La Gazette de Changhai : (34) La guerre russo-japonaise : première défaite des occidentaux face à la puissance montante du Soleil Levant
Cet article fait partie de la collection de La Gazette de Changhai. → Voir la collection
rédigé par Charles Lagrange
Face à un empire chinois déliquescent, se développe au pays du Soleil Levant une vraie puissance industrielle et militaire, et ce grâce au dynamisme de la dynastie Meiji. L’influence des Russes en Mandchourie porte ombrage aux velléités d’expansion des Japonais et c’est une guerre qui aura raison de l’hégémonie russe et verra non seulement se confirmer la puissance naissante des Nippons, mais surtout l’intensification de leurs activités commerciales et industrielles sur tout le continent chinois.
Un pays fermé dont l’éveil au modernisme a été rapide et efficace
Le Japon était un pays complètement fermé au commerce international jusqu'à ce jour de juillet 1853 quand débarque le commodore Matthew C. Perry avec une lettre du Président des Etats-Unis à l’Empereur du Japon. Dès sa deuxième visite avec 27 navires livrant par caisses entières le dernier cri de la technologie occidentale, les Japonais comprennent immédiatement l’intérêt qu‘ils ont à moderniser leur pays à marche forcée.
Cette modernisation trouve sont élan à partir de 1867 à l’avènement de la dynastie Meiji, et ce, après une guerre fratricide qui voit les samouraïs pro-occidentaux prendre le dessus sur les forces conservatrices. Le jeune empereur Mutsuhito adopte avec enthousiasme les techniques occidentales, et crée un système bancaire moderne afin de financer son développement industriel. Très vite les techniciens japonais envoyés en formation dans tous les coins du monde, prennent la relève de l’aide occidentale.
Parallèlement à cette mutation impressionnante, le Japon se dote d’une puissante armée et d’une flotte de guerre dont les marins sont entraînés par les Anglais.
Le service militaire devient obligatoire dès janvier 1873 et le Japon se lance dans des initiatives diplomatiques afin de consolider l’intégrité de son territoire. Ils annexent les îles Bonin (Ogasawara) et Ryukyu, ils échangent le sud de Sakhaline pour les îles Kourile.
Très vite malheureusement, ce qui était au départ un souci d’établir un glacis protecteur, devient une velléité d’expansion.
La Corée qui pointe sa botte vers le Japon est pressentie comme devant être neutralisée. La fin du XIXe voit la Corée subir une ouverture forcée à l’instar de la Chine 40 ans plus tôt et les Japonais placent le couple royal coréen « sous leur protection ». La Chine, comme nous avons vu dans un article précédent, entendait alors réaffirmer la suzeraineté de la Corée et au printemps 1894 éclate la première guerre sino-japonaise qui se termine par le traité humiliant de Shimonoseki du 17 avril 1895.
Le Japon prend définitivement pied en Corée : les « nains » – comme les appelait l’impératrice Cixi – se rapprochent alors dangereusement de l’ours russe qui « couve » la Mandchourie de sa patte protectrice…
Un train du bout du monde, fer de lance de l’influence russe en Mandchourie
Le tsar Alexandre II avait très vite conclu que la défaite de Crimée avait été causée par l’impossibilité d’amener des troupes à la rescousse de Sébastopol et ce, par le simple fait de l’absence de chemin de fer. De plus, son immense pays avec 50 races de langues différentes et des velléités occasionnelles de révoltes, devait impérativement se doter d’un système de transport efficace permettant à Moscou d’acheminer rapidement des troupes pour rétablir l’ordre ou défendre ses frontières.
Ce projet voit le jour dès le milieu du XIXe grâce aux fameux emprunts russes auxquels avaient principalement souscrit les français.
De 994 km de voies en 1852, le réseau s’étend à 18 000 km en 1874, 31 000 en 1894 et 58 000 en cette aube du XXe ! Parallèlement à la construction de ce réseau, se développe une industrie sidérurgique et minière florissante.
Une région reste cependant à l’écart de ce développement, région qui renferme des richesses naturelles considérables et dont le port de sa pointe est reste désespérément isolée de la mère patrie : la Sibérie.
En juillet 1891, est posée la première pierre de ce qui allait devenir le fameux transsibérien. Soldats, déportés, forçats, Chinois et Japonais sont mobilisés pour sa construction, au total plus de 70 000 ouvriers. Elle s’achève en 1899 et fait l’objet d’un effort de promotion colossal. Cependant elle avait été construite à l’économie : le ballast n’avait pas partout la bonne épaisseur et seuls les grands ponts étaient en métal. De plus, le contournement du lac Baïkal avait été ajourné et remplacé par une traversée en ferries de capacité insuffisante, à tel point que lors des hostilités avec le Japon, les troupes de renfort ont dû parcourir les 46 km à pied sur le lac gelé…
En 1899, les Russes négocient avec la Chine une extension de la ligne à travers la Mandchourie afin de relier la mer à Dalny (Dalian) via Harbin et Moukden (Shenyang).
Lors de la révolte des Boxers à l’été 1900, 960 km de cette ligne sont détruits. Aussi la Russie envoie un contingent de 100 000 hommes prendre position tout au long de la ligne et arrache aux Chinois un accord les autorisant à occuper Moukden. Ceci provoque bien sûr un lever de boucliers du côté Européen, sans parler des Japonais….
La Russie fait marche arrière mais négocie finement l’attribution d’une zone d’influence dans toute la Mandchourie, le développement de sa base navale de Port Arthur (Lushun), en entérinant le droit de regard du Japon sur la Corée.
Mais la haine de Nicolas II pour les Japonais, les tentatives d’expansion d’une gigantesque exploitation forestière le long de la rivière Yalou qui sépare la Corée de la Chine, le refus de retirer ses troupes de Mandchourie et enfin le renforcement de sa flotte en Extrême-Orient sont autant d’éléments qui enragent le Japon à l’incite à dresser contre les Russes toute la communauté internationale…
Une issue inéluctable : la guerre
En Octobre 1903, les Japonais font à Moscou une proposition d’accord qui est rejetée.
La Russie sent la pression et développe des plans militaires de caractère strictement défensif : fortifications de Port Arthur afin d’y protéger sa flotte, et constitution d’un front sur la rivière Yalou.
Un ultime effort de conciliation est tenté par le Japon en janvier 1904.
Les forces en présence sont à l’avantage des Russes : 1,3 million contre quelques centaines de milliers, et la totalité de la flotte mobilisable deux fois plus grande.
Le 5 février, l’amiral Togo qui dirige les forces japonaises, donne l’ordre de débarquer en Corée et d’avancer vers le fleuve Yalou.
Le 8 février les torpilleurs japonais attaquent la flotte russe réfugiée dans la baie de Port Arthur.
La guerre se déroule pratiquement sans discontinuité jusqu'à la reddition des russes le 5 septembre 1905 à la signature du traité de Portsmouth, patronné par les États-Unis.
Les fait saillants en ont été : le passage du fleuve Yalou par les Japonais en mai 1904, les incessantes tentatives des Japonais de bloquer la passe de Port Arthur afin d’y immobiliser la flotte russe, la prise de Dalny (Dalian) et le bombardement de la flotte russe en décembre, la prise de Port Arthur et la fuite de ce qui restait de la flotte russe en janvier 1905, la prise de Moukden en février 1905 et finalement la bataille navale de Tsushima des 27 et 28 mai 1905 qui voit la flotte japonaise décimer la flotte russe.
Cette guerre aura fait 156 000 morts (85 000 du côté russe et 71 000 du côté japonais) et plus de 280 000 blessés…
L’épilogue
Les raisons de la défaite russe feront l’objet de débats sans fin : désorganisation, sous-estimation grossière de la puissance militaire du Japon, mobilisation tardive de la flotte stationnée en mer Baltique, mésentente entre officiers et soldats, incompétence du commandement, acheminement difficile des renforts par le transsibérien, bref, le fait est que pour la première fois dans l’histoire, une nation asiatique avait infligé une défaite cuisante à une puissance occidentale.
Non seulement le Japon récupère la moitié de l’île de Sakhaline et un protectorat sans partage sur la Corée, mais montre également pour la première fois la domination d’une nation asiatique, ce qui a un effet psychologique immédiat dans la région, et a été l’origine des premiers mouvements de révolte en Inde (1906-1907) et en Indochine (1908).
À l’instar de l’agressivité de ses militaires, les entreprises japonaises vont dès lors devenir les promoteurs d’une activité commerciale et industrielle très dynamique dans toute la Chine…
Pour l’heure, nous allons voir que l’année 1905 sera aussi une annus horribilis à Changhai.