27 janvier 1964 : la reconnaissance de la République populaire de Chine par la France

De Histoire de Chine

rédigé par Davy Argueyrolles-Lepoivre, Thibault Gil, David Maurizot

Il y a 60 ans, comme un coup de tonnerre en pleine Guerre Froide, la France reconnaissait la République populaire de Chine et décidait d’établir des relations diplomatiques avec le plus grand État communiste d’Asie. L’audacieux geste du Général de Gaulle avait été longtemps mûri : il s’agissait de poursuivre cette « troisième voie », indépendante des États-Unis, pour rétablir la France dans toute sa puissance. Ces aspirations rencontraient celles du régime de Mao qui, quant à lui, connaissait des tensions croissantes avec le « grand-frère » soviétique. C’est ainsi que le 27 janvier 1964 l’établissement de relations diplomatiques entre Paris et Pékin était officialisé par la publication simultanée en France et en Chine d’un bref communiqué.

Mais revenons sur les coulisses de cet évènement. Comment, en pratique, s’est déroulée la reconnaissance ?

La une du Monde le 28 janvier 1967

Septembre 1963 : La visite de Guillaume Georges-Picot

La Guerre d’Algérie achevée, le Général de Gaulle se sent les mains libres sur la scène mondiale. Durant l’été 1963, il fait part à Etienne Burin de Roziers, secrétaire général de l’Elysée, de ses intentions : il décide de l’envoi à Pékin de Guillaume Georges-Picot, un ancien de la France libre dans lequel il a toute confiance et qui avait connu la Chine dans les années 1930 comme diplomate. Président de la section Extrême-Orient du patronat français, il pourra en toute discrétion y tâter le terrain.

Ainsi, dès septembre, Zhou Enlai, alors Premier ministre chinois, accueille la délégation économique française, composée, de M. Georges-Picot mais aussi de M. Evain, directeur des relations internationales du Conseil national du patronat français, de M. Crouy-Chanel, délégué général du Syndicat d’études pour l’Extrême-Orient, de M. Meslier, représentant la Fédération des industries mécaniques et de M. Journu, représentant l’Union des industries chimiques.

Au-delà du message diplomatique dont il est le discret porteur, l’objectif de cette rencontre est également économique : il ne s’agit toutefois pas de conclure immédiatement des contrats, mais plutôt de faire une prospection à plus long terme, d’étudier les besoins du marché chinois et de faire connaître à la Chine les possibilités d’exportation de l’industrie française. À un moment où, sous la pression des développements du Marché commun et des négociations du G.A.T.T., les barrières douanières s’abaissent et les importations françaises croissent plus vite que les exportations, il est jugé important de chercher de nouveaux débouchés pour ces exportations. Cette rencontre conduira d’ailleurs très rapidement aux premières actions de coopération : une exposition technique française en Chine organisée en 1964 marquera le rétablissement des relations économiques et culturelles de la France avec la Chine continentale.

Fort de ce premier contact établi avec succès, le Général décide d’envoyer à Pékin à la suite de M. Georges-Picot un homme politique qui le représentera personnellement.

Octobre-novembre 1963 : La visite d’Edgar Faure

« M. Edgar Faure en visite privée à Pékin ». C’est ainsi que le journal Le Monde du jeudi 24 octobre 1963 informe ses lecteurs de l’arrivée du célèbre homme politique français sur le sol chinois. « Bien qu’il s’agisse d’une visite privée, des informations parvenues de Paris à Pékin indiquent que M. Edgar Faure a été reçu avant son départ par le président de Gaulle » poursuit le quotidien. Mais Le Monde n’en sait pas bien davantage, si ce n’est qu’une volonté « d’établir des liens économiques et culturels plus étroits » émane des dirigeants chinois.

En réalité, Edgar Faure est porteur d’une lettre manuscrite signée du Général, qui le reconnaît comme son représentant pour négocier une reconnaissance officielle mutuelle entre les deux nations.

Bien qu’étant un adversaire en politique (Edgar Faure appartient au parti radical), de Gaulle fait pleinement confiance à cet homme qui l’a rejoint en 1944 dans la Résistance. Avocat, historien du droit, romancier mais aussi maire, député, ministre et par deux fois Président du Conseil sous la IVe République… Faure est un homme expérimenté avec une réputation d’habile négociateur.

Mais lorsqu’il pose le pied en République populaire de Chine en ce mois d’octobre 1963, Edgar Faure n’arrive pas en terre inconnue. Le Français y avait déjà effectué un premier séjour de six semaines en 1957, accompagné de sa femme Lucie (qui le suivra à nouveau dans son second voyage). Il en avait d’ailleurs tiré un livre, Le Serpent et la Tortue. Les problèmes de la Chine populaire (1957), dans lequel il explique combien il est « absolument grotesque que la plupart des grands pays ignorent purement et simplement ce continent » et « qu’il serait bon pour la France de reconnaître la Chine ».

Octobre 1963, Zhou Enlai reçoit Edgar Faure et sa femme[1]

Dès son arrivée à Pékin, le couple Faure est reçu par le Premier ministre Zhou Enlai et Chen Yi, ministre des Affaires étrangères. Commence alors une série d’entretiens qui dureront une semaine, dont le point d’orgue sera la rencontre avec Mao Zedong lui-même, à Shanghai. Les deux époux séjourneront dans la ville portuaire jusqu’au 3 novembre, avant de s’envoler pour Kunming puis de quitter la Chine en direction de Rangoon en Birmanie, le surlendemain.

La question de Taiwan fut au cœur des négociations. Dans sa note transmise au Général de Gaulle en date du 7 novembre 1963, Edgar Faure relate : « notre reconnaissance de la République populaire de Chine rendra caduque, ipso facto, la reconnaissance de tout autre pouvoir légitime prétendant à la même souveraineté ». Les négociateurs s’accordent donc sur l’unité de la Chine. Zhou Enlai insiste auprès d’Edgar Faure pour que la France appuie également la légitimité de la République populaire de Chine à l’ONU. Enfin, l’envoyé personnel du Général de Gaulle assure que si Taipei retire sa délégation à Paris à la suite de la reconnaissance du gouvernement de Pékin, « la réciprocité » s’appliquera.

Les deux parties s’accordent finalement pour une publication simultanée (mais non conjointe), reconnaissant l’existence de l’autre et l’envoi immédiat d’ambassadeurs dans les deux capitales. Il ne reste plus qu’à de Gaulle qu’à approuver l’accord passé entre son envoyé et le gouvernement chinois. Edgar Faure conclut sa note pour le Général en ces mots : « j’émets respectueusement le souhait que l’ensemble des données complexes dont vous êtes le seul juge vous permette de conclure une réalisation dont tout fait présager la bienfaisance historique ».

27 janvier 1964 : L’annonce officielle

C’est lors du Conseil des ministres du 8 janvier 1964 que de Gaulle fait connaître sa décision à son gouvernement et en expose ses raisons en des termes très gaulliens : « La Chine est une chose gigantesque. Elle est là. Vivre comme si elle n’existait pas, c’est être aveugle, d’autant qu’elle existe de plus en plus.

Circulaire du 27 janvier 1964 publiée par le Ministères des Affaires Etrangères[2]

Suit le communiqué officiel le 27 janvier : « Le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République populaire de Chine ont décidé, d’un commun accord, d’établir des relations diplomatiques. Ils sont convenus à cet effet de désigner des ambassadeurs dans un délai de trois mois. »

Le 31 janvier, lors d’une conférence de presse, le Général prendra le temps d’exposer ses vues et toutes les implications de cette décision à l’opinion publique française. « En nouant avec ce pays, avec cet Etat, des relations officielles, (…) la France ne fait que reconnaître le monde tel qui est » y déclare-t-il (retrouvez l’intégralité de l’intervention du Général de Gaulle ici)

Juin 1964, l’Ambassadeur Huang Zhen présente ses lettres de créance au Général de Gaulle, avec à droite Maurice Couve de Murville, Ministre des Affaires étrangères

Lucien Paye sera alors nommé Ambassadeur de France en Chine. Il arrivera à Pékin en mai. Tandis que son homologue chinois, Huang Zhen, arrivera début juin à Paris. Une nouvelle ère des relations entre la France et la Chine pouvait commencer…


Sources

Références et notes

  1. Source photographique : Fondation Charles de Gaulle
  2. Source photographique : Ministères des Affaires étrangères