La « découverte » du panda... par un Français
rédigé par Michel Nivelle
Il s’appelle Armand David, né le 7 septembre 1826 à Espelette près de Bayonne et mort le 10 novembre 1900. Missionnaire lazariste français, zoologiste et botaniste éminent, il collecta en Chine animaux, plantes, roches et fossiles pour le compte du Muséum d’histoire naturelle de Paris.
Après deux années passées au Grand Séminaire de Bayonne, Armand se rend à Paris en 1848 pour faire son noviciat à la Société des prêtres de la Mission. Cette congrégation créée par Saint Vincent de Paul en 1625, envoie les prêtres, qualifiés de lazaristes, en mission pour évangéliser les pauvres dans les campagnes ou les pays lointains. Lorsqu’il prononce ses vœux en novembre 1850, il rêve de mission en Extrême-Orient mais c’est finalement en Italie, au Collège lazariste de Savone près de Gênes qu’il est envoyé pour enseigner les sciences naturelles. En 1862, le père Armand David est finalement désigné pour la mission de Pékin.
Durant la rébellion des Taiping (1850-1864), le pouvoir central chinois est très affaibli. Le droit d’évangéliser pour les chrétiens est acquis suite à la défaite humiliante subie par l’empire chinois devant les troupes franco-anglaises. Il s’en suivra une hostilité permanente des mandarins portée à la solide organisation d’évangélisation missionnaire, vue comme une tentative étrangère de doubler la structure administrative. Notre Missionnaire, tout en étudiant la langue du pays, et en collaborant au ministère sacerdotal, se met à explorer les alentours de la capitale impériale. Il pousse ensuite ses explorations dans les montagnes de l’ouest en 1863. A cette époque, il fait au Musée plusieurs envois considérables et l’intérêt des objets qu’il adresse est rehaussé par les notes dont il les accompagne. La direction entreprit alors des démarches auprès du Supérieur général des Lazaristes pour qu’il autorise le père David à faire pendant plusieurs années des explorations dans les régions les moins connues de l’Empire avec un financement public.
La description scientifique de quelques espèces remarquables envoyées est établie par les scientifiques du Musée : l’écureuil gris-cendré, le cerf-chameau et bien d’autres mais c’est l’énigmatique cerf du père David qui retient le plus l’attention. Ce cervidé est nommé par les Chinois « sì bù xiàng », où les quatre caractères qui ne conviennent pas parce que cet animal avait les bois d'un cerf, le cou d'un chameau, le pied d'une vache et la queue d'un âne.
Encouragé par ces premiers succès, le père David va mener dans les années 1866-1874 trois grandes expéditions naturalistes dans les profondeurs de la Chine. L'exploration de la Chine centrale et du Tibet oriental poussa le père David jusqu'à une région habitée par des ethnies non Han mais avec une flore et une faune très riches. Il avait appris auprès d’autres missionnaires que vers l’ouest et le Tibet, se trouvaient de hautes montagnes couvertes de forêts primaires préservées. L’ampleur du travail accompli durant ce séjour peut se juger par cette lettre où il dit « Je me hâte… de terminer l’emballage de mes collections que j’expédie pour le Jardin des Plantes de Paris, … Elles consistent en une dizaine de mammifères, une trentaine d’espèces d’oiseaux, entre 50 ou 60 espèces de poissons ou de reptiles. Le nombre d’espèces de coléoptères monte à 335, il y a 100 espèces d’hémiptères… Soit en tout 630 espèces d’insectes… »
Ensuite, il séjourne à Chongqing dans la province du Sichuan, et rejoint la principauté de Moupin à environ 250km à l’ouest de Chengdu, en chaise à porteurs. Le collège des Missions Étrangères de Moupin actuellement Bǎoxīng se trouve dans une région d’ethnie tibéto-birmane. Le père David fera de cette petite principauté indépendante, dirigée par un prince Mantze, située à plus de 2000m d’altitude, sa base pour explorer la région durant neuf mois. Comme à son habitude, ses collectes de spécimens de mammifères, d’oiseaux, d’insectes, de plantes sont remarquables tant par le nombre que la qualité. Il distingue à cette époque sept d’espèces différentes de rhododendrons ; il en trouvera en tout plus d’une douzaine. Mais la renommée du père David tient essentiellement à quelques grandes découvertes comme celle du panda géant, du macaque au nez retroussé et de l’arbre aux mouchoirs.
Un jour qu’il rentrait d’une exploration, il est invité à prendre le thé chez un brave Monsieur Li. C’est là qu’il aperçoit la peau de ce qui semble être un ours blanc et noir de belle taille. À sa plus grande joie, son hôte lui promet de lui rapporter l’animal d’ici quelques jours. Les chasseurs viennent alors à la mission avec un « ours blanc » « qu’ils avaient pris en vie mais qu’ils tuèrent pour le porter plus facilement ». « Le jeune ours, qu’ils me vendent fort cher, est tout blanc, à l’exception des quatre membres, des oreilles et du tour des yeux, qui sont d’un noir profond » dit-il. « Un mois plus tard vint l’ours adulte et je pus constater que les couleurs de cet animal ne change pas avec l’âge… Il vit dans les montagnes les plus inaccessibles, se nourrit de végétaux, surtout de racines de bambou » met-il dans la note descriptive jointe à une caisse d’envoi de cette belle découverte d'une espèce nouvelle, le panda géant. L'animal qui est surtout actif la nuit et qui vit à environ 3000m d'altitude dans des régions inaccessibles était très peu connu en dehors des populations locales. Il ne deviendra très célèbre dans le monde entier, Chine y-compris, que très récemment. Aujourd’hui, la petite ville de Baoxing rend largement hommage au père David avec une statue à son effigie et une qui célèbre sa découverte du panda. Il est à noter que cette région a malheureusement très durement souffert du tremblement de terre de 2008, et de nombreux souvenirs et vestiges anciens ont disparu.
À son retour à Paris, le père David s'installe dans la Maison-mère des Lazaristes rue de Sèvres. Il y passera ses dernières années à mettre au propre toutes les notes scientifiques rapportées de Chine et à donner des cours aux séminaristes. Après une vie très aventureuse et bien remplie, il coule des jours paisibles à Paris, à peine interrompus par quelques voyages naturalistes, et une conférence au Congrès scientifique catholique le 8 avril 1888, où il se fait copieusement huer pour avoir défendu l'évolutionnisme darwinien. Il s'éteint le 10 novembre 1900 à Paris.