A bord d’une Canonnière en Chine, 1908-1909, par Maurice Balazuc

De Histoire de Chine
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rédigé par Michel Nivelle

Découverte fortuite lors d’une recherche bibliographique, le Carnet de bord de Maurice Balazuc est un manuscrit inédit. Il est présenté et préfacé par Marie-Hélène Balazuc, sa petite-fille dans une édition qui n’a été tirée qu’à 30 exemplaires distribués à chacun des membres de la famille.

Maurice Balazuc, aspirant de seconde classe est âgé de 22 ans seulement lors de son séjour en Chine de 1908 à 1909. Il arrive dans l’Empire du Milieu au moment où l’Impératrice Douairière Tseu-Hi meurt. La dynastie Mandchoue vit alors ses dernières années puisqu’elle sera remplacée en 1911 par la République de Chine. Les traités inégaux ont ouvert la Chine aux étrangers qui y bénéficient de nombreux privilèges.

Les grandes puissances peuvent tenir garnison, installer une flotte, des usines, où exploiter des mines. A cela s’ajoute la mainmise sur une large part de l’appareil économique d’un Etat devenu impuissant. Les douanes, les ports, la poste, la justice, les finances sont tout ou en partie sous contrôle étranger. La défaite contre les Japonais et la guerre des Boxers a accentué le démembrement territorial et la désintégration politique du pays. Les intérêts anglais sont prédominants, la plupart des entreprises et des banques leur appartiennent.

C’est dans ce contexte quelque peu troublé que Maurice Balazuc prend son service à Shanghai le 5 septembre 1908 à bord de La Décidée, petit bâtiment destiné à la protection fluviale. A bord du bateau, il s’ennuie vite, et dès qu’il a une permission il va visiter des pagodes ou les gorges du Yang-Tsé. A chaque escale à Shanghai, il passe chez son tailleur pour s’acheter un vêtement car il ne dédaigne pas les soirées mondaines de l’époque qui attirent forcément le jeune officier qu’il est.

Son carnet de bord est une chronique anecdotique de sa vie quotidienne : les manœuvres monotones et les séances de tir, la navigation sur le fleuve, ses distractions, son séjour à l’hôpital avec parfois des scènes pittoresques comme la visite impromptue chez un mandarin. Il n’a aucun contact avec le peuple et les réalités chinoises dont il ne parle pas vraiment, et on ne ressent pas d’hostilité de la part des Chinois envers un militaire en mission sur un vaisseau de guerre.

Ensuite, notre homme, devenu directeur technique dans l’une des compagnies aériennes qui sera fusionnée pour fonder Air France, est mort tragiquement en 1934 lors d’un vol Marseille-Paris à bord du trimoteur Émeraude, et par suite de très mauvaises conditions météorologiques.

Les textes sélectionnés que je vais retranscrire sont extraits in extenso du carnet de bord de Maurice Balazuc relatant jour après jour les informations météorologiques et les évènements de son voyage en Chine. D’autre part, il reste de nombreuses pages sur le Japon et l’Indochine qui peuvent présenter tout autant d’intérêt. Sur la canonnière La Décidée, il est en charge des montres et de l’électricité.

Le 24 novembre 1908, le commandant de Linarès reçoit un message de l’Ambassadeur lui disant de rallier Shanghai à cause des troubles créés en Chine par la mort de l’Impératrice Douairière. Maurice Balazuc arrive à Shanghai le 29 novembre, il est malade, et doit séjourner à l’hôpital.

29 novembre (dimanche)

Appareillons à 6h30. Je prends le quart : nous prenons le chenal du sud. Je fais jusqu’à Tunghsha. De midi à 4 je fais l’entrée du Wampoo jusqu’à Woosung. A 3 heures, nous mouillons à Shanghai dans la partie inférieure du port. Visite officielle du Leipzig. Le Bruix est à Nagasaki, l’Alger à Nankin. Les troubles sont très réduits. Ma santé n’est pas excellente, la fatigue des dernières nuits m’a encore abimé l’intestin. Le soir je commence les lettres du jour de l’An.

1er décembre

Je règle toutes mes affaires dans la marinée. Après déjeuner, je fais ma valise, touche ma solde et pars à l’hôpital général où le docteur Vialle m’attend. On me donne la chambre No 27 en première classe… Je déteste cette espèce de claustration dans un établissement spécial, où sous couleur de vous guérir par le repos et le régime, on vous abat le moral par l’ennui et le manque d’occupation.

13 décembre

Temps couvert. Je ne sors pas de l’hôpital. Le matin je reçois la visite du père missionnaire, curé de la paroisse du Sacré Cœur.

19 décembre

A 2 heures beau temps, je vais au champ de courses voir jouer au football. Je vois plusieurs officiers. Je raccompagne le docteur, et je rentre. Le soir je prends du calomel.

Le 21 décembre, il quitte l’Hôpital général pour se rendre à Nganking sur le Sui Wo. 24 décembre

On me réveille à 2 heures. Je vais sur la passerelle. En arrivant près de Nganking (Anging actuel), j’aperçois La Décidée que je hèle au mégaphone. Nous stoppons 500 mètres plus haut, et j’embarque sur un sampan qui va à terre. Je reste accosté à terre, bien embêté car le sampan veut attendre le jour pour me transporter : heureusement arrive le youyou de La Décidée. J’arrive à bord à 4 heures du matin, et je me couche. Je suis levé à 8 heures. Tout le monde est bien portant à bord. Inspection du commandant.

31 décembre

Wuhu est une grande ville chinoise où s’arrêtent tous les bateaux du Yang-Tsé. Importante mission des Jésuites. Plusieurs pères viennent à bord dans la soirée, et nous invitent pour le lendemain. Je ne descends pas à terre. Je pars faire de l’escrime et de la gymnastique.

1er janvier 1909

Beau temps mais la nuit a été froide. La canonnière américaine Villabos arrive, et mouille. J’y vais en visite officielle. Très bien reçu. Nous allons ensuite présenter nos vœux au commandant. Puis les officiers vont à terre déjeuner à la mission.

Retour à Shanghai. 8 janvier

Temps couvert. Le Consul anglais chargé des intérêts français vient à bord le matin. Il arrange une partie de football avec le Cadmus pour le soir à 3 heurés. A 13 heures je fais une conférence à l’équipage.

21 janvier

La terre est couverte de neige. Je pars à 7 heures pour le tir au revolver : marche rapide, nous revenons à 10 heures. Le ciel est pur et le soleil fait fondre la neige. A 1 heure je retourne à la butte faire tirer les derniers hommes. Je sors ensuite mais toutes les maisons sont fermées. On reçoit le courrier français.

En avril, quelques réflexions personnelles sur l’Orient. 28 avril

Il pleut et il fait froid. Je lis. On enlève du carré les tuyaux d’eau distillée pour les étamer. Vassal et Bastard dînent chez le bris. Après diner je lis : Ceylan Bouddhique de Chevrillon : description parfaite des émotions ressenties dans les serres chaudes des tropiques, faite des sensualité, exaltation et en même temps indolence, conduisant à l’indifférence bouddhiste.

11 mai

Très beau temps. Zi arrive à bord à 7 heures. Le docteur Bastard et moi partons avec Zi accompagnés du boy. Nous prenons à 9 heures le train pour Soutchow (Suzhou) en troisième classe. Nous traversons une campagne très cultivée. Dans la ville plusieurs pagodes. Le jardin où nous déjeunons en pique nique est très bizarre, un petit étang avec des nénuphars entouré des pâtîtes cases très jolies et très bien décorées où sont installées des tables, des sentiers au sol couvert de mosaïques passant dans des rochers déposés d’une façon bizarre. Nous allons ensuite prendre le thé dans une maison très chic.

Il va aussi à Hankou et Yichang. 26 juin

Très beau temps. Je pars à midi et demi pour les gorges (du Yang-Tsé). Le cheval ne me plaisant pas, je prends une chaise dans laquelle on est très mal assis. Nous longeons la rive du fleuve. Le chemin devenant difficile, je vais à pied jusqu’à un petit ruisseau venant de la droite et qui coule dans les gorges à pic, en face les jonques sont halées par une trentaine de Chinois et avancent à peine.

Et puis Pékin en septembre. 12 septembre

Nous préparons nos valises. A 6 heures nous partons. Nous croisons à terre ceux qui reviennent de Pékin. Nous prenons le train à 8 heures du soir ; à Tougo, nous changeons pour prendre la ligne directe. Le train est plein mais nous nous installons sur des fauteuils. Avec nous est un missionnaire blessé par les fusils des Koughours : il est mort peu après l’arrivée.

15 septembre

Levés d’assez bonne heure, nous partons en voiture pour le palais d’été ; la route en dehors des murailles est splendide. Arrives au palais d’été entouré d’un mur infranchissable pour nous, nous partons les uns à ânes, les autres en pousse pour la pagode de Piyoungsen, à 6 kilomètres de là et dans la montagne. Nous y déjeunons et retournons au palais d’été d’où nos voitures nous ramènent à Pékin. Je vais voir des « curios ». Le soir après diner, cirque russe, et nous rentrons à l’hôtel.

Et toujours à Shanghai. 21 septembre

Le Doudart de Lagrée fait ses essais. Nous faisons le service à cinq à courir.

2 octobre (samedi)

Je descends à Shanghai à 5 heures pour assister au diner chinois offert par Number One (son tailleur). Je vais voir à Setchwen Road si Aquonai, la petite chinoise est toujours la. Excellent diner. Puis nous allons au théâtre chinois de 10 heures à minuit. Ensuite tous en cœur allons faire la vadrouille, au 52 Nankin Road où on est bien reçu. Enfin je passe ma nuit à partir de 2 heures au Setchwen Road avec une petite chinoise du nom d’Aquan.

3 octobre

Arrivé à la gare à 8 heures, Flipo descendant du train m’apprend qu’on vient de recevoir un télégramme de Paris nous disant de rentrer en France au lieu d’aller à Yokohama.

Maurice Balazuc, à bord du croiseur D’Entrecasteaux, quitte la Chine le 5 octobre 1909 et son récit continue jusqu’à l’arrivée en rade de Toulon le 18 décembre deux mois plus tard. Il a fait escale à Saïgon, Singapore, Penang, Pondichéry, Colombo, Mahé, Bombay, Djibouti, Suez et Port-Saïd.