De Hanoï à Pékin : notes sur la Chine – Albert Bouinais (4)

De Histoire de Chine

« … Nous terminerons ce court récit par quelques renseignements sur le commerce actuel de Canton, que nous empruntons à un travail extrêmement intéressant adressé par notre consul, M. Huart, aux affaires étrangères et qui a été publié dans le Bulletin consulaire (XVIè volume, année 1888, 6è fascicule, décembre : Chine, Commerce et navigation de Canton en 1887. Ce recueil renferme des rapports très instructifs que nos négociants feraient très bien de méditer. Ceux qui sont dus à M. Huart sont marqués au coin d’un bon sens pratique, nourris de renseignements, et dénotent de la part de leur auteur une connaissance approfondie du pays qu’il habite. Nous le remercions d’avoir bien voulu nous autoriser à les reproduire).

En 1887, le commerce général du port de Canton s’est élevé à la somme de 232,623,648 FR., soit 112,822,926.63 FR. pour les importations et 119,800,721.40 FR. pour les exportations. Les principaux articles d’importation sont l’opium, les tissus de coton et de laine, les métaux, le riz, le pétrole, etc. Les marchandises d’exportation sont très nombreuses ; voici les principales : les soies et étoffes de soie, les éventails, les pétards, l’indigo, les nattes, les sucres, les thés, etc.

Les soies sont presque toutes pour le marché de Lyon. Malgré l’importance de ces expéditions, il n’y a qu’une seule maison française établie à Canton. Les négociants français s’adressent généralement à des commissionnaires anglais et surtout allemands. Et cependant la France reçoit les deux tiers de la production totale des soies de Canton ! Il y aurait place pour cinq ou six maisons françaises sérieuses. Mais voilà, les Français émigrent difficilement, ils n’aiment pas aller au loin pour commercer, ils préfèrent attendre que les cailles leur arrivent toutes rôties, si elles ne sont pas mangées sur place par des rivaux plus actifs et plus entreprenants ! Il faut avouer aussi la perspective de passer cinq ou 6 ans dans un port comme Canton n’a rien d’attrayant pour un Français qui se trouve alors exilé, sans théâtres, sans cafés, sans amis, et sans l’élément féminin.

La situation géographique de Canton et la politique du gouvernement chinois, dit M. Huart, ont fait de cette ville pendant longtemps l’entrepôt d’un immense commerce, tant d’intérieur qu’étranger. Il fut un temps où presque tout le commerce de la Chine avec les étrangers était centralisé à Canton. Les provinces y envoyaient toutes leurs productions et des navires étrangers y importaient des denrées de tous les pays. On y trouvait des soies du Kouang-toung, du Tché-kiang, du Kiang-sou, du Yun-nan, du Hou-pé ; du musc du Yun-nan, du Ho-nan, du Sseu-tch’ouen, du Hou-nan et du Hou-pé ; des métaux (cuivre, étain, plomb, fer, or, vif-argent) du Yun-nan, du Kouang-si, du Koueï-tchéou, etc.

En échange, les étrangers apportaient des bois (ébène, santal, safran), des cornes (de bœuf, de buffle, de rhinocéros), du coton (en laine et filé), de l’horlogerie (montres, pendules), de la coutellerie et quincaillerie, de la parfumerie, des dents d’éléphant (entières ou brisées), des métaux, des peaux (de bœuf, de loutre, de renard, de castor, de lièvre, de lapin, etc.), du savon, de l’opium, des tissus de coton (batiste, mousseline, twilled cloth, blanc et écru), chintze (toile perse et indiennes), mouchoirs, cotonnades teintes, velours, draps, des tissus de laine (spanish stripes, broad cloth, camelot hollandais et anglais, couvertures, flanelles), des toiles (fine et grosse de lin et de chanvre), des verres et cristaux, des vins, bières et liqueurs, etc.

Tout ce commerce d’exportation et d’importation se faisait en vertu d’un privilège exclusif accordé par l’empereur de Chine, par l’entremise obligatoire d’une corporation de douze gros négociants chinois, qui étaient connus sous le nom de marchands hong ou hanistes (ces marchands répondaient au Ho-po ou chef de la douane chinoise de tous les individus arrivés en Chine et considérés comme des barbares) ; les étrangers ne pouvaient traiter directement avec les Chinois de l’achat ou de la vente des marchandises d’exportation et d’importation. C’est ainsi que les Portugais, arrivés en Chine en 1504, les Espagnols venus quelques années plus tard, les Français (1520), les Hollandais (1601), les Anglais (1635), les Suédois et les Danois (1732) et les Américains (1784), conduisirent pendant longtemps leurs opérations commerciales dans la Chine. Ces diverses nations louaient dans le faubourg de Canton, au bord de la rivière des Perles, des factoreries ou entrepôts ; il y avait la factorerie hollandaise, la factorerie française, la factorerie anglaise, etc. ; des compagnies dites des Indes Orientales furent créées en Europe pour diriger les entreprises commerciales sur la Chine.

La première compagnie française, appelée Compagnie de Chine, date de 1660 : quatre ans plus tard elle fut réunie à la Compagnie des Indes ; deux autres sociétés établies en 1697 et en 1713, ne réussirent point, et en 1719 les compagnies d’Occident, des Indes et de Chine se réunirent sous le nom de Compagnie des Indes.

A l’origine, cette compagnie n’eut pas de factorerie à Canton ; elle faisait des expéditions annuelles et ne gardait pas de pied-à-terre en Chine. Par la suite elle institua à poste fixe un « conseil de direction » chargé de la gestion des affaires. En 1770, ce conseil se composait de trois membres. Six ans plus tard, il fut créé un consulat français à Canton « à l’instar, dit l’ordonnance royale, des consuls de la nation française résidant auprès des princes de la Barbarie » ; le chef du conseil, M. Thimothée, fut choisi comme consul, et un des membres, M. Clouet, comme chancelier (3 février 1776). Ces deux personnes n’ayant pas accepté ces fonctions, M. Vauquelin, qui avait été pendant vingt-quatre ans attaché au service de la Compagnie des Indes en qualité de subrécargue, fut nommé consul, et M. Vieillard, membre du conseil de direction, désigné comme chancelier.

L’Angleterre, de son côté, avait accordé à sa compagnie des Indes, dite London Company, le privilège du commerce avec la Chine. Le roi Guillaume III autorisa une compagnie rivale à s’installer sous le titre de East India Company (1678), et les directeurs (présidents) obtinrent des commissions de consuls. M. Catchpole fut le premier consul anglais en Chone (1699). Dès lors, les chefs de factoreries conservèrent les attributions dévolues aux consuls du Levant par l’ordonnance de Charles II (1662). Le privilège de la Compagnie des Indes ayant pris fin en 1834, la porte de la Chine fut ouverte à la libre concurrence, et des maisons de commerce, agissant chacune de leur côté à leurs risques et périls, s’établirent à Canton ; les deux plus puissantes furent Jardine Matheson et Cie et Dent et Cie ; elles eurent à lutter dès le début contre une forte maison américaine, celle des Russel. Les opérations de ces maisons, qui portaient spécialement sur les thés, les soies, les cotons et l’opium, étaient colossales ; déjà riches par elles-mêmes, et opérant sur des masses de capitaux considérables appartenant à d’anciens marchands hongs chinois et à des capitalistes parsis, elles tinrent longtemps les rênes du commerce étranger en Chine et tirèrent des profits énormes du monopole des Hanistes, dont elles avaient acquis toute la confiance.

La guerre de l’opium et le traité que l’Angleterre conclut avec la Chine pour y mettre fin supprimèrent le privilège des Hanistes et portèrent le premier coup à la prépondérance commerciale de Canton en ouvrant ce port, en même temps que Shang-haï, Ning-po, Amoy et Fou-tchéou, au commerce étranger. L’établissement d’une colonie anglaise à Hong-Kong et l’ouverture de nouveaux ports par les traités subséquents achevèrent de ruiner le commerce de Canton : les produits de l’intérieur, au lieu de se centraliser dans le Kouang-toung, se divisèrent entre les nouveaux ports ouverts, plus rapprochés des lieux de production, et les denrées étrangères pénétrèrent dans l’intérieur, au détriment de la cité cantonnaise, par ces nouvelles voies de commerciales. C’est ainsi que les soies et les thés, principaux articles d’exportation, qui arrivaient autrefois de toutes les provinces pour être expédiés de Canton sur les marchés étrangers, sont aujourd’hui exportés directement de Shang-haï, de Fout-tchéou et de Han-kéou.

Canton n’est plus, comme il y a un siècle, un centre de distribution générale, mais seulement un centre de distribution pour quelques districts. Par suite, il n’y existe plus de grandes maisons princières, ainsi que les appelaient les Anglais, accaparant tout le commerce d’importation et d’exportation, mais il s’y trouve un certain nombre de maisons rivales dont les opérations limitées se bornent à un commerce de détail.

On ne voit plus de grands spéculateurs détenir des stocks considérables de marchandises et faire varier les cours des marchés en envoyant ces produits en Europe ; on n’y fait plus des fortunes colossales, on y vit, pour ainsi dire, au jour le jour.

D’autre part, la cession de Hong-Kong à l’Angleterre et l’extension rapide qu’a prise cette colonie (jadis un rocher nu et aride, maintenant l’une des plus belles villes de l’Extrême-Orient) ont modifié d’une façon presque radicale les conditions du commerce d’importation. Malgré les efforts des négociants, les marchandises indigènes, en raison du peu de distance qui sépare Hong-Kong de la capitale des deux Kouang, ont pris l’habitude d’aller eux-mêmes faire avec avantage sur ce grand marché, sans passer par l’intermédiaire des négociants de Canton, leurs approvisionnements de denrées européennes.

Les marchandises étrangères arrivent à Hong-Kong de toutes les parties du monde et sont débarqués dans d’immenses godowns ou magasins, où elles attendent qu’elles soient vendues : ben que des échantillons soient envoyés à Canton et dans d’autres ports du littoral, la livraison doit être faite à Hong-Kong même. La position géographique de l’île et les communications qu’elle a par vapeurs avec tous les ports de Chine sans exception permettent au commerce d’importation de rayonner en quelque sorte sans se déplacer. De plus, et ceci est un point important à noter, Hong-Kong est un port franc, et offre ainsi des facilités de toutes natures aux négociants européens et indigènes.

Le commerce de détail qui se fait à canton est entre les mains des maisons anglaises, américaines et allemandes, succursales pour la plupart de maisons mères établies à Hong-Kong.

Je ne crois pas qu’il soit néanmoins impossible au commerce français de suivre la même voie que ses concurrents et de soutenir ici la réputation de nos articles ; mais il ne faut pas que nos négociants restent inactifs, qu’ils manquent de courage ou d’ambition ; il est nécessaire qu’ils prennent l’initiative ; qu’ils se donnent la peine de venir eux-mêmes examiner de très près les conditions actuelles du commerce en Chine, d’étudier soigneusement le champ d’action, de voir enfin quels seraient les nouveaux articles qui pourraient être introduits. L’exportation ne se fait pas toute seule, ni même par l’appui d’un gouvernement, ainsi que le pensent beaucoup de nos commerçants ; elle ne se fait pas non plus par correspondance. Si les négociants ne veulent pas s’expatrier, qu’ils envoient au moins des voyageurs sérieux à leur place : c’est le meilleur moyen de relever notre commerce en Chine.

Ce que je viens de dire pour le commerce d’importation s’applique également à celui d’exportation, quoique celui-ci soit moins nul que le précédent, grâce à la présence ici du représentant de la maison Cozon et Giraud, qui fait de grands achats de soie pour le marché de Lyon.

La chambre de commerce de Lyon connaît cependant suffisamment le marché de Canton pour savoir tout le profit que notre industrie pourrait en retirer. Plusieurs négociants de Lyon sont venus eux-mêmes autrefois en Chine. Il me semble qu’il serait facile de constituer une sorte de syndicat dont les représentants viendraient s’installer à Canton même. Un syndicat des soies aurait à Canton, dans cette spécialité, les mêmes succès que le syndicat placé sous la direction du comptoir d’escompte a eus et a encore à Tien-tsin.

Après avoir examiné rapidement l’état du commerce de Canton dans le passé et dans le présent, il nous faut l’envisager dans l’avenir.

Les négociants étrangers, jaloux des avantages commerciaux qui nous ont été récemment concédés par la Chine, notamment par la convention conclue le 26 juin 1886, cherchent à les contrebalancer à leur profit dans le sud de la Chine. L’ouverture de Long-tchéou, dans la province du Kouang-si, au commerce franco-annamite, portera un coup sérieux au port de Canton. Les produits français et étrangers pourront en effet pénétrer plus facilement dans cette province par la rivière Song-ki-kong qu’en remontant les cours d’eau qui vont se jeter dans le Si-kiang ou fleuve de l’Ouest, et il est à présumer que les envois de casse ou cannelle, principal produit du Kouang-si, seront faits dorénavant par le Song-ki-kong et par le Tonkin, afin d’éviter les droits de li-kin considérables imposés par le gouvernement vice-royal des deux Kouang. La chambre de commerce de Hong-Kong insiste donc pour que les villes de Vou-tchéou-fou et de Nan-ning-fou, situées sur le Si-kiang ou fleuve de l’Ouest, dans le Kouang-si, soient ouvertes le plus tôt possible au commerce étranger, avant que le courant commercial se soit dirigé vers Long-tchéou et sur le Tonkin (On voit par ces considérations combien nous devrions nous hâter d’achever le chemin de fer de Langson – A.B.)

Vou-tchéou-fou est située dans la province du Kouang-si, à peu de distance de la frontière du Kouang-toung, sur le Si-kiang ou fleuve de l’Ouest, au centre même d’un cercle imaginaire qui passe par Canton, Hong-Kong, Koueï-ling-fou (capitale du Kouang-si), Nan-ning-fou et Pakhoi, et est mise en communication directe avec l’intérieur de la Chine par plusieurs cours d’eau tributaires du Si-kiang, et avec Hong-Kong par le Si-Kiang même, qui se jette dans la mer à côté de Macao. Cette ville est appelée, si elle est ouverte au commerce à devenir l’entrepôt de tout le sud-ouest de la Chine et à prendre sous ce rapport la place de Canton.

Le cours du Si-kiang a été parcouru par plusieurs Européens : le lieutenant Bullock, officier de la marine anglaise, en 1859 ; M. Mayers, vice-consul d’Angleterre à Canton, en 1862 ; M. Michael Moss, délégué de la chambre de commerce de Hong-Kong, en 1870 ; MM. Colquhoun er Wahab, en 1884 ; M. H. Schroeder, employé d’une maison allemande de Canton, en 1886 ; M. Stewart, ancien commandant d’une des canonnières du vice-roi de Canton, en 1887. On sait, d’après leurs observations, qu’il est navigable jusqu’à Vou-tchéou-fou pendant toute l’année pour des vapeurs calant 12 pieds anglais (3m65), et que, pendant la saison des pluies (de février à septembre), des vapeurs de tirant plus élevé pourraient même le remonter. Cette route fluviale est aujourd’hui parcourue par des jonques transportant du riz, de l’indigo, de l’huile d’arachides, des bestiaux, des fruits, du poisson de mer salé et des étoffes, de Canton et de Fatshan en passant de la rivière des Perles dans le Si-kiang au moyen de plusieurs petites rivières qui unissent ces deux grands cours d’eau. Une compagnie chinoise possède treize énormes jonques faisant un service régulier entre Vou-tchéou, Fatshan et Canton et réciproquement. Ce commerce par jonques aurait pris un très grand essor si les bureaux du li-kin installés le long du Si-kiang ne l’avaient entravé par leurs exactions. Si Vou-tchéou-fou était ouvert et mis sur le même pied que les autres Treaty-Ports (ports à traités) ; et si, par suite, les vapeurs étrangers avaient la faculté de remonter le Si-kiang, toutes les marchandises éviteraient les retards, les délais et les taxes du li-kin, et n’auraient plus qu’à acquitter les droits de douanes maritimes, conformément aux tarifs actuellement en vigueur. Le commerce serait, dans ces conditions, singulièrement facilité et prendrait alors une grande extension. On met, en moyenne, aujourd’hui une vingtaine de jours pour aller de Hong-Kong à Vou-tchéou-fou en passant par Canton et Fatshan ; il serait possible de faire le même trajet en trois jours, par vapeurs, en passant par la voie directe du Si-Kiang. En présence de tous ces avantages, on explique aisément l’insistance des négociants en général, et de ceux établis à Hong-Kong en particulier.

Nan-ning-fou ne présente pas des conditions aussi favorables que Vou-tchéou-fou ; également située sur le Si-Kiang, qui, à partir de Ping-nan-chien, non loin de Vou-tchéou-fou, coule dur nord-est au sud-ouest, au lieu de continuer sa course dans la direction de l’ouest, mais aussi éloignée de Vou-tchéou-fou que cette dernière ville l’est de Hong-Kong, cette cité n’a pu être encore visitée en détail par les Européens. Ceux qui sont arrivés jusqu’à ses portes ont rencontré une telle hostilité chez les habitants, qu’ils n’ont pas osé passer outre, ni enfreindre les ordres des autorités locales, opposées à leur débarquement, pour se rendre un compte exact des produits qui y sont entreposés et étudier en connaissance de cause le marché qui pourrait y exister. D’ailleurs la navigation du Si-Kiang est très difficile au-dessus du Ping-nan-chien : on a à lutter à la fois contre un courant très violent, le pu de profondeur de l’eau et des rapides dangereux. Des steam-launches ou chaloupes à vapeur seraient seules capables de remonter jusqu’à Nan-ning-fou. En été, toutefois, des vapeurs d’un assez fort tirant d’eau pourraient, à cause de la crue annuelles des eaux, entreprendre le voyage sans trop de peine, mais à la condition que cette partie du Si-kiang eût été étudiée avec soin, et qu’une bonne carte, indiquant minutieusement les récifs et les rapides, les chenaux et les passes, en eût été faite. On voit, par ce qui précède, que Nan-ning-fou se trouve occuper sur le Si-Kiang une situation à peu près analogue à celle de Tchong-kin (Sseu-tch’ouan) sur le Yang-tsé-kiang.

Il est hors de doute pour moi, dit M. Huart, que le gouvernement chinois cédera tôt ou tard à la pression des puissances étrangères intéressées, et que le Si-kiang, des ports ouverts, auxquels les vapeurs étrangers venant directement de Hong-Kong auront accès. Le premier port ouvert sera nécessairement Vou-tchéou-fou. Quant à Nan-ning-fou, il se peut que le Cabinet de Pékin, eu égard au mauvais esprit dont la population est animée envers les étrangers, ne veuille pas consentir à l’ouvrir de sitôt au commerce étranger. Ce ne serait toutefois que partie remise et qu’une affaire de temps, car l’intérêt des négociants étrangers est le même dans cette question que celui des commerçants indigènes et du Trésor impérial ; le gouvernement central est assez intelligent pour le comprendre et pour donner satisfaction aux demandes des représentants étrangers, surtout s’il voit que la population accueille plus favorablement les Européens, et que, par suite, sa propre responsabilité ne se trouve pas engagée.

Le jour où le Si-kiang sera ouvert, le commerce de Canton diminuera encore : les vapeurs ne passeront plus par cette ville, ils iront directement de Hong-Kong à Vou-tchéou-fou et transporteront les produits étrangers plus près des lieux de consommation. D’autre part, les produits indigènes, au lieu de parcourir en jonques le Si-Kiang et la rivière des Perles, seront embarqués dans le nouveau port à bord des navires étrangers, qui les dirigeront immédiatement, sans transbordement, sur Hong-Kong. Il ne restera plus à Canton qu’un petit commerce d’importation de détail, localisé aux besoins peu étendus de quelques districts qui l’entourent, et le commerce d’exportation sera réduit aux soies et aux thés. Canton, jadis le port le plus commerçant et le plus florissant de l’Empire chinois, sera relégué parmi les entrepôts de troisième ou de quatrième ordre.

Dans une forte intéressante brochure, Les Grandes Voies commerciales du Tonkin, le capitaine Devrez, de l’état-major des troupes de l’Indo-Chine, dit au sujet des différentes voies de la province de Canton par lesquelles on peut arriver au Yunnan :

On peut gagner le Yunnan par la rivière de Canton de deux manières, soit en remontant directement de Canton, soit en partant de Packhoï pour aboutir par voie de terre à Nan-Ning-fou.

Ces rapprochements font bien ressortir la valeur de notre établissement du Tonkin, si admirablement situé pour mobiliser le commerce des provinces méridionales de la Chine… »

La maison de commerce américaine Russel & Co sur l’emplacement des anciennes factoreries vers 1860