André de Longjumeau, quand la France du Moyen Âge cheminait (presque) jusqu’en Chine
Rédigé par David Maurizot
Au XIIIe siècle, alors que l’Europe tremble face aux cavaliers de Gengis Khan, un Dominicain français prend la route de l’Orient et va s’approcher de la Chine. Il ne porte ni épée ni cuirasse, mais des lettres scellées du pape et du roi de France. Son nom : André de Longjumeau.
Issu de l’ordre des Prêcheurs, ce frère dominicain formé à la rigueur intellectuelle et au zèle missionnaire, apparaît dans l’entourage du roi Louis IX, notre Saint Louis, au début des années 1230. C’est un homme de confiance, cultivé, mobile, parlant probablement plusieurs langues. En 1238, le souverain lui confie une première mission : rapporter de Constantinople la plus précieuse des reliques chrétiennes, la Sainte Couronne d’épines. Cette translation spectaculaire marque le début de la relation entre Longjumeau et la diplomatie orientale. Car à la même époque, un pouvoir aussi fascinant que redouté fait irruption dans l’horizon européen (mais aussi chinois) : l’empire mongol.

Après la chute de Kiev (1240), puis l’entrée fulgurante des armées mongoles en Europe centrale (1241), la Chrétienté est en état d’alerte. Alarmé, le pape Innocent IV est désespéré : Il envoie plusieurs missions diplomatiques auprès des khans mongols. Ces missions visent à convertir les Mongols au christianisme ou, à défaut, à les dissuader d’envahir l’Europe occidentale. Ainsi, André de Longjumeau est choisi pour mener l’une de ces délicates opérations. Parti de Lyon en 1245, il traverse la Syrie, la Perse, puis atteint Tauris (Tabriz). Il y remet la correspondance pontificale à un général mongol. La mission tourne court : André ne parvient pas jusqu’à la cour du Grand Khan et ne reçoit aucune réponse. L’espoir d’un dialogue religieux ou politique avec les Mongols s’évanouit. La mission, vue de Rome, est un échec. Pourtant, elle n’est pas sans valeur : Longjumeau rapporte de précieuses observations sur les chrétiens d’Orient, qui sont tolérés par les Mongols, et sur la géographie politique des régions traversées. Le terrain est préparé pour de futures ambassades.
Trois ans plus tard, à Chypre, alors que Saint Louis prépare sa croisade, André retrouve un certain David, chrétien oriental rencontré lors de la première mission. Ce dernier apporte une étonnante proposition du général mongol Eljigidei : une alliance avec les Francs contre les musulmans. Louis IX y voit une occasion inespérée de reprendre Jérusalem… par l’Est. Il envoie alors André de Longjumeau en grande ambassade, chargé de porter ses lettres et de riches présents au Grand Khan Güyük. Le voyage est épique : un an de traversée, par Antioche, la mer Caspienne, puis les steppes d’Asie centrale, jusqu’à Karakorum, capitale de l’empire. Mais Güyük est mort depuis plusieurs mois. Sa veuve, la régente Oghul Qaïmich, reçoit froidement les envoyés. Pour elle, ces présents sont les tributs d’un vassal. Elle remet à Longjumeau une lettre exigeant la soumission du roi de France. Le rêve d’alliance tourne court.
Loin d’être un simple émissaire, André de Longjumeau se fait aussi chroniqueur. Ses récits, conservés indirectement, sont une source précieuse sur les mœurs mongoles, les conversions de chrétiens d’Orient, ou les ravages de la conquête. Il observe la tolérance religieuse des Mongols, la coexistence d’églises chrétiennes, de mosquées et de temples bouddhiques dans certaines grandes villes. Mais il relate aussi les charniers laissés par les campagnes militaires. Son témoignage sera confirmé par Guillaume de Rubrouck, franciscain envoyé par Saint Louis en 1253, qui prolongera l’effort de contact avec la cour du Grand Khan Möngke – quelques décennies avant Marco Polo.
André de Longjumeau n’a pas foulé la terre de Chine. Mais sa route vers Karakorum l’a conduit jusqu’au seuil de ce qui deviendra l’empire Yuan. Le pouvoir mongol s’y installera bientôt sous Kubilaï Khan, petit-fils de Gengis. Et, ensuite, c’est bien par la voie mongole que les missions catholiques gagneront Pékin : en 1289, Jean de Montecorvino deviendra le premier évêque de Khanbalik (l’actuel Pékin). Mais la première main tendue, même ignorée, fut celle d’André. Il meurt après 1270, peut-être en Terre sainte, peut-être en Afrique du Nord. Il ne laissa ni traité, ni conquête, ni relique d’Orient mais il fraya un chemin et initia un dialogue fragile entre mondes rivaux. Son nom, tombé dans l’oubli, mériterait d’être redécouvert, ne serait-ce que pour rappeler qu’avant Marco Polo et Matteo Ricci, le chemin menant à la Chine avait été défriché par… un Dominicain français.
Pour aller plus loin :
- Paul Pelliot, Les Mongols et la Papauté, A. Picard, 1923.
- Jean-Paul Roux, Les explorateurs au Moyen Âge, Fayard 1985.