La Gazette de Changhai : (31) L’Université Aurore
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rédigé par Charles Lagrange
L’Université Aurore a été officiellement inaugurée le 27 février 1903. La personnalité de son fondateur Joseph Ma (Ma Xiangbo) va la rendre populaire dès les premières heures. Mais les aspirations débridées des étudiants et les désaccords avec les pères jésuites vont rendre ses débuts pour le moins chahutés…
L'Aurore, une naissance dans la douleur
Joseph Ma, né en avril 1840, est issu d'une famille de lettrés catholiques du Jiangsu. Il fait ses études au Collège Saint Ignace de Changhai et entre dans la Compagnie de Jésus où il est ordonné prêtre en 1870. Il devient ensuite professeur dans ce même collège et y enseigne l’astronomie et les mathématiques. Joseph Ma aide ensuite à jeter les bases de la future bibliothèque de Zi-Ka-Wei (Xujiahui). Il quitte les ordres en 1876 et commence une carrière de haut fonctionnaire. Mandaté par Li Hongzhang, il visite la France en 1886 et 1887 avec mission d’étudier le système éducatif et s’en inspirer pour établir un système d’enseignement moderne en Chine.
Les autorités de la Concession française désiraient créer une école de traducteurs-interprètes franco-chinois et Joseph Ma va donc reprendre sa collaboration avec les Jésuites de Changhai afin de concrétiser un tel projet.
Celui-ci prend du retard à cause de la révolte des Boxers et un manque de moyens. Les Jésuites de Saint-Ignace lui prêtent cependant un local et les cours commencent en février 1903 avec 24 étudiants répartis en trois départements : lettres, avec latin obligatoire, philosophie, mathématiques et sciences naturelles.
L’ancien observatoire de Zi-Ka-Wei est mis à leur disposition car la plupart des instruments d’observation météorologiques avaient été transférés à l’observatoire de Sheshan (Zo-Sé en shanghaïen) dont la construction venait de s’achever.
Les aspirations des étudiants sont grandes et leurs priorités sont de se voir prodiguer des cours de philosophie et de latin, croyant par-là que c’était la quintessence de la culture européenne. Dès avril y sont ajoutés des cours d’anglais et de français donnés par deux pères de Zi-Ka-Wei.
L’année suivante, le père F. Perrin est nommé sous-directeur avec deux pères scolastiques pour l’aider. Plus de 100 élèves suivent déjà les cours. Cette jeunesse avide de connaissances veut qu’en deux ans on lui apprit, en plus du latin et de la philosophie « le français, l’anglais, l’allemand, l’italien, le russe, l’escrime, la danse et le piano »…..
En 1905, les pères essayent de mettre un peu d’ordre dans le programme d’enseignement et Joseph Ma prend en main l’administration des finances. Ces deux développements rencontrent l’opposition farouche d’une grande partie des étudiants, à tel point que les meneurs quittent l’établissement, suivis par beaucoup d’autres. Joseph Ma juge alors que dans ces conditions, il ne peut plus diriger l’université.
La première Aurore avait duré deux ans…
Joseph Ma fonde alors une autre université et la nomme « Futan » ou « renouveau de l’Aurore ». Beaucoup d’étudiants le suivent et cette université existe toujours aujourd’hui (Université Fudan). Après la révolution de 1912, Joseph Ma et Ying Lianzhi seront les co-fondateurs de l’Université catholique « Furen » de Pékin. Il mourra en exil au Tonkin en 1939 à l’âge de 99 ans.
À la rentrée d’août 1905, les cours reprennent à l’Aurore avec le concours de Monsieur Tsang, lettré réputé de Changhai, et sous la direction du père Laurent Li, fondateur des œuvres de presse de Zi-Ka-Wei et qui avait remplacé le père Perrin. Un certain nombre de notables chrétiens de Changhai soutiennent l’initiative et se chargent de l’administration de l’université, laissant aux pères jésuites la rédaction des programmes et le soin de l’enseignement.
Les nouveaux programmes de cours sont édités. « Le but principal de l’école est de faciliter aux étudiants chinois l’acquisition des connaissances de l’enseignement secondaire et supérieur, sans qu’ils aient besoin de traverser les mers et séjourner en Europe ou en Amérique. De plus, il ne doit pas être question de religion ».
La formation dure quatre ans. On distingue alors deux cours : le cours préparatoire qui correspondait à l’enseignement secondaire chinois pour les classes inférieures ; le cours supérieur qui répondait aux programmes chinois pour les écoles dites supérieures. La première année du cours préparatoire se donnait en chinois, et dès la seconde année on habituait progressivement les élèves à suivre les cours professés en français. L’enseignement des deux années du cours supérieur était prodigué en français.
Pendant les trois premières années, l’enseignement était commun à tous les élèves : il portait sur les langues française et anglaise, des notions élémentaires de littérature européenne ancienne et moderne, l’histoire et la géographie de la Chine et des puissances étrangères, la philosophie, l’économie politique, le droit civil et international, les mathématiques et les sciences.
En quatrième année, les étudiants se divisaient en deux sections : cours de littérature où l’on étudiait les auteurs anglais et français et des éléments de droit ; cours de sciences qui portait sur les mathématiques, la zoologie, la botanique et la géologie. La philosophie, les langues (anglaise et française), la rhétorique, l’histoire et la géographie restaient communes aux deux cours. Ce programme ambitieux était en tous points semblable à celui des établissements analogues et ne donnait bien évidemment qu’une « teinture » de toutes ces matières.
À mesure que les pères se rendent plus maîtres de leur jeune public, la tendance a été de restreindre les programmes et de spécialiser les étudiants du cours supérieur dans telle ou telle branche. En même temps, le nombre des années d’étude s’est accru.
L’Aurore déménage
Jusqu’en 1908, les cours se donnaient à Zi-Ka-Wei (Xujiahui). Dès 1904, le père Diniz, architecte de la Mission, se porte acquéreur d’un terrain de 6 hectares à Lokawei, des deux côtés de l’avenue Dubail[1] (Chongqing lu). Il y construit de grands bâtiments : à l’ouest les bâtiments servant d’habitation aux étudiants et à leurs familles, à l’est les bâtiments abritant les salles de classes et la direction de l’établissement.
Il est à noter qu’aujourd’hui subsistent une partie de ces derniers, qui peuvent être admirés au niveau du 227 Chongqing lu.
À la rentrée de septembre 1908, les 242 élèves de l’université emménagent dans leurs locaux tout neufs.
La durée des études est alors portée à 6 ans, le cours préparatoire en occupant la moitié. À la fin de celui-ci était délivré un diplôme correspondant à peu de chose au baccalauréat français.
Le cours supérieur se divise en deux sections : les sciences et les lettres.
Les mathématiques spéciales, la physique, la chimie et l’hygiène complémentaient les cours de sciences.
Le droit civil, international, commercial et administratif ainsi que la comptabilité complémentaient les cours de lettres.
Les diplômes délivrés étaient en tous points comparables aux licences ès-lettres ou ès-sciences de la Métropole.
Naissance de la faculté de médecine
Dès 1909, le Docteur Ricou, enseignant de la faculté des sciences, se propose pour initier les étudiants à la médecine. Il repère deux éléments brillants, Wang Tcheng Che et Tchou Tcheng Tsong, qu’il forme en priorité et qui deviennent les deux premiers médecins diplômés de l’université.
En Août 1914, le Révérend Père Fournier succèdera au Père de Lapparent à la direction de l’université. Il dressera les plans d’une nouvelle répartition du cours supérieur en trois branches : Lettres-Droit, Sciences et Médecine.
Le R.P. Fournier sera remplacé un an après par le R.P. Henry qui aura le privilège de mettre en œuvre le projet de son prédécesseur.
Le programme supérieur passera à quatre ans et la Faculté de Médecine sera officiellement créée.
Elle sera constituée de deux programmes : deux années de sciences suivies par quatre années de médecine avec possibilité d’internat à l’hôpital Ste Marie, crée huit ans auparavant sur un terrain voisin entre l’avenue Père Robert[2] (Ruijin er lu) et la rue Masssenet[3] (Sinan lu).
En juillet 1916, le Ministre de France à Pékin mettra à la disposition de l’université le docteur Sibiril qui enseignait à Tientsin. Dès 1920, les examens seront supervisés par le docteur Bussière, médecin de la Légation de France à Pékin, ainsi qu’un représentant du gouvernement chinois, le docteur Watt (Dr Kiu), médecin de la Présidence.
Dix ans après la création de la faculté, 39 docteurs seront déjà diplômés, et ils seront suivis par des générations d’autres.
En 1951, l’université Aurore deviendra la faculté de Médecine n° 2, perpétuant par là-même l’héritage précieux que la France avait légué à la Chine.
Lire aussi
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- Les observatoires météorologique et astronomique de Zi-Ka-Wei et Zo-Sé
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