Il était une fois… l’église Saint-Michel

De Histoire de Chine

rédigé par David Maurizot

Dans le quartier de Caojiadu, sur Wanhangdu Lu, perdue dans l’ombre d’un centre commercial, de hautes tours de bureaux et le béton d’un compound résidentiel, se dresse une petite église avec son fier clocher. Elle porte le nom de Saint-Michel. Mais que fait-elle donc là, égarée dans cette jungle urbaine ?

Le village de Caojiadu          

Au début du XXe siècle, Caojiadu n’était qu’un village situé à une dizaine de kilomètres du Huangpu. Dans cette lointaine banlieue de Shanghai, un prêtre catholique chinois du nom de Qiu Yicheng venait régulièrement prêcher la bonne parole. Il avait ainsi réussi à convertir quelques familles et peu à peu l’habitude s’y prit de célébrer des offices dans l’une des maisons des Chrétiens. On y accrochait alors temporairement une croix en signe de ralliement.

Carte de Shanghai en 1914, entouré en rouge le quartier de Caojiadu[1]

À partir de 1921, le père Qiu fut assisté de sœurs provenant de la très catholique Xujiahui. L’une d’entre elle, française, réalisa quotidiennement pendant des dizaines d’années le trajet entre les deux quartiers. Ses efforts lui permirent de recevoir le don d’un terrain pour la mission : celui-ci se situait au niveau de ce qui est aujourd’hui le numéro 140 de la Changning Lu – légèrement plus au sud-ouest de l’église actuelle. C’est là, dans un simple bâtiment de briques où on disposa quelques bancs, un autel et le matériel liturgique nécessaire que la première église permanente de Caojiadu vit le jour. On la dédia à Saint Michel, l’archange qui protège du Mal.

Le projet d’église

Le père de Prunelé[2]

Un terrain adjacent fut ensuite offert par Yu Jiansheng, un riche commerçant catholique originaire de Nantong : ce don permit de planifier la construction d’une église en bonne et due forme. Nous sommes alors à la fin des années 1920, et on évalue à 500 les ouailles de ce qui est maintenant devenue une paroisse de banlieue ouvrière[3].

Sur ce terrain, de la forme d’un long rectangle donnant sur Changning Lu, va d’abord être établie une école catholique. Elle prendra le nom de Jingde pour les filles et de Michel pour les garçons. On y construit un bâtiment de trois étages abritant des salles de classe aux étages et une grande salle au rez-de-chaussée qui servira, temporairement pense-t-on, à célébrer les offices. Celui-ci sera achevé en 1932.

Le projet de construction pour l’église Saint-Michel[4]

À cette époque c’est un Français, le père jésuite Pierre de Prunelé qui devient le curé de la paroisse. Il fait d’abord construire une résidence pour les prêtres. Puis des plans sont établis par un architecte chinois, Pan Shiyi, et publiés. Comme pour la basilique de Sheshan construite à la même époque, il imagine une structure entièrement en béton armé. Au sommet du futur clocher monumental : une statue de Saint Michel de trois mètres de haut. Elle attendra, majestueuse, dans les jardins à côté d’une cloche en bronze commandée par le père de Prunelé. Avant chaque messe, on pouvait ainsi l’entendre sonner dans tout Caojiadu.

Parenthèses

Les travaux prendront malheureusement du retard et au déclenchement de la Guerre sino-japonaise en 1937 (dont une partie des combats shanghaïens se déroulent non loin de Caojiadu) le projet est arrêté. On le reporte, avec espoir, à la fin de la guerre. Mais la paix se fera attendre…

En 1953, le terrain (en particulier l’école) est cédé dans sa totalité à la municipalité et les offices sont relégués dans une simple maison du quartier. Puis tout s’arrête au commencement de la révolution culturelle.

Vue aérienne du quartier en 1948, encadré en rouge le terrain appartenant à la paroisse Saint-Michel de Caojiadu. L’école est « au fond », on aperçoit également, au centre, la résidence et son jardin. L’église devait s’élever à l’entrée, plus au sud.[5]

Reconstruction

Ce n’est que le 25 décembre 1984 que l’église de Caojiadu reprend officiellement vie. Le gouvernement restitue alors un maigre bâtiment de l’ancien complexe.

Le portail de l’église photographié le 24 décembre 2001[6]
Ici, le 24 décembre 2001, la résidence élevée par le père de Prunelé. Elle abritait alors l’école primaire du quartier[7]

Puis, en 2004, la municipalité décide de moderniser le quartier en le rasant entièrement. Un nouvel emplacement, l’actuel, est réservé pour enfin élever à Saint Michel son église. La première pierre est posée le 25 avril 2009 et elle est officiellement inaugurée le 29 septembre 2011, jour de fête des saints archanges.

Pose de la première pierre de l’église Saint Michel le 25 avril 2009[8]

Construite dans un style gothique, avec un clocher « dont le sommet touche au ciel[9] » à plus de 30m de hauteur, elle possède de magnifiques vitraux (Ancien Testament sur le côté nord, Nouveau Testament sur le côté sud) et peut recevoir jusqu’à 400 fidèles. En écho à la lointaine présence française d’il y a cent ans, c’est aujourd’hui ici que la communauté francophone se retrouve tous les dimanches matin à 10h30.

Remerciements au Père Marc (curé francophone actuel[10] de Saint-Michel), Benoît Vermander, Quoc Chay, Silvia Zhang et Ignace Yang pour leurs contributions et relectures.

Source principale

Le compte WeChat officiel 思原编译馆 (Siyuan Bianyi Guan), article intitulé « Histoire de l’église de Caojiadu » rédigé par M. Liu Qihan et reposant pour certaines parties sur des témoignages oraux recueillis en 1987.

Notes

  1. North China Daily News, disponible sur Virtual Shanghai
  2. Relations de Chine, 1928, numéro 4, Page 107
  3. Relations de Chine, 1930, numéro 1, Page 34
  4. Thomas Coomans, Gothique ou chinoise, missionnaire ou inculturée ? Les paradoxes de l’architecture catholique française en Chine au XXe siècle, Revue de l’Art, n°189, 2015-3, p. 9-19 (pages 16 et 17).
  5. Vue aérienne de Shanghai en 1948, entièrement navigable disponible ici
  6. Anonyme
  7. Anonyme
  8. Xinde Wangxun, 30 avril 2009
  9. Genèse 11:4.
  10. 2024