La Gazette de Changhai : (50) Pendant les troubles, la police et l’armée veillent
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Rédigé par Charles Lagrange
Les troubles sociaux qui se multiplient après les événements de Mai 1925 mettent les forces de l‘ordre sous forte pression. La Municipalité a sous ses ordres la Garde Municipale, force de police créée en 1868 et dont le professionnalisme et les effectifs vont se développer au fil des années. En cette année 1925, ceux-ci se montent à un total de 1138 hommes. Pour renforcer ces forces de police, stationne à Changhai depuis 1901 un détachement de l’infanterie coloniale dont seuls les corps professionnels resteront en garnison jusqu’à la fin du régime des concessions.
La Garde Municipale, garant de l’ordre public dans le périmètre de la Concession
Dès de début des concessions internationales à Changhai se constitue un groupe de volontaires afin d’assurer l’ordre et la sécurité au sein de celles-ci.
À la première milice, succède en 1853, la « Compagnie des Volontaires de Shanghai », dont les hommes proviennent des trois pays concessionnaires.
Dès 1856, le consul Benoît Edan met en place une petite police française qui deviendra la « Garde Municipale », forte d'environ 25 hommes.

Cette force de police n’était initialement pas prévue. Elle a été constituée empiriquement alors que les autorités chinoises locales se trouvaient paralysées pendant la rébellion des Taiping et de la Société des Petits Couteaux dans la ville.
La Garde Municipale est créée officiellement par décret municipal le 14 avril 1868. Son rôle est défini comme étant un corps de police assurant le maintien de l’ordre et dont les instructions viennent directement du Consul de France, le Conseil Municipal ne remplissant que des fonctions délibératives. Cette structure de commandement va provoquer d’ailleurs à de nombreuses reprises des conflits d’autorité au sein du Conseil.

Au départ, la Garde est une force paramilitaire de type colonial et dont le commandement est assuré par du personnel européen : Des supplétifs des régiments tonkinois leur sont assignés et des agents chinois sont engagés au fil des années.
Jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, l’essentiel de la Garde se compose de fusillers marins, de soldats de l’armée métropolitaine ou coloniale en activité ou qui sont sur le point de quitter l’armée pour diverses raisons.
Les conditions de recrutement reposent sur des critères militaires stricts, de nationalité et d’aptitudes physiques. Les candidats doivent posséder au moins le grade de sergent, et être âgés de 30 ans maximum, avec une exception pour les marins et les militaires de carrière qui voient la limite portée à 35 ans.
De plus, ils doivent mesurer au moins 1m75 car les supplétifs chinois venant du Nord sont en général de grande taille et il fallait donc que leurs supérieurs « ne leur soient pas physiquement inférieurs ».
Les révoltes des Taiping, des Boxers, des Méos entrainent l’envoi de renforts des régiments
d’infanterie de Marine et en Officiers de police, en particulier du 4e Régiment de Tirailleurs Tonkinois.
Ce n’est qu’après la première Guerre mondiale, alors que la population de la Concession approche les 150.000 individus, que les effectifs se structurent de manière plus efficace et se concentrent sur un travail de police, plus que sur une activité de défense du territoire.
En 1906, le colonel Louis Mallet est nommé chef de la Garde. Dès le début de ses fonctions, celui-ci se révèle être un homme fort et se trouve être ou adulé ou exécré, selon le pouvoir respectif du Consul ou du Conseil.
La direction de la Garde est française et l’encadrement européen, avec une parenthèse pendant la guerre 14-18 qui profite aux agents chinois. Le commandement de la Garde est assuré par des cadres de Saint-Cyr ou Saint-Maixent.

Cette hybridation de la composition de la police rend la cohabitation fragile entre cadres européens et agents asiatiques, Chinois et Tonkinois, intermédiaires coloniaux, Chinois du nord et Chinois du sud.
Le colonel Mallet s’inspire alors de la police britannique qui avait engagé des Sikhs. Pour pallier l’insubordination des Chinois on intègre de plus en plus de Tonkinois, dont les tirailleurs. Ensuite les Russes-blancs, émigrés notamment de Mandchourie, seront intégrés dans les cadres.
Dès les premiers troubles liés à la création de la République de Chine en 1911, le Conseil Municipal est dissous et remplacé par une Commission Provisoire sous l’autorité directe du Consul de France. Cela correspond à la fin du mandat de Mallet qui est remplacé par Louis Schmitt, un soldat de carrière né en 1876 à Sarguemines et dont l’endurance et l’énergie le fait remarquer au début de la Guerre. En outre, celui-ci a une expérience dans le renseignement, ce qui en fait un collaborateur privilégié et précieux aux yeux des Consuls.
Schmitt apparait dans l’histoire comme le héros dont les qualités correspondaient tout à fait aux besoins et aux missions de la police française.
À Schmitt succède en 1919 le capitaine Etienne Fiori dont nous reparlerons et qui restera en fonction pendant 12 ans.

En 1925, Robert Jobez, un inspecteur de police judiciaire de premier échelon de la Préfecture de Police de Paris, lauréat des Langues orientales de chinois, est mis à disposition par les Affaires étrangères comme cadre de la Garde Municipale. Jobez avec 28 agents s’enrôlera dans les FFL en 1940.
La police sera hébergée dans cinq postes dont nous reparlerons : le Poste Central de la rue Stanislas Chevalier (Jianguo lu), le Poste Mallet sur la rue du consulat (Jinling lu), le poste Foch, au croisement avenue Joffre/route Pottier (Huai Hai/Baoqing lu), le poste Pétain sur la rue du même nom (Hengshan lu) et le Poste de l’Est à la porte du même nom.
En cette année 1925, les effectifs de la police se montent à 1138 hommes, dont 99 Européens, 398 Tonkinois et 641 supplétifs chinois, dont 82 détectives et 455 agents.
Les Marsoins

Lorsque l’expédition de Chine se replie de Pékin en 1901, la direction de l’armée prend la décision de laisser en Chine deux régiments stationnés à Tientsin et à Changhai : les 16ème et 17ème régiments d’infanterie coloniale, soit 1700 hommes au total. Le contingent stationné à Changhai est appelé le « bataillon de marche de Changhai ». Il comprend une batterie et un parc d’artillerie, une section de télégraphistes coloniaux et un détachement de Forces Publiques (gendarmerie).
Ce contingent vient prendre ses quartiers au nord de ce qui va devenir le Parc de Koukaza (Fuxing park). Au même moment, ces troupes passent sous l’autorité du Ministère de la Guerre.
Ils sont baptisés les « Marsoins » car l’Intendance les a affublé d’un uniforme inspiré de celui des Chasseurs Alpins : large béret des troupes de montagne, pèlerine de berger et jambières de cuir.

En 1905, les troupes stationnées en Chine sont appelées « Corps d’Occupation de Chine » (COC), au grand dam des Chinois et ce, jusqu’en 1936.
Au sortir de la première Guerre Mondiale, les effectifs du COC sont réduits à 430 hommes et un bataillon de tirailleurs tonkinois vient combler les vides.
À partir de 1919, le COC se reconstitue lentement et en janvier 1925, le Consul de France demande des troupes pour protéger la Concession. Une compagnie du 1er régiment de tirailleurs tonkinois et une section d’artillerie séjournent à Changhai de février à décembre 1925. Ce sera le début d’un va-et-vient de renforts entre l’Indochine et la Chine.

Le 27 juillet 1927 sera créé le « Détachement français de Changhai », qui assurera la garde de la Concession. D’autres bataillons viendront de France comme le 100e BICM, et d’Indochine comme le 55e bataillon de marche qui opérait au Maroc. La majorité de ces ajouts stationneront cependant à Tientsin.
En 1927, toutes les troupes quitteront le parc de Koukaza pour s’installer dans différents endroits dont nous reparlerons : les casernes Bernez-Cambot, Marcaire, et Prosper-Paris, et le campement Mangin.
Dès 1905, les locaux du parc Koukaza ont été cédés à la Municipalité pour en faire un club sportif dont nous reparlerons longuement plus tard.
Le développement de la ville et des troubles sociaux rendent la tâche de la Garde Municipale de plus en plus difficile avec les moyens dont elle dispose. Dans un souci d’améliorer la prévention ; celle-ci développera le renseignement et c’est à ce jeu qu’elle se trouvera très vite piégée par ceux-là même qu’elle espérait combattre. Mais c’est ce que nous verrons dans les prochains articles.