La Gazette de Changhai : (27) Une révolte de palais ratée rencontre les aspirations de la France

De Histoire de Chine
Révision datée du 26 septembre 2023 à 05:30 par David (discussion | contributions)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)

Cet article fait partie de la collection de La Gazette de Changhai. → Voir la collection

rédigé par Charles Lagrange

La Chine avait subi plusieurs humiliations et de sévères défaites militaires : les deux guerres de l’opium, la guerre sino-japonaise, et le conflit franco-chinois. Le régime se trouvait donc fort affaiblit. L’inadaptation du régime impérial se matérialisait et l’exemple de ceux que l’Impératrice Douairière appelait « les nains » démontrait qu’une modernisation rapide du pays s’imposait.

La révolte des cents jours

L’Empereur Guangxu (1871-1908)

À la mort de l’Empereur Tongzhi en 1875, l’Impératrice Douairière Cixi avait mis son neveu Guangxu sur le trône. Elle le tenait d’une main de fer et gouvernait l’Empire elle-même.

À sa majorité, Guanxu commence à s’intéresser aux affaires de l’Etat et exprime le désir de se renseigner sur les moyens de développer une armée moderne et une administration plus efficace.

L’empereur autorise alors que tous les rapports traitant de la question lui soient directement adressés.

Kang Youwei

Kang Youwei, un jeune rédacteur du ministère des travaux publics, se fait remarquer par un rapport explosif sur l’inefficacité du système de mandarinat, sur la nécessité de supprimer tous les emplois inutiles, et de réformer entièrement l’instruction publique afin d’y faire entrer les sciences modernes et l’histoire du monde.

L’empereur est séduit par ses idées et dès juin 1898 Kang et ses amis sont convoqués au palais à de nombreuses reprises.

Durant 100 jours, se suivront une série d’édits impériaux bouleversant l’ordre établi, révoquant les vice-rois, libéralisant la presse et créant un corps d’armée instruit à l’européenne.

Parmi ces réformes sont prévus sur le plan politique l'abandon de la monarchie absolue pour un système de monarchie constitutionnelle, et la modernisation de l'armée. Sur le plan administratif, sont prévus la modernisation de l’examen impérial et l'élimination des trop nombreuses sinécures dans l'administration du pays.

Sur le plan éducatif, sont prévus l'ouverture d'écoles et d'universités modernes et l'adoption d'un nouveau système éducatif centré sur la modernité et non sur l'étude du confucianisme. Sur le plan économique enfin, sont prévus l'adoption des principes du capitalisme, et une politique d'industrialisation de la Chine, utilisant les techniques importées d'Occident.

L’Impératrice Douairière laisse faire malgré les protestations qui fusent de tous côtés, tant de la part des ultra-conservateurs que de la part de réformateurs plus modérés, qui dénoncent la politique préconisée par Kang Youwei comme trop rapide et trop brutale. L'Empereur suscite également l'hostilité de nombreux officiels, qui craignent de perdre leurs postes : les réformes prévoient en effet la suppression des postes de gouverneurs du Hubei, du Guangdong et du Yunnan.

Et ce, jusqu’au jour où le vice-roi du Petchili vient la voir pour lui montrer un ordre impérial lui commandant de se suicider. De plus, il lui apporte le témoignage qu’un sort similaire semblait lui être réservé.

À l'automne, Cixi et son allié le général Ronglu préparent un coup d’Etat contre l'Empereur. L'entourage de Kang Youwei, informé de ses plans, tente d'obtenir l'aide de Yuan Shikai, commandant de la Nouvelle Armée de 7000 hommes stationnée aux alentours de Pékin. Yuan n'apporte pas son soutien aux réformistes et, au contraire, informe Ronglu de leurs intentions. Le 21 septembre, les troupes du général Ronglu encerclent la Cité Interdite et mettent l'Empereur Guangxu aux arrêts. L'Empereur étant déclaré incapable de régner, Cixi redevient officiellement régente, tandis que Pujun, le fils du conservateur Prince Tuan, est proclamé héritier du trône.

Cixi préside elle-même à la saisie de l’empereur qui se trouve alors isolé dans un pavillon situé sur l’île du Nan Hai au sein de la Cité Interdite et dont le pont d’accès est détruit.

Tous les réformateurs sont arrêtés et immédiatement exécutés et les reformes abrogées, à l’exception de la fin des examens mandarinaux dont l’abolition définitive se concrétisera 7 ans plus tard.

La tête de Kang est mise à prix à 100.000 Taels, mais celui-ci parvient à s’échapper vers Changhai en embarquant de nuit à Tientsin sur le vapeur anglais Chung King.

Cixi fait poursuivre le navire par un torpilleur avec instruction de l’arraisonner. Les Anglais envoient l’aviso Erk pour le protéger et Kang arrive sain et sauf à Changhai d’où il s’embarque pour le Japon, via Hong Kong.

Une fois arrivé à Tokyo, il y forme avec son complice Liang Qishao, un universitaire, journaliste et philosophe Pékinois, la Baohuang Hui, « Société pour protéger l'empereur » ou « Chinese Empire Reform Association » défendant activement la cause de la démocratie et les réformes par ses écrits à destination des chinois émigrés et des gouvernements étrangers.

Chinese Empire Reform Association – chapitre Canadien - 1903  

Joseph Ma, ou l’étincelle qui déclenche la création de l’Université l'Aurore

Depuis le tout début de la Concession Française, de nombreuses initiatives avaient vu le jour pour tenter de créer à Changhai un enseignement supérieur venant compléter la structure éducative mise en place par les jésuites à Zi Ka Wei.

Dès 1855, le consul Edan avait proposé de former, au côté du collège Saint Ignace crée en 1847, une « École d’interprètes » ou seraient enseignées aussi bien les lettres chinoises que les sciences modernes. Le projet est repris 3 ans plus tard par le baron Gros et supporté par le Supérieur de la mission jésuite du Kiang-Nan, Monseigneur Lemaître. Ces propositions ne rencontrent malheureusement pas l’enthousiasme du gouvernement français.

En 1860, le général Cousin-Montauban propose la création d’un « Centre scientifique » à Pékin, établissement de niveau universitaire et qui devait être confié aux jésuites. Pékin étant alors aux mains des Lazaristes, il eut fallu une décision de la Propagande, débat dans lequel le gouvernement refuse de s’aventurer.

Pendant que s’échafaudent ces beaux projets, se créé à Changhai l’école Saint Francois Xavier et l’école franco-chinoise où le français est enseigné.

En juin 1898 enfin, Monseigneur Garnier, vicaire apostolique de Pékin, reçoit l’ordre de Paris d’étudier le projet de création d’un institut supérieur à Pékin.

Li Qichao (1873-1929)

En juillet 1898, Liang Qichao, un des promoteurs de la réforme à Pékin, propose à Monseigneur Garnier d’autoriser Joseph Ma (Ma Xiangbo), lettré chrétien distingué, de créer un « Collège de traducteurs ».

Joseph Ma (Ma Xiangbo) (1840-1939)

Joseph Ma est né en 1840 dans une famille catholique du Jiangsu et est un des premiers élèves de Saint Ignace où il reste 7 ans. Il est ordonné prêtre en 1872, mais abandonne deux ans plus tard le froc ecclésiastique pour se lancer dans la politique et les affaires. Il est donc « perdu » pour la Compagnie, mais le sort en décide autrement. Sa femme et son fils sont malheureusement tués dans un accident et Joseph Ma, terriblement affecté, cherche refuge chez ses anciens maîtres et regagne l’ordre en 1896 en tant que laïc.

Orphelinat de Tou tse we

Joseph Ma se trouve être employé de l’orphelinat de Tou Tsé Wé (Tushanwan) quand lui parvient l’offre de créer ce collège de traducteurs. Il accepte volontiers la tâche avec cependant la condition qu’il soit installé à Changhai.

Après la réforme des 100 jours, Liang Qichao tombe en disgrâce et le Ministère chinois de l’instruction publique fait savoir, par l’intermédiaire du consulat de France à Changhai, que le projet est abandonné.

La déception est grande, aussi bien pour Joseph Ma que pour les jésuites et les autorités françaises, d’autant plus que se sont créées pas loin de Zi-Ka-Wei, deux institutions anglophones : l’Université Saint John, fondée en 1879 par les méthodistes épiscopaliens américains, et le collège polytechnique Nan-yang en 1896, subventionné par plusieurs ministères chinois.

Au début de 1903, quatre professeurs du collège de Nan-yang, mécontents de l’organisation de l’enseignement qui y est prodigué, proposent à Joseph Ma d’ouvrir une école en y associant les pères jésuites, et lui promettent de recruter des étudiants.

Joseph Ma en informe immédiatement les Supérieurs de la Mission et malgré le manque de moyens, décision est prise de participer à cette initiative.

C’est ainsi que le 27 février 1903 cette école est officiellement inaugurée en prenant le nom d’Aurore (Zhendan Daxue), symbole du renouveau politique à venir.

Démarre alors une formidable aventure qui a été une des plus belles réalisations de la France en Chine dans le domaine de l’éducation, et dont nous suivrons les premiers pas dans des articles ultérieurs. Pour l’heure, les nuages s’amoncellent au nord de la Chine et ce que nous verrons dans le prochain article.