Le chemin de fer du Yunnan (6)

De Histoire de Chine

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rédigé par Michel Nivelle

Après 1949, Yunnan-Fou (aujourd'hui Kunming) resta longtemps isolée, et vécut sur son étoile, exploitée avec la matériel français. En 1955, les Chinois décidèrent de réhabiliter la voie ferrée dans la vallée du Nam-Ti. Ce fut un travail titanesque, il fallut rouvrir les tunnels effondrés, reconstruire les viaducs, remonter les remblais, nivelée une deuxième fois la plateforme disparue dans la jungle, et réhabiliter les installations des gares. La liaison fut rétablie en 1957, et un flot de matériel commença alors à s’écouler vers le Nord-Vietnam jusqu’à l’interruption provoquée en 1979 par la rupture des relations entre les deux pays.

Une brigade de la voie procédant au remplacement d’anciennes traverses dans les quartiers extérieurs de la ville. [1]

Après la signature des accords de Genève, le trafic fut interrompu entre Haiphong et Pham-Xa en octobre 1954. Le Gouvernement Mendès-France limita l’évacuation de l’Indochine française aux seules personnes, et s’opposa à toute tentative de transfert de biens : outre ce qui restait de son Chemin de Fer, la Compagnie perdit ainsi des immeubles, des mines, des hangars ainsi que des participations dans diverses entreprises de transports. Repliée sur son siège parisien, la Compagnie vécut encore pendant 12 ans d’une activité résiduelle faite de gestion de biens et de location de wagons. Par le biais d’une cession de titres intervenue en 1967, la Compagnie d’Indochine et du Yunnan moribonde passa sous le contrôle de la Compagnie du Midi et disparut en tant qu’entité juridique. Les derniers vestiges de la Compagnie se résument aux archives versées en 1987 au Musée Français du Chemin de Fer de Mulhouse.

Là-bas en Chine, en moins de vingt ans, une véritable explosion démographique allait transformer Yunnan-Fou en une métropole millionnaire en habitants. En 1970, la ville fut atteinte par la voie normale en provenance de Pékin, et la voie métrique française fut alors reléguée au second plan. En 1986, il ne restait plus que deux locomotives de type 141-T garées au dépôt de Kai-Yuen. On peut alors identifier quelques voitures portant encore les lettres jaunes de la Compagnie d’Indochine et du Yunnan, mais dont les plates-formes ont été vestibulées.

Les gares ont reçu un crépis grisâtre et les parterres de fleurs ont disparu. Il ne reste pratiquement plus rien de la présence française éliminée voici de nombreuses années par le Kuomintang. Seuls les Lolos utilisent encore quelques rudiments de notre langue lorsqu’ils proposent aux touristes leurs produits artisanaux. Enfin, les restaurateurs de l’actuelle Kunming sont seuls en Chine à connaître la recette bien française des pommes de terre sautées.

Epilogue yunnanais : l’ancien tracé, abandonné au début des années 1970, mais subsistant au coeur de l’actuelle Kunming

La ligne du Yunnan, qui fut sans conteste une des voies ferrées les plus extraordinaires de la planète, a rapidement acquis la dimension d’un mythe et a ainsi fréquemment inspiré la littérature et la cinéma. Dans « Le fils du Consul », Lucien Bodard a retracé l’histoire de la contruction de la ligne qu’il avait parcourue avec ses parents dans son enfance. Le « Cercle des Ombres » par O.-P. Gilbert, est un roman qui inspira à Christian-Jaque son film « Les Pirates du Rail » qui mis en évidence l’incompréhension séparant les Chinois des Français dans le contexte de la poussée communiste de 1935. Lorsque les Français débarquèrent en Indochine, le réseau de communications, très rudimentaire, n’offrait aucune sécurité. En moins d’un demi-siècle, l’administration française développa un système moderne qui, combinant le rail, la route et la voie d’eau réussit à irriguer jusqu’en Chine les régions les plus reculées. Le travail fut gigantesque, et son coût en vies humaines, tant indigènes que françaises, fut très lourd.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette œuvre admirable, entreprise par une poignée de Français en application d’un plan lucide en avance sur son époque : beaucoup et un peu. Doumer, esprit à la fois pratique et chimérique, avait compris que la prospérité ne pouvait être offerte que par un réseau ferré fortement structuré. Contraint par la raison politique, il sollicita de puissants groupes financiers pour le lancement de la ligne du Yunnan. Certes le consortium se montra âpre au gain vis-à-vis du pouvoir concédant, mais comparativement à la lenteur de la réalisation du Transindochinois, les délais de construction de la ligne du Yunnan peuvent encore aujourd’hui forcer l’admiration. D’aucuns ont contesté le choix de l’écartement métrique, d’autres ont regretté le maintien de la traction à la vapeur. Les Français ayant vécu dans ces régions gardent cependant un très bon souvenir de ces trains qu’ils empruntèrent souvent et dont ils se plaisaient à reconnaître la qualité des services. Sans doute faut-il voir là les effets de l’excellente coordination entre les fonctions techniques et humaines : les ingénieurs français surent parfaitement concevoir, réaliser et équiper leur chemin de fer. Sans la présence et la volonté de la France, ces chemin de de fer n’auraient sans doute pas été construits avec le même soin. Et la foi investie dans la reconstruction ferroviaire par des régimes qui dénoncèrent longtemps le colonialisme demeure la preuve irréfutable de l’excellence des vues de Paul Doumer qui ne pouvait être plus opportunément proclamée qu’à une époque qui voit les idéologies s’effacer derrière les réalités.

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Références

  1. Photo Frédéric Hulot