La Gazette de Changhai : (45) Le règne des seigneurs de la guerre commence
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Rédigé par Charles Lagrange
En 1912, Yuan Shikai, l’homme fort du nord de la Chine, signe une alliance avec le docteur Sun Yat-sen et prend la présidence de l’État. Très vite son régime devient dictatorial et il tente même d’instaurer un nouveau régime impérial à son effigie. Mais désavoué par tout le monde, il doit renoncer et meurt peu après. Sa disparition fait place à une division du pays et à l’apparition d’une série de chefs militaires dont les factions vont s’affronter pendant 10 ans. Nous passerons en revue les principaux d’entre eux dans une série de deux articles consacrés aux années 20.
Yuan Shikai, l’homme fort de Pékin

Après l’accord signé le 13 février 1912 entre le Docteur Sun Yat-sen et Yuan Shikai, général dirigeant la puissante Armée du Nord, ce dernier assure la présidence à Pékin alors que le Docteur prend en charge le développement industriel du pays.
Si les perspectives économiques de la Chine nouvelle se présentent plutôt bien, la situation politique à Pékin se dégrade : Yuan Shikai manifeste de plus en plus ouvertement une velléité à créer un régime autoritaire qui pour les fidèles du Tong Meng Hui – ancêtre du Guomintang – avait la couleur d’une dictature.
Non content de cela, Yuan Shikai mène une campagne de restauration de la monarchie. En décembre 1916, une assemblée constituante qui lui était toute acquise, demande officiellement de le faire.
En protestation, les provinces du sud font sécession, menées par un quarteron de généraux hostiles à Yuan Shikai, mais c’est surtout l’intervention des occidentaux qui met fin à l’initiative et après 83 jours, il renonce à ses plans.
Yuan Shikai ne survit que deux mois et demi à cet échec et meurt d’une crise cardiaque en juin 1916.
Le dictateur avait disparu mais laisse place à une anarchie totale dans laquelle une série de personnalités ambitieuses vont prendre la direction des opérations et ce, de manière dispersée et en jouant des particularismes régionaux.
Au Nord : Duan Qirui, Wu Peifu, et Zhang Zuolin
Duan Qirui

Duan Qirui est un militaire ayant combattu au sein de l’armée impériale. Il s’était distingué en 1900 contre les Boxers et en 1911 pour mater la révolte de Wuhan.
Il avait fait partie des négociateurs entre l’armée du Nord et les révolutionnaires.
Il est nommé ministre de l’armée, puis gouverneur du Hubei.
En avril 1916, il est nommé Premier Ministre par Yuan Shikai.
À la mort de celui-ci le 16 juin 1916, une boite scellée contenait les trois noms des successeurs désignés : Xu Shichang, Li Yuanhong et Duan Qirui.
Duan Qirui forçe Li à accepter la position.

Li se montre être un homme appliqué, et responsable, mais c’est Duan Qirui, en charge des troupes, qui commande vraiment, au grand dam de Li qui voit son rôle réduit à la portion congrue.
De plus, la Constitution n’avait pas été validée, et donc en principe le rôle de Li n’était pas avalisé par un parlement. D’autre part, Duan Qirui ne veut pas d’une constitution qui l’aurait limité dans ses mouvements et par contre, les sudistes veulent l’avaliser pour éviter l’apparition d’un autre Yuan Shikai.
Les commandants de la flotte installés à Changhai exigent de valider la constitution provisoire votée à Nankin en 1912. En août 1916, Duan Qirui convoque le parlement et cette constitution restera d’application jusqu’en 1928.

En avril 1917, Zhang Xun, un commandant militaire pro-mandchou, prend le contrôle de Pékin et réinstalle Puyi sur le trône. Li qui avait révoqué Duan Qirui le rappelle rapidement à la rescousse et les troupes fidèles à Duan ont vite fait de vaincre celles du « général à la natte ».
Duan se met en tête de reconquérir le Sud. Il parvient à convaincre un groupe de parlementaires et de chefs militaires de former l’armée « Anfu » contrôlant uniquement la région de Pékin, alors que les opposants forment le « groupe de Zhili » qui comprend toute la province de Hebei. Les menaces viennent de partout : Sun Yat-sen qui était revenu du Japon, exhorte ses troupes à partir de Canton, Feng Yuxiang, le général chrétien, contrôle les armées du centre, et Zhang Zuolin tient la Mandchourie avec l’appui des Japonais…

À Pékin, Feng Guozhang succède à Li Yuanhong quand le Sud de la Chine fait à nouveau sécession sous la direction du Docteur Sun Yat-sen. Duan, qui préconise une solution militaire, est en désaccord avec le président Feng Guozhang, qui préfère négocier.

En échange d'une aide militaire ou financière japonaise, il accepte l'attribution au Japon – décidée par le traité de Versailles – des concessions allemandes du Shandong. Cette attribution provoque à Pékin un mouvement d'indignation populaire, appelé le Mouvement du 4 Mai 1919. Sans soutien populaire, d'autres seigneurs de la guerre se retournent contre lui, le forçant à démissionner en 1920.
Rappelé de sa retraite en 1924, il prend la responsabilité du gouvernement provisoire. Avec Zhang Zuolin et Feng Yuxiang, il négocie le principe d'une réunification nationale avec Sun Yat-sen, jusqu'au décès de celui-ci, en 1925.
Avec ses troupes en désordre, le gouvernement de Duan ne dépend que de Feng Yuxiang et Zhang Zuolin. Sachant leurs mauvaises relations, il essaie de jouer l'un contre l'autre.
Lors d’une manifestation à Pékin le 18 mars 1926, Duan Qirui donne l'ordre à ses troupes de tirer sur les protestataires et tue 47 manifestants. Après cet incident qui le rend particulièrement impopulaire, il est renversé par Feng Yuxiang le mois suivant, se réfugie dans le camp de Zhang Zuolin, qui, fatigué de ses trahisons, refuse de le rétablir après la reprise de Pékin. Duan s'enfuit à Tianjin et plus tard à Changhai où il mourra en décembre 1936.
Wu Peifu

Né dans une famille bourgeoise du Shandong et ayant entamé des études littéraires, Wu Peifu se destine très vite à la carrière militaire et intégre l’académie de Baoding. Diplômé en 1903, il rejoint la 3eme armée impériale.
En 1917, Wu est envoyé comme commandant de division mater la tentative de restauration des Qing organisée par Zhang Xun.
En 1918, alors qu’il se bat dans le sud Hunan, il envoye un télégramme vilipendant les dissensions à Pékin.
Pékin lui coupe les fonds et la situation s’enlise.
Wu Peifu établit ses quartiers à Luoyang et stationne ses troupes à Zhengzhou.
Avec sa 3eme armée, il défie la ligue d’Anfu de Duan Qirui.
Le 20 juin 1920 les troupes s’affrontent et reçoivent l’appui de Zhang Zuolin qui commande les troupes de Mandchourie.
Le 19 juillet, Duan Qirui démissionne et les troupes de Mandchourie et de Wu Peifu pénètrent dans Pékin.
Très vite cependant des frictions apparurent entre les deux hommes forts et leurs armées respectives s’affrontent, mais Wu Peifu réussit à contenir les troupes de son rival au Nord de Pékin.
Wu Peifu garde la mainmise sur Pékin jusqu’à l’attaque des troupes de Chang Kaï-shek en 1926 lors de son expédition du Nord et dont nous reparlerons. Il se réfugie alors au Sichuan, où il mène des batailles d’arrière-garde avant de se réfugier au Shaanxi où il abandonnera la lutte et y mourra en 1939.
Zhuang Zuolin

Zhuang Zuolin est né d‘une famille pauvre dans le Liaoning.
En 1896, il rejoint une bande de brigands, puis rejoint l’armée et se bat au côté des Japonais contre les Russes.
Nommé vice-ministre des affaires militaires en 1913, il épaule Yuan Shikai lorsque celui-ci prend le pouvoir à Pékin.
En 1916, il est nommé « Dujun » (gouverneur) du Liaoning et l’année suivante, il étend son pouvoir sur toute la Mandchourie (Jilin et Heilongjiang).
Après son alliance, puis son conflit avec Wu Peifu, il se replie sur son fief.

Il se fait nommer président mi-1927 et le restera jusqu’en 1928.
En Mandchourie, sa gestion de la province sera catastrophique : d’exactions en gaspillages, de violences en débauches, il mène la province à la banqueroute.
Il instaure même une monnaie papier dont la valeur s’effondre en dollar argent équivalent : de 1,27 en 1917 à 10,61 en 1927...
En juin 1928, alors qu’il hésite encore entre prendre parti pour les Japonais ou pour Tchang Kaï-chek dont les troupes menacent Pékin, il meurt dans le train qui le ramène à Moukden lors d’un attentat fomenté par ses protecteurs nippons.
Si dans le Nord la situation est une succession de conflits entre chefs militaires, dans le Sud, la situation n’est pas vraiment plus brillante. Mais c’est ce que nous verrons dans un prochain article. Restez branchés…