L'histoire de la première mission commerciale française en Chine... sous Louis XIV
rédigé par Mailys Jean
Au « Grand Siècle » de Louis XIV, la Chine n'était déjà plus le vaste et mystérieux empire décrit par Marco Polo quatre siècles plus tôt. Les Jésuites, sous l'impulsion de Saint François Xavier et de Matteo Ricci, s'y étaient déjà établis pour « la plus grande gloire de Dieu ». Leurs récits fascinaient l'Europe entière.
Or, que ce soit en Europe ou en Extrême-Orient, notre Louis le Grand n'envisageait qu'une place pour son royaume : la première. Pourtant, en cette fin de XVIIème siècle, le monde « nouvellement découvert » était toujours divisé entre Portugais et Espagnols. Telle avait été la volonté de la papauté deux siècles plus tôt. La Chine était ainsi sous la responsabilité de « Sa Majesté Très Fidèle du Portugal » qui avait installé ses ouailles à Macao.
Sa Majesté française, quant à elle, ne voyait pas d'un bon œil ce lègue du passé. En Chine, il allait damner le pion aux Portugais, et autres Hollandais et Anglais qui y commerçaient.
En 1685, il avait d'ailleurs unilatéralement envoyé ses propres jésuites à la cour impériale de Pékin. On les appelait les « Mathématiciens du Roi » et ceux-ci allaient jouer un étonnant rôle de prospection pour la Manufacture royale de glaces de miroirs de Saint-Gobain. Voici le récit oublié de cette première mission commerciale française en Chine…
Joachim Bouvet, « Mathématicien du Roi »
En mars 1685, ils sont en effet six jésuites Français à partir pour la Chine sur ordre de Louis XIV. Joachim Bouvet est l'un d'eux. Il sera affecté par Thomas Pereira, le père portugais à la tête de la mission jésuite à la Cité interdite, à l'enseignement des mathématiques auprès de l'empereur Kangxi. Il saura s'en faire apprécier.
À tel point qu'en 1693, celui-ci l'envoie en mission extraordinaire : il doit retourner en Europe et ramener de nouveaux missionnaires français à son auguste cour. Car, avec ses mathématiciens la France est devenue pour le Fils du Ciel chinois un pays fécond en compétences techniques, scientifiques et artistiques.
Arrivé à Versailles en 1698, Joachim Bouvet « eut l'honneur de parler au Roy, de recevoir ses ordres, & d'être chargé des magnifiques présents que sa Majesté envoie à l'Empereur de la Chine », lit-on dans Le Mercure Galant. Ce que ne dit pas l'ancêtre du Mercure de France, c'est que Louis XIV refuse au missionnaire qu'il soit renvoyé en Chine sur un navire officiel de la monarchie française : ce geste pourrait être pris comme un intolérable acte de soumission de la France. En effet, quelle meilleure façon de payer tribut à l'Empire Qing sinon que d’envoyer un vaisseau rempli de présents – à l'image de ce que font les Etats suzerains de la Chine ?
Première mission commerciale de Saint-Gobain en Chine
Dans ses pérégrinations chinoises au Royaume de France, le chemin de Joachim Bouvet croise alors celui de Jean Jourdan de Groussey, responsable des ventes de la Manufacture royale de glaces de miroirs, établi à Saint-Gobain. En effet, l'envoi d'un navire français en Chine pourrait également être une aubaine commerciale pour la plus grande gloire du mercantilisme à la française - la Compagnie des Indes venait d'être créée par Colbert.
Deux lots de marchandises sont ainsi préparés. Le premier destiné à l'empereur Kangxi et à sa cour : on y trouve de grands miroirs, de la marqueterie, des guéridons, de grandes pendules, des estampes et des portraits de la cour française. Le second destiné à tester le marché chinois : essentiellement composé de glaces et de miroirs. Avec cette fragile cargaison, huit ouvriers verriers de la Manufacture vont également être du voyage pour réparer, monter, et nettoyer les glaces à leur arrivée en Chine.
Puisque la Compagnie des Indes dispose du monopole du commerce en Asie, un accord est signé entre les deux entreprises, puis ratifié personnellement par le Roi en janvier 1698. Un navire, l’Amphitrite, est alors acheté, la cargaison chargée à Rochefort, et le départ a lieu – beaucoup plus tard que prévu – depuis le port de La Rochelle.
Privilège accordé à la France
Arrivé au port de Canton, le père Joachim Bouvet présente alors le vaisseau non plus comme un simple navire marchand mais comme un navire commandé par Kangxi avec l'aval de Louis XIV ! Les douanes ne savent que faire de ce bateau qui ne se déclare ni marchand, ni tributaire.
Après une longue attente, Kangxi apprend le retour du père jésuite en son empire. Il ordonne enfin que le vaisseau puisse être déchargé et l'exempte de taxes. Une maison de commerce française sur le sol chinois est alors autorisée pour entreposer les marchandises. Un privilège dont ne jouissent encore ni les Hollandais, ni les Anglais. La France de Louis XIV leur ravit ainsi la première place !
Les marchandises sont alors déchargées et le premier lot part pour la Cité interdite. Le portrait de Louis XIV est particulièrement apprécié par Kangxi. Mais comment un monarque étranger pourrait-il trôner dans la collection personnelle de l'empereur de Chine ? Ne serait-ce pas lui faire trop d'honneur ? Le portrait finit donc dans la chambre d’un des jésuites du palais impérial – qui aura le privilège de le contempler quotidiennement jusqu'à sa mort.
Retour triomphal en France
L’Amphitrite met plus de 14 mois pour repartir de Canton – alors que les navires hollandais ou anglais restent bien moins longtemps. Le 26 janvier 1700, le navire lève enfin l'ancre avec une nouvelle cargaison destinée au marché français : près de 181 caisses de porcelaines qui seront les premières marchandises chinoises directement débarquées en France. Elles allaient déclencher un véritable engouement pour la Chine. La Compagnie des Indes en fera un profit important, et un second voyage est rapidement planifié.
La postérité des glaces et miroirs de la Manufacture de Saint-Gobain entreposés à Canton et destinés au marché chinois a quant à elle été oubliée... Les archives chinoises de cette époque ayant malheureusement disparu. Leurs traces ont été perdues...