illimitées. La région est aussi reconnue comme très riche en pierres précieuses : rubis, topazes, saphirs, émeraudes. En regard de ces perspectives attrayantes, il faut bien reconnaître que l’énorme sondage de 465 km constitué par l’ouverture de la plateforme du chemin de fer, et même les 17 km de souterrains percés en pleins massifs n’ont pas mis à jour de richesse minérale susceptible d’une exploitation fructueuse. Sommairement résumé, on a trouvé du charbon, de la lignite d’une puissance calorifique basse à 3400 calories. Ces lignites ne pouvaient concurrencer au Tonkin les charbons de Hongay d’une puissance calorifique de 6700 calories. Tout au plus elles pouvaient servir au chauffage des locomotives donc n’offrant qu’un intérêt local. On y trouvait également de la houille carbonifère, et de la houille de l’âge secondaire en quantité importante. Les mines de cuivre appartiennent au type des gisements éparpillés. Le minerai « trié » a un rendement de 20% de cuivre à la fusion. Les gisements de fer sont assez nombreux mais en somme la seule mine qui pourrait intéresser le chemin de fer, est celle du district de SiHo, à trois ou quatre étapes de PuoHi. La production annuelle de l’époque étant de 1.500 tonnes par an. Les mines d’étain de KoTiéou donnent lieu à l’exploitation industrielle la plus considérable de la région que dessert la ligne à 35 km environ au nord-ouest de MongTzé. Leur production annuelle s’élève au moins à 3000 tonnes d’étain brut obtenues par une population d’environ 30000 individus. Elle est tout entière envoyée à Hong Kong en traversant le Tonkin.

Buffles du Yunnan

On peut dire que le climat du Yunnan, semi-tropical et semi tempéré est favorable à l’agriculture et se prête à toutes les cultures. Les terres arables ne forment néanmoins guère plus du 10éme de la superficie totale de la province. La production agricole se réglait sur les besoins de la consommation de la population locale puisque l’importation et l’exportation des produits agricoles pondéreux étaient limitées par les difficultés de communications. Un de ces produits cependant, l’opium à raison de son prix élevé sous un petit volume, donnait lieu à un important trafic. Le pavot, d’où l’on tire l’opium, rencontre au Yunnan des conditions de sol et de climat particulièrement favorables. La production totale était évaluée à 4500 tonnes par an. En 1907, le Gouvernement chinois interdit néanmoins la culture du pavot, et des mesures très sévères sont prises en conséquence. Assurément, d’autres cultures peuvent et doivent se substituer à celle du pavot mais aucune n’est aussi rémunératrice.

Le riz, dans presque toute la province, est la base de la nourriture de la population, et il vient en plaine ou en montagne. Le maïs, le blé, l’orge, le colza blanc et jaune, les légumes, et les fruits d’Europe viennent à merveille sur les hauts plateaux et aux altitudes moyennes. On cultive aussi la canne à sucre, la banane, le cunao, le coton, le thé, et les fruits tropicaux. Le thé, particulièrement estimé, originaire de PuEr s’exporte en quantité appréciable. Enfin, ce pays est admirablement propre à l’élevage, buffles, chèvres, moutons et chevaux, et peut exporter un nombreux bétails au Tonkin et ailleurs.

Ce qui se dégage de l’ensemble, c’est l’impression profonde que lorsque le jour venu des raisons et des moyens d’activité sont donnés à de telles masses et à de tels éléments latents de trafic, ce chemin de fer français du Yunnan, instrument indispensable à leur manifestation, sera le premier à en recueillir une bonne part de leurs bénéfices.

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