Il était une fois... l'Institut Pasteur de Shanghai

De Histoire de Chine
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)

rédigé par David Maurizot

Louis Pasteur en 1885 tenant un bocal renfermant la moelle épinière du lapin contaminé par la rage à partir duquel il va mettre au point le vaccin anti-rabique

En ces temps troublés où il semble si difficile de se détacher de l’actualité, prenons un peu de recul et penchons-nous sur une organisation qui fait la fierté de la France depuis plus de 130 ans : l’Institut Pasteur. L’Institut est, en effet, à la pointe de la recherche scientifique mondiale et tente actuellement de développer un vaccin contre le COVID-19. Présent à travers le monde, il dispose d’une antenne à Shanghai établie en 2004. Mais sur ce sujet, comme bien d’autres malheureusement, n’aurait-on pas un peu perdu la mémoire ? Souvenons-nous…

Louis Pasteur et son Institut

Quand l’Institut Pasteur est créé à Paris en 1888, Louis Pasteur est déjà une célébrité scientifique : il est au sommet de sa gloire pour avoir développé le principe de la stérilisation (la fameuse « pasteurisation ») et certains vaccins, dont celui contre la rage qui a fait sa renommée. C’est l’Académie des Sciences qui va lui proposer de créer un établissement destiné à traiter la rage et à effectuer des recherches scientifiques dédiées aux maladies infectieuses. Une souscription est lancée en 1886, elle sera un succès : un décret crée l’Institut en 1887. L’inauguration aura lieu le 14 novembre 1888. Réelle avant-garde dans la lutte contre les maladies infectieuses, l’Institut va alors essaimer ses chercheurs, les Pasteuriens, aux quatre coins du monde.

L'Institut et la Chine

Alexandre Yersin posant devant sa paillote à Hong Kong en 1894

Alexandre Yersin est l’un d’eux. Franco-suisse établi en Indochine après avoir été formé à l’Institut de Paris, il est mandaté en 1894 pour étudier une épidémie de peste se développant en Chine. Il part alors pour Hong Kong avec du matériel emprunté au laboratoire de l’hôpital de Saïgon. Snobé par les Britanniques, il va pourtant être le premier, à partir d’une paillotte hâtivement construite, à identifier le bacille de la peste, la bactérie responsable de cette maladie qui avait tant effrayé les Européens au Moyen-Âge. Elle sera baptisée Yersinia Pestis en son hommage.

Au Vietnam, où il fait construire un Institut à Nha Trang en 1895 pour continuer ses recherches, Yersin jouit encore aujourd’hui d’un immense respect. Les rues et les lycées portant son nom n’ont jamais été débaptisés. L’Institut Pasteur de Nha Trang est d’ailleurs toujours en opération.

Au début du XXème siècle, des projets pour établir une antenne de l’Institut Pasteur en Chine voient donc le jour. On pense à Pékin, la capitale impériale, sans que cela n’aboutisse. C’est finalement à Chengdu, en 1911, que le premier Institut Pasteur sur le sol chinois est créé. Le docteur Aimé-François Legendre en prend la direction. Jusqu’à 400.000 doses de vaccins contre la variole y seront administrés annuellement.

Shanghai

L'Université Aurore, avec le Musée Heude au fond à gauche

A Shanghai, dans un premier temps, c’est sous l’impulsion des pères jésuites que des initiatives sont lancées pour améliorer l’hygiène et prévenir les épidémies dans la région. En 1912, en plein cœur de la Concession française, ils ouvrent dans « leur » université, l’Université Aurore, une section de médecine. Celle-ci se situe juste à côté de l’Hôpital Sainte Marie, l’ancêtre de ce qui est aujourd’hui l’Hôpital Ruijin – et qui a d’ailleurs conservé un certain nombre des bâtiments d’origine (mais cela est une autre histoire).

En 1922, lors du centenaire de Louis Pasteur, l’initiative de créer une antenne de l’Institut Pasteur à Shanghai est prise. Le projet est soutenu par Li Yuying, un ancien étudiant chinois en France qui avait côtoyé les laboratoires de l’Institut à Paris, et qui est devenu entre-temps le Président de l’Académie de Pékin.

Le projet n’aboutira qu’en… 1938. Car il fallut gérer la sourde hostilité des influents jésuites qui voyaient d’un mauvais œil cette œuvre laïque. Mais aussi des querelles entre l’Institut à Paris qui souhaitait développer la recherche scientifique et la Municipalité française à Shanghai qui voulait privilégier la vente de vaccins (durant toute son histoire celle-ci fut en manque chronique de fonds…). Le directeur de l’Institut Pasteur de Saïgon et le Consul de France à Shanghai mirent fin à ces atermoiements et l’Institut Pasteur de Shanghai put finalement ouvrir ses portes.

Le docteur Raynal en 1938

Son premier directeur – jusqu’en 1946 – est le docteur Jean-Henri Raynal qui supervisera jusqu’à 50 scientifiques (Français, Chinois mais aussi Russes) répartis dans quatre divisions principales : un service de microbiologie, un autre de chimie, encore un autre pour les vaccins et un dernier pour les recherches scientifiques. L’Institut de Shanghai sera reconnu pour ses initiatives en terme de vaccination et d’effort sanitaire, mais par manque de moyen sa contribution à la recherche scientifique fut limitée.

A l’issue de la Seconde Guerre Mondiale la Concession est rétrocédée à la Chine de Tchang Kaï-chek, mais l’Institut est maintenu. Il est toujours dirigé par un Français, le docteur Fournier… jusqu’en décembre 1950, quand les installations et le matériel furent réquisitionnés par les nouvelles autorités communistes. Le personnel français est alors contraint au départ.

Personnel de l'Institut Pasteur de Shanghai en 1947, le docteur Fournier est au centre

Rétablissement de l’Institut Pasteur en 2004

Une longue parenthèse qui s’achèvera en 2004 quelques mois à peine après la fin de l’épidémie de SRAS : la création d’un nouvel Institut Pasteur à Shanghai en partenariat avec l’Académie des Sciences de Chine est actée lors d’une visite en Chine du Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin. L’accord prévoyait également la création du fameux laboratoire P4 de Wuhan. L’Institut, lui, sera inauguré dès le 11 octobre 2004, en présence du Président Jacques Chirac.

Inauguration du nouvel Institut Pasteur de Shanghai en présence de Jacques Chirac en 2004

Clin d’œil historique involontaire ou non, le nouvel Institut Pasteur de Shanghai fut établi dans les anciens locaux du Musée Heude, au sein de ce qui était au temps de la Concession l’Université Aurore des jésuites. Le Père Heude avait en effet rassemblé à la fin du XIXème siècle une impressionnante collection de faune et de flore provenant de ses expéditions en Chine et celle-ci avait été regroupée par la suite dans ces murs. Cette très riche collection a ensuite été à la base de ce qu’est devenu le Museum d’Histoire naturelle de Shanghai (mais cela est, encore une fois, une autre histoire).

Que reste-t-il à Shanghai de l’Institut Pasteur d’alors ?

En 1938, quand l’Institut Pasteur est officiellement créé à Shanghai, celui-ci s’installe dans les murs du « Laboratoire Municipal » de la Concession française, situé juste au Sud de l’hôpital Sainte Marie. Le bâtiment avait été dessiné en 1934 par Léonard et Veysseyre, les fameux architectes français qui ont laissé tant de merveilles art-déco dans l’ancienne Concession.

Le Laboratoire Municipal avant de devenir Institut Pasteur entre 1934 et 1938

En ce mois de mars 2020, prenons maintenant rendez-vous au 207 Ruijin Er Lu (瑞金二路207号), juste au Sud de l’hôpital Ruijin, pour une étonnante surprise : y subsiste encore la structure principale de l’Institut Pasteur d’alors ! Un édifice de trois étages à la fois simple et imposant, couronné en son centre par un témoin émouvant de ce passé oublié : une discrète flèche art-déco. Tard dans la nuit, les esprits des Pasteuriens Raynal et Fournier s’y promènent peut-être encore, car aujourd’hui il héberge… le Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies.

Le même bâtiment de nos jours


Sources :