Auguste François, le Mandarin blanc
rédigé par Michel Nivelle
Moins connu que Victor Segalen parce qu’il n’a rien publié lui-même, Auguste François (1857-1935) n’en reste pas moins un personnage qui fascine. Aventurier solitaire, c’est avant tout un homme libre et indépendant. Il a du panache et du style. Ses écrits sont à sa mesure.
Après un bref passage diplomatique au Tonkin, il est nommé un peu par hasard Consul Général de France au Yunnan de 1899 à 1904. Le gouvernement français le charge alors d’étudier un projet d’ouverture d’un chemin de fer de 500 kilomètres reliant la Chine du sud au Vietnam. Mais c’est avant tout un voyageur dans l’âme, qui ne se sent chez lui qu’ailleurs. A pied, à cheval, en chaise à porteur, en sampan, il va sillonner inlassablement les routes mandarines de la Chine méridionale, rencontrer des personnages extraordinaires, et vivre des situations peu banales.
Les chinois l’appellent le « mandarin blanc » avec un mélange de respect, et de crainte. Il prend aussi des centaines de photographies, et rédige des notes comme pour faire partager son insatiable curiosité, et son étonnement constant face à cet empire aux traditions millénaires. Quand il ne fait pas de politique, il observe d’un œil froid, et décrit bien le quotidien : « On n’imagine pas Canton, dit-il, le spectacle de ses faubourgs lépreux, l’immensité des immondices accumulées. La cohue qui encombre ses boyaux est ahurisssante ; coolies torse et jambes nues, corps déformés, ahanant sous des fardeaux écrasants ; des bourgeois en longues robes flotttantes ; des femmes, visages fardées joues peintes comme des poupées ».
Ce Consul explorateur est déjà sensible à l’environnement : « Fouler une telle nature, vierge encore de voies ferrées, de poteaux et de fils télégraphiques, est un enivrement ». Peu diplomate, il défend ses certitudes : « Delicieux chemin de fer ! il n’est pas possible de se moquer plus agréablement du monde, en soutirant au bon contribuable cent millions pour la construction d’une pareille voie ferrée. C’est ça la pénétration de la France au dehors ! » Cinquante ans plus tard cette voie ferrée transportera les renforts par milliers vers Diên Biên Phu : « Cadeau à nos frais d’un envahisseur possible ». Le Consul avait raison !
Il réfléchit aussi à l’avenir du pays : « Les coups de canon de 1850 ont ébranlé le vieil édifice ; les trépidations de la locomotive vont le faire écrouler. J’assiste au commencement de cette fin. Impression saisissante… Comment des cerveaux façonnés par Confucius vont-ils absorber les idées de démocratie et d’anarchie qui vont leur être insufflées de partout ? Quelle Chine se prépare ? Eclatera-t-elle en morceaux ? »
Et au moment de quitter la Chine, il se dit entraîné par une sorte de vertige tant il redoute de faire le tour de sa masse et de son énormité. Sa vie fût en tous les cas un véritable roman. Il s’éteint le 4 juillet 1935 dans le Morbihan.