Des héros oubliés : Les marins chinois qui ont libéré la France

De Histoire de Chine
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Cet article est une contribution du Souvenir Français de Chine. → Visitez le site du Souvenir Français

rédigé par Thibault Gil, Christophe Koeltgen, David Maurizot

avec l’aide de Ning Tang

Le rôle de la Chine dans la Seconde Guerre Mondiale est largement ignoré par les manuels scolaires français qui, pour d’évidentes raisons géographiques, donnent la part belle au théâtre européen. Quant au théâtre du Pacifique, il est souvent réduit au colossal affrontement maritime entre le Japon et les Etats-Unis. En cet anniversaire du Débarquement de Normandie, prenons un peu de hauteur, penchons-nous sur la Chine et… découvrons ces 25 soldats chinois qui ont participé à la Libération de la France !

Point de vue chinois

La Seconde Guerre Mondiale qui s’achèvera par les bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki en août 1945, débute en effet très tôt pour la Chine et les Chinois : l’Incident du pont Marco Polo, le 7 juillet 1937, est le point de départ de huit longues années de sang et de larmes. Des millions de Chinois, soldats et civils, le paieront de leur vie.

Entre 1937 donc et 1941, la Chine sera ainsi seule à lutter contre l’expansionnisme japonais dans la région. Ce n’est qu’avec l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941 qu’elle se retrouve, enfin, aux côtés des Alliés. Elle devient alors une pièce maîtresse de l’échiquier régional. Environ 1,5 million de soldats japonais seront engagés en Chine : ce qui empêchera le Japon de concentrer l’intégralité de ses efforts militaires dans l’immensité du Pacifique contre les Etats-Unis d’Amérique. On comprend ainsi toute l’importance du théâtre chinois dans la stratégie des Alliés et pourquoi, à l’issue de la guerre, la Chine obtiendra un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU…

La préparation

Photographie des officiers chinois sélectionnés pour être formés aux Etats-Unis et en Angleterre

Au lendemain de Pearl Harbor, les Américains et les Anglais s’engagent donc à moderniser l’armée chinoise. Au-delà du matériel fourni par voie aérienne via l’extraordinaire pont aérien au-dessus de l’Himalaya entre les Indes britanniques et le sud-ouest de la Chine, il est aussi décidé de former une poignée d’officiers chinois au service sur des navires modernes.

En novembre 1943, 25 d’entre eux prennent la direction de l’Angleterre. Huang Tingxin (黄廷鑫), tout récemment diplômé de l’Académie militaire de Chengdu, est l’un d’eux. Il est d’abord affecté de mars à mai 1944 avec ses camarades au Royal Naval College de Greenwich dans une « classe chinoise » spécialement créée. Il y apprend l’anglais, la navigation, l’utilisation des torpilles, des canons et d’autres matières, conformément aux traditions de la Royal Navy.

Le HMS Searcher au cours de l’opération Tungsten[1]

Huang est ensuite affecté sur un porte-avions, le HMS Searcher. un navire construit aux États-Unis, capable de transporter 25 avions et principalement chargé de missions d’escorte. Il est notamment chargé de la surveillance : « Ma principale responsabilité consistait à observer l’orientation du porte-avions en mer et son positionnement. Celui-ci devait ajuster son cap et sa vitesse en fonction de la direction du vent et des courants pour assurer des décollages et atterissages en douceur. En tant qu’officier de quart, je devais également superviser les mouvements des avions, les anomalies pendant les vols et d'autres situations pendant que le porte-avions naviguait. »

Le 3 avril 1944, Huang participe ainsi à son premier combat : l’attaque aérienne de la marine britannique contre le cuirassé allemand Tirpitz dans l’Altenfjord, une mission codée « Opération Tungsten ». Au cours de cette opération, le Tirpitz est touché par 13 bombes et ne peut plus regagner la haute mer. Le plus grand et dernier cuirassé allemand en restera paralysé jusqu’à la fin de la Guerre.

Participation au Débarquement de Normandie

Début juin 1944, sans que l’équipage connaisse l’ampleur de l’opération dans laquelle il est engagé, le HMS Searcher se voit confier une mission d’escorte et de lutte anti sous-marine. Aux premières heures du 5 juin, il quitte discrètement le port de Belfast en Irlande du Nord et met le cap vers le sud de la Manche. Bien que tout le monde à bord sache que la contre-offensive alliée est imminente, peu savent qu’ils s’apprêtent en fait à participer à la plus grande opération militaire amphibie de l’histoire.

Huang Tingxin à bord du Searcher

Le 6 juin aux alentours de 7 heures du matin, Huang prend son petit-déjeuner au mess des officiers quand il entend soudain la BBC annoncer que les avions alliés ont commencé à atterrir en Normandie. L’opération « Neptune[2] » est lancée. La joie le partage à l’inquiétude : les forces alliées vont-elles tenir le terrain en Normandie ? Le souvenir de Dunkerque[3] est encore dans toutes les têtes. Huang s’en rappellera ainsi : « Après le petit-déjeuner, je suis allé sur le pont prendre mon quart et j’ai vu les appareils décoller les uns après les autres, s’en aller bombarder les positions ennemies… Le ciel était rempli d’avions défilant en formation, comme des nuées d’oiseau. » Le porte-avion sur lequel lui et ses camarades servent est de ceux qui assurent la surveillance et la couverture des opérations de débarquement.

Ainsi, répartis sur différents navires, chacun des 25 officiers chinois participa directement ou indirectement aux opérations navales de la campagne de Normandie. Certains prennent part aux combats de manière plus directe sur des cuirassés, des croiseurs ou des destroyers. Deux d’entre eux sont même en première ligne pour commander des barges de débarquement lors de la partie la plus sanglante des opérations.

Puis, alors que la bataille des plages est gagnée, Huang Tingxin foule le sable et est marqué par le spectacle du matériel militaire dispersé partout, des tanks, des camions et des barges de débarquement laissés à l’abandon. Il en conservera l’idée que dans la guerre moderne, la victoire finale n’est pas tant déterminée par les succès sur le champ de bataille que par la puissance économique et les capacités industrielles d’un pays.

Participation au Débarquement de Provence et fin de la guerre

Huang Tingxin à Hong Kong en 1946

Deux mois plus tard, le 15 août 1944, le HMS Searcher se trouve face à Toulon, de nouveau au cœur des opérations. C’est le Débarquement de Provence. Sa mission est de couvrir le débarquement des forces principales en attaquant les lignes de défense allemandes grâce aux appareils décollant de son pont. Malgré l’issue favorable de la bataille (la Provence sera libérée en deux semaines), Huang Tingxin décrira cette journée comme la plus intense vécue depuis qu’il était monté à bord du bâtiment.

Après ce nouveau succès, le Searcher reprend la mer pour le sud de la Méditerranée, avec pour mission de soutenir l’avancée des alliés en Grèce. C’est seulement fin 1944 que Huang retrouve enfin la Grande-Bretagne. Lui et ses camarades de promotion chinois entament une dernière phase de cours de marine de guerre et c’est sur les bancs de l’académie qu’ils apprennent la capitulation inconditionnelle de l’Allemagne, le 8 mai 1945. S’ils ont contribué à cette victoire majeure, leurs compatriotes subissent toujours les affres de la guerre qui fait rage à l’autre bout de l’Eurasie. En effet, les troupes japonaises en Chine ne déposeront les armes que trois mois plus tard, après la capitulation du Japon le 2 septembre 1945.

Après-guerre

Fin 1945, Huang Tingxin part terminer sa formation avec la flotte britannique du Pacifique et ce n’est qu’au début de l’été 1946 qu’ayant terminé ses études, il regagne la Chine via Hong Kong. En 1948, il intègre l’état-major du quartier général de la marine des troupes nationalistes à Nankin, mais quand ceux-ci se replient sur l’île de Taiwan en 1949, il choisit de rester sur le continent et rejoint la marine de l’Armée populaire de libération, toute nouvellement établie. A Shanghai il occupe différents postes, puis il finira instructeur à l’académie navale de Dalian, avec le rang de capitaine.

En 1958, après avoir quitté la marine, Huang devient professeur d’anglais dans différents instituts universitaires du Zhejiang. Après sa retraite, il travaille comme bibliothécaire tout en réalisant des travaux de traduction et d’édition.

Remise de la légion d’honneur

Huang Tingxin le jour de sa décoration en 2005

C’est en 2005, plus de 60 ans après ses exploits, que Huang Tingxin est décoré par le Consul général de France à Shanghai de la Légion d’Honneur, au cours d’une discrète cérémonie qui se tient à son domicile au Zhejiang. À cette occasion, il déclarera : « Il y a plus de 60 ans, j’ai eu l’honneur de me battre côte à côte avec les alliés dans la guerre anti-fasciste sur le théâtre européen. Comme je vois les gens commémorer la campagne de Normandie encore et encore, je suis encore plus fier d’avoir participé en personne à un évènement si important dans l’histoire de l’humanité. À cet instant, mes pensées vont à mes camarades de promotion, plus d’une vingtaine, qui se battirent à mes côtés sur le théâtre européen. Je me souviens de tous les Chinois qui, de par le monde, participèrent à la guerre antifasciste. L’honneur que vous me faites ne revient pas qu’à moi seul mais aussi à eux. »

Sources

Remerciements

Aux équipes du Puy du Fou à Shanghai pour la mise à disposition de leur historienne, Ning Tang. C’est elle qui a conduit les recherches sur Huang Tingxin et ses compagnons.

Notes

  1. NavSource
  2. « Neptune » désigne le débarquement de Normandie en lui-même, qui se déroule le 6 juin 1944. Le nom « Overlord » désigne quant à lui la bataille de Normandie, opération beaucoup plus vaste qui s’étale de la prise des plages le 6 juin jusqu’au 25 août et la libération de Paris.
  3. La bataille de Dunkerque se déroule du 20 mai au 3 juin 1940. Enfermés dans une poche par l’avancée fulgurante de l’armée allemande, le corps expéditionnaire britannique, ainsi que des dizaines de milliers de soldats français, doivent être évacués vers la Grande-Bretagne. Cette « défaite » s’avèrera sur le long terme un succès, permettant aux britanniques de poursuivre la guerre et aux Français de constituer l’embryon des Forces françaises libres.