Hommage au Docteur Georges Bechamp, Consul de France à Chengdu (1929-1941)

De Histoire de Chine

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rédigé par Jacques Dumasy

Les années 1930 en Chine sont celles de la descente aux enfers : à la guerre civile s’ajoute l’invasion japonaise, dès 1931, et son déferlement à partir de 1937, ce qui amène le gouvernement chinois à se replier sur Chongqing. Le Sichuan devient la cible de bombardements meurtriers. La France, déjà si essoufflée par la guerre de 1914-1918, s’affaiblit et se dirige vers une nouvelle guerre inéluctable. Dans ces années sombres, émerge à Chengdu une personnalité hors du commun : le Docteur Bechamp.

Dr Georges Bechamp

Au milieu des années 20, le chaos politique et militaire au Sichuan avait amené le repli général de la représentation française. Avec l’amélioration provisoire de la situation, la mission médicale est réouverte dès mars 1929 par le Docteur Georges Bechamp. Il a été dans sa jeunesse docteur au sein de l’armée rouge en Russie puis chirurgien en Arménie. Rentré en France, il devient médecin des Messageries Maritimes. Il est parfait polyglotte (anglais, allemand, chinois, japonais et russe). On retrouve dans sa nomination la patte de Philippe Berthelot, le Secrétaire Général du M.A.E qui « le connaissait depuis longtemps et l’estimait beaucoup ». En mai de la même année, il est chargé de la gérance du Consulat, après deux ans de fermeture.

L’Ambassadeur à Pékin chante vite ses louanges et apprécie sa correspondance avec la Légation, « l’une des plus régulières et des plus instructives qui lui fût adressée. L’influence que son activité professionnelle lui avait acquise dans tous les milieux de Chengdu a toujours été mise au service de notre prestige et de nos intérêts. Il n’est pas un voyageur français dans cette lointaine province qui n’ait eu à se louer de ses attentions et de son appui. La récente conclusion du contrat qui doit permettre à l’industrie française de construire la voie ferrée Chengdu-Chongqing n’aurait pas été possible sans lui »[1].

En 1934, alors que la décision semble prise à Paris de supprimer le consulat, Bechamp parvient à convaincre Henri Wilden, consul à Chengdu en 1907-1908 et devenu Ministre Plénipotentiaire à Pékin, de la nécessité de le maintenir ouvert pour suivre les projets de chemin de fer. Bechamp est effectivement reçu en audience, en 1935, par le Maréchal Tchang Kaï-Chek pour évoquer les projets ferroviaires à vocation stratégique pour la lutte anti-japonaise, comme la voie Chengdu-Chongqing mais aussi, au-delà, vers Guiyang. Des contacts réguliers sont établis entre Bechamp et le général He Geguang, chef d’état-major du Maréchal, désigné pour servir d’intermédiaire. Celui-ci confie que le Maréchal « désirait qu’on commençât le chemin de fer au plus tôt et par les deux extrémités, suivant un tracé doublant les routes, c’est-à-dire partant de Chengdu pour aboutir à Kunming, par Chongqing et Guiyang ».

Mais l’histoire, une fois encore, va ruiner ce projet franco-chinois au Sichuan. En juillet 1937, le Japon envahit la Chine de tous côtés : Pékin, Tianjin, Qingdao, Taiyuan, Shanghai, Nankin, Canton tombent avant la fin de l’année. Wuhan résiste mais est abandonné en octobre 1938. Le Gouvernement se replie sur Chongqing et sur son bastion des provinces du sud-ouest, Sichuan, Yunnan, Guizhou et Guangxi, qui resteront libres.

La fin du Docteur Bechamp est tragique.

Sa dernière œuvre sera la création à Chengdu en juin 1939 d’un hospice pour orphelins, victimes de la guerre, où 100 à 150 enfants peuvent être hospitalisés et soignés gratuitement. Un important service de consultation y est annexé. Un médecin chinois, le Dr. Shi Zhongqing, docteur de la faculté de médecine de Paris, aide le Dr. Bechamp dans sa tâche.

Cependant, au lendemain de l’armistice de 1940, il fait le choix de la France libre et prend secrètement contact avec la résistance. Il se met à la disposition du Général de Gaulle dont il devient, début 1941, un des représentants en Extrême-Orient. La rupture avec sa hiérarchie et avec le gouvernement de Vichy devient inéluctable. Dans une note du 18 avril 1941, signée par l’Amiral Darlan, Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, la rupture du Docteur Bechamp avec le régime de Vichy est décrite avec minutie :

« Le 21 février dernier, l’ambassadeur de France en Chine, de passage à Shanghai, signalait au département que le Dr. Bechamp semblait éprouver quelque peine à se rallier au nouveau régime de la France. Il lui avait déjà adressé auparavant un avertissement. A la suite des informations que lui transmettait son représentant à Chongqing, et d’après lesquelles l’action en cette ville de M. Guibaut, explorateur[2], affilié au mouvement de la « France Libre », paraissait être dirigée en sous-main par le gérant de notre Consulat à Chengdu, il se voyait obligé de l’inviter à lui télégraphier sans équivoque une déclaration de loyalisme.

À la même époque, le Dr. Bechamp télégraphiait en clair à Chongqing et à Pékin qu’il avait détruit ses tables de chiffre et qu’il enverrait fin février à l’Ambassade le procès-verbal d’incinération et ses comptes.

Entre temps, le 21 mars, le Consul de France à Kunming transmettait à l’Ambassade une lettre qui était adressée le 15 mars à celui-ci et par laquelle le Dr. Bechamp lui faisait savoir qu’il avait « clos définitivement ses relations avec le représentant du gouvernement de Vichy » et que, « travaillant désormais avec le général de Gaulle », il avait confié la mission médicale à des confrères canadiens et notifié le 11 mars aux autorités chinoises la fermeture du Consulat dont il jugeait le maintien « indécent »[3].

La sanction ne se fit pas attendre : par décret du 16 juillet 1941, signé du Maréchal Pétain, le Dr. Bechamp est déchu de la nationalité française. Quelques temps plus tard, il est exclu de la légion d’honneur. Georges Bechamp entre dans la clandestinité pour poursuivre la résistance. Le drame se noue au début de 1942 ; lors d’une mission en zone occupée, le Dr. Bechamp est arrêté par les Japonais et remis, quelque temps plus tard, aux autorités françaises en Indochine.

Référence

Extrait de l’ouvrage « La France et le Sichuan, un regard centenaire » édité à l’occasion de l’exposition réalisée par le Consulat Général de France à Chengdu au Wenshufang du 12 octobre au 4 novembre 2007.

Notes

  1. Ce contrat n’entrera malheureusement jamais en vigueur.
  2. André Guibaut est en mission d’exploration en 1940 au nord de Kangding et y croise Alexandra David-Neel. Il se rallie, fin 1940, à la France Libre et le Général de Gaulle en fait rapidement son délégué pour la Chine. Il fera après la guerre, une brillante carrière d’Ambassadeur.
  3. Vichy, le 18 avril 1941 : lettre de l’Amiral de la Flotte, Ministre Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, au Ministre Secrétaire d’Etat à la Justice.