La Gazette de Changhai : (46) Le règne des seigneurs de la guerre dans le centre de la Chine

De Histoire de Chine

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Rédigé par Charles Lagrange

Dans l’article précédent, nous avions vu comment une poignée de seigneurs de la guerre contrôlaient le Nord de la Chine. Au centre, la situation n’est pas plus brillante. Au début des années 20, la région se trouve en effet partagée entre trois potentats locaux dont les armées s’allient ou se combattent au gré des saisons. Le Shanxi est sous la botte de Yan Xishan, le Shaanxi sous celle du général chrétien Feng Yuxiang, et le Shandong aux mains du redoutable Zhang Zongchang.  

Le Shanxi sous la houlette de Yan Xishan

Yan Xishan (1883-1960)

Yan Xishan nait en 1883 près de Taiyuan. Eduqué dans un collège militaire, il est envoyé deux ans au Japon. Il fait sécession de l’armée impériale en 1911 et est nommé gouverneur du Shanxi par Sun Yat-Sen lui-même.

Yan Xishan est sans doute la figure la plus moderne parmi les seigneurs de la guerre, et ses actions sont largement diffusées par ses écrits et par ceux des correspondants étrangers.

Le Shanxi, orienté vers la Mongolie et ses plaines herbeuses où les gens vivent paisiblement de l’élevage, est un centre important de la culture bouddhiste-tibétaine en Chine ainsi d’ailleurs que le plus important producteur de charbon du pays.

Cependant la province étant bordée de montagnes à l’Est, au Sud et à l’Ouest, elle se trouve fort protégée de ses voisins envieux.

Yan Xishan a une armée bien formée et bien organisée.

Sa préoccupation première est de garder le Shanxi libre de toute armée autre que la sienne.

Il était connu pour sa politique sociale, mais cela à travers une taxation très lourde qui dans les années 30 mènera la province à la ruine et à la famine.

Des rapports d’étrangers font état d’une province relativement bien équipée en routes, avec des villes plutôt propres, pas de mendiants dans les rues, des maisons de tolérance bien gérées, une police efficace car payée régulièrement, et un bon système de transport public.

Yan Xishan a le don de changer d’alliances au gré des événements. Il est un grand allié de Wu Peifu, se rangera aux côtés du Guomintang de Tchang Kaï-chek lors de l’expédition du Nord de 1926 et contribuera à l’avance sur Pékin.

Dans les années 30, il devra faire face aux menaces des Japonais installés en Mongolie Intérieure et aux drogues que ceux-ci répandront dans le pays pour saper le moral des Chinois.

Il prendra le commandement de la 8ème armée avec le communiste Zhu De comme second. Mais après la guerre, il se rangera du coté de Tchang Kaï-chek et utilisera même des troupes japonaises prisonnières pour combattre les communistes.

Yan Xichang s’enfuira à Nankin avec l’or des coffres et suivra les troupes nationalistes jusqu'à Taiwan où il vivra paisiblement jusqu'à sa mort en 1960.

Le Shaanxi aux mains du général chrétien Feng Yuxiang

Feng Yuxiang (1882-1948)

Feng Yuxiang nait dans le Hebei en 1882. Il rejoint l’armée à l’âge de 10 ans, puis gravit les échelons jusqu’à diriger un bataillon dès 1913.

C’est de cette époque que date son intérêt pour les activités des missionnaires et donc pour la religion chrétienne.

En 1918, il prend fait et cause pour Wu Peifu et se retrouve cantonné à Chengde ou il en profite pour consolider la formation de ses troupes avec comme consignes de base : pas d’alcool, pas de drogue, doctrine scout du respect patriotique et étude de la bible !

En 1921 il est nommé gouverneur du Shaanxi après avoir assassiné un concurrent et incité un autre à se suicider.

En 1924 il est envoyé contrer les troupes de Zhang Zuolin sur la Grande Muraille et il en profite pour occuper Pékin.

Feng Yuxiang a été très entreprenant pour sa province en construisant des routes, des chemins de fer et en essayant même d’établir une sécurité sociale.

Pu Yi et son épouse Wan Rong

Mais tout cela était financé par des taxes exorbitantes sur la laine, les grains, les cigarettes, ce qui a eu don de déprimer les affaires.

Son action la plus connue a cependant été en novembre 1924 l’éviction du dernier empereur Pu Yi de la Cité Interdite, où Yuan Shikai lui avait permis de résider lors de la création de la république en 1912.

Feng Yuxiang s’alliera avec le Guomintang en 1927 et expulsera les communistes des régions qu’il contrôle, sans toutefois les massacrer.

Une fois la Chine unifiée, Feng Yuxiang part en réclusion au mont Tai (Shandong).

En 1933, il essayera de mettre sur pied une armée pour lutter contre les Japonais, mais sans expérience, celle-ci sera mise en déroute à la première attaque.

Il se fera le chantre de la lutte anti-japonaise et rejoindra Tchang Kaï-chek à Chongqing en 1937 où il restera jusqu'à la fin de la guerre. Après celle-ci, il s’opposera à lui et se réfugiera aux Etats-Unis.

Le 5 septembre 1948, en revenant en Chine sur un bateau russe, il périra « officiellement » dans un incendie sur le navire…

Zhang Zongchang, la terreur du Shandong

Zhang Zongchang (1881-1932)

Si la plupart des seigneurs de la guerre ne brillaient pas par leur honnêteté, Zhang Zongchang a vraisemblablement été le pire d’entre eux.

Zhang rejoint une bande de brigands en 1911 : il est fort et rusé et à moitié illettré.

Petit à petit, sa ruse le fait grimper les échelons de la hiérarchie militaire du coin. Il est nommé gouverneur militaire du Shandong en 1925.

Zhang a l’habitude de faire couper les têtes de ses ennemis en deux et de les pendre aux fils téléphoniques. Il impose des taxes sur tout ce qu’il peut : le riz, le tabac, le bétail, et même les chiens. De plus, il s’approprie les dons aux temples, rançonne les banques, fait du commerce de l’opium un monopole, possède un harem de filles asiatiques et européennes, et se fait appeler le « Grand Général de la justice et la pitié ».

Ses opposants disaient de lui : « Il a le physique d’un éléphant, le cerveau d’un cochon et le tempérament d’un tigre ».

Ses meilleures troupes sont commandées par des officiers Russes blancs, cruels, intrépides, buveurs, mais excellent combattants, se déplaçant en trains blindés, baptisés comme des navires : « Shandong », « Henan », Pékin »,… A l’avant comme à l’arrière se trouve un wagon plat avec du matériel agissant comme tampon pour protéger les autres wagons armés de canons et mitrailleuses, ainsi que celui du centre servant de quartier aux officiers.

Nicolai Merkoulov (à gauche), principal conseiller russe blanc de Zhang (1869-1945) qui sera le vice-président de l’organisation des Russes unies à Changhai de 1932 à 1945

Les Russes pillent chaque village dans lequel ils passent et la misère et la faim deviennent endémiques dans toutes les régions avoisinantes. Plus tard, en 1927, lorsque Tchang Kaï-chek supprimera les communistes à Changhai, les séides de Zhang lui prêteront main forte.

Lors de l’avance de l’armée nationaliste en 1926, les Japonais vont dépêcher 5000 troupes à Qingdao et le long de la ligne Qingdao-Jinan sous le prétexte de protéger leurs nationaux. L’action combinée des deux forces en présence provoque très vite la débandade des troupes de Zhang.

Il implorera le pardon des Nationalistes et demandera à quitter le Chine, ce qui lui sera accordé. Il se réfugiera cependant à Dalian d’où il intriguera pour renverser Liu Zhennian, le leader nationaliste qui a pris sa place au Shandong. Ralliant une série de soldats démobilisés, il essayera de reprendre le pouvoir mais sans succès. Il s’enfuira au Japon et après l’incident de Moukden en 1931, il sera ramené par les Japonais en Chine. Le 3 septembre 1932, à la sortie d’un repas entre amis à Jinan, il sera assassiné par le neveu d’un officier qu’il avait fait exécuté.

Le Nord et le centre de la Chine sont donc les proies des potentats locaux. L'Est du pays et la région de Changhai ne sont malheureusement pas épargnées, et se trouvent également sous la houlette d’un seigneur de la guerre. Mais c’est ce que nous verrons dans un prochain article.