La Gazette de Changhai : (36) Les canonnières du Yang-Tsé : là où les intérêts économiques grandissants exigent protection

De Histoire de Chine
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rédigé par Charles Lagrange

Dès la signature des traités dits « inégaux », et à mesure que leurs nationaux étendent leurs activités à l’intérieur de la Chine, les puissances occidentales éprouvent le besoin de disposer de moyens pour protéger leurs intérêts. Le fleuve Yang-Tsé traversant la Chine d’Ouest en Est constituait bien avant leur arrivée une artère commerciale importante. En ce début du XXe siècle apparaît donc une flotte de navires capables de remonter le fleuve au-delà des gorges : les fameuses canonnières du Yang-Tsé.

Le Yang-Tsé : l’artère de la Chine

Le Haut fleuve

Lorsqu’un bateau approche de l’embouchure du Yang-Tsé, bien avant de voir la terre ferme, le bleu de la mer fait place à une eau boueuse brunâtre, triste échantillon de celle qui ruisselle des glaciers tibétains plusieurs milliers de kilomètres en amont. Sur plus de 80 kilomètres on navigue dans l’estuaire et progressivement le fleuve prend une forme plus classique et serpente sur près de 600 kilomètres à travers une plaine d’où dominent de temps à autre une colline. À hauteur de Zhenjiang, il traverse le Grand Canal reliant Hangzhou à Tianjin et dont la construction datait de 485 avant J.C. Entre Zhenjiang et Hankou (Wuhan), quelques îles, vestiges de collines érodées, et soudain, à hauteur de Yichang, le relief prend une toute autre allure : le fleuve se creuse un chemin à travers un mur de montagnes pour former les fameuses gorges.

Le Yang-Tsé et les ports ouverts

En naviguant vers l’amont, il est entouré de hautes falaises de calcaire avec de temps à autre des rochers ou des sédiments qui en obstruent presque le flot. La navigation y est dangereuse, le courant y est excessivement puissant et les jonques chinoises y ont été remontées pendant des siècles par des générations de haleurs agiles. Avant l’arrivée des vapeurs, il fallait aux jonques un mois pour remonter les 250 kilomètres de fleuve qui séparent Yichang de la grande ville de Chongqing. En amont de celle-ci, le fleuve se rétrécit et traverse la plaine du Sichuan dans laquelle il est nourri par de nombreux affluents dévalant les contreforts des montagnes tibétaines.

D’une longueur totale de 5900 kilomètres, dont 2900 sont navigables, le Yang-Tsé devient dès l’ouverture de la Chine un enjeu important pour les Nations occidentales : la France qui dès 1863 avait envoyé une mission de reconnaissance pour y déceler le potentiel d’échanges commerciaux avec l’Indochine ; et l’Angleterre dont les intérêts pour la région avaient été clairement exprimés depuis qu’en juillet 1842 ses navires en avaient forcé l’ouverture.

En 1861, Zhenjiang devient port ouvert, Hankou suit l’année d’après, puis Wuhu et Yichang en 1877. Avant la fin du siècle s’ajoutent enfin Chongqing, Wanxian, Jiujiang, Shashi et Yueyang.

Les premiers vapeurs

HMS Woodcock
HMS Woodcock

Le Bas fleuve est sillonné par les navires étrangers dès qu’ils en reçoivent l’autorisation par le traité de Tientsin en 1858.

En effet, l’Article 29 du traité stipule : « S.M. l’Empereur des Français pourra faire stationner un bâtiment de guerre dans les ports principaux de l’empire où sa présence serait jugée nécessaire pour maintenir le bon ordre et la discipline parmi les équipages des navires marchands et faciliter l’exercice de l’autorité consulaire.(…) » ;

L’Article 30 ajoute : « Tout bâtiment de guerre français, croisant pour la protection du commerce, sera reçu en ami et traité comme tel dans tous les ports de Chine où il se présentera.(…) Il en sera de même à l’égard des navires de commerce français qui, par suite d’avaries majeures ou pour toute autre cause, seraient contraints de chercher refuge dans un port quelconque de la Chine.(…) ».

Le Haut fleuve présente quant à lui de nombreuses difficultés aux vapeurs et ce n’est qu’en 1898 qu’un négociant anglais, Archibald Little, réussit à remonter les gorges avec le « Le-tchouen », un petit vapeur de 15 mètres et qui pèse sept tonnes. En juin 1900, il récidive avec un bateau plus imposant, spécialement conçu pour l’épreuve, le « Pioneer ». Le navire fait 60 mètres de long, pèse 616 tonnes et est mû par deux roues à aubes. L’important est qu’il n’a que deux mètres de tirant d’eau et c’est précisément ce qui lui permet de naviguer dans les rapides peu profonds du Haut fleuve. Le « Pioneer » est racheté la même année par la Royal Navy et rebaptisé le « HMS Kinsha », afin de pouvoir évacuer les étrangers de Chongqing en pleine révolte des Boxeurs. Deux mois après, il est rejoint par deux autres, le « HMS Woodcock » et le « HMS Woodlark », navires plus petits mais armés de deux canons de six pouces, d’une coque blindée et construits en Angleterre dans les chantiers Thornycroft en 1897.

La France intervient

Amiral Edouard Pottier

Le Ministère français des affaires étrangères s’était donné la mission de protéger les missions catholiques dont l’implantation au Sichuan progressait depuis que le traité de Tientsin et la convention Berthémy de 1865 leur en avaient donné l’autorisation.

D’autre part, le gouverneur général de l’Indochine, Paul Doumer, avait décidé de faire du Sichuan, l’hinterland de sa colonie et, au lendemain de la défaite de Fachoda en 1898, il voyait d’un très mauvais oeil la présence militaire anglaise s’y accentuer.

Une ligne de chemin de fer entre Lao-Cai au Tonkin et Kunming au Yunnan avait été étudiée, et la France en avait reçu la concession par un accord signé à Pékin en avril 1898. Le projet sera approuvé en janvier 1904 et les travaux démarreront en 1906. La surveillance du tronçon Kunming-Sichuan devait quant à lui être assuré par les canonnières.

Dès lors, l’amiral Pottier, commandant en chef de l’escadre d’Extrême Orient, reçoit l’ordre d’acheter un bateau correspondant aux impératifs de navigation dans le Haut fleuve.

Celui-ci fait 35 mètres de long, pèse 165 tonnes et a un tirant d’eau de 1,06 mètre. Il est baptisé « l’Olry ».

Hélice sous voûte

La propulsion par hélices des navires à faible tirant d’eau destinés à naviguer sur les fleuves se heurtent à deux exigences contradictoires : leurs hélices, pour avoir un rendement satisfaisant, doivent avoir un diamètre aussi grand que possible, mais elles doivent également ne pas déborder sous la quille pour ne pas entrer en contact avec le fond. Ils sont alors équipés « d’hélices sous voûte », avec la ligne d’arbre placée dans un tunnel dont le profil longitudinal en forme de voûte s’élève au-dessus de la ligne de flottaison au niveau de l’hélice.

L’amiral nomme le lieutenant de vaisseau Hourst pour le commander et lui donne comme consignes d’assurer la protection des Français en assistant les autorités consulaires, d’entreprendre un relevé hydrographique afin de déterminer le cours et le régime du Haut fleuve, et enfin d’identifier la meilleure route commerciale permettant d’assurer les échanges commerciaux entre le Sichuan, le Yunnan et l’Indochine.

Maison de la marine à Chongqing

Malgré les quolibets des Anglais qui qualifient son bateau de « caisse à savon », Hourst parvient sans encombre à remonter le Haut fleuve jusqu'à Chongqing, qu’il atteint le 12 Novembre 1901.      

Dès la fin de l’année, il y fait construire à Wangjiatou, en aval de Chongqing et du mouillage des Anglais, un bâtiment de style colonial abritant les services de la marine française.

Hourst procède à ses relevés hydrographiques, ne trouvant malheureusement pas de liaison avec le Yunnan car à 60 kilomètres en amont de Shuifu, le Yang-Tsé devient impraticable. Alors qu’il se trouve à Shuifu en mai 1902, il est avisé que des Chrétiens se faisaient massacrer dans la région de Chengdu. Il s’y porte avec ses hommes et transforme l’évêché en camp retranché avant de menacer le vice-roi de représailles.

Celui-ci obtempère et le calme revient : la France avait ainsi pris pied dans la région et inaugure par cette action plus de 40 ans de présence sur le grand fleuve, présence sur laquelle nous reviendrons.

La canonnière « Olry »

Les années précédant la révolution de 1911 vont voir les soubresauts d’une agitation sous forme de frictions entre les autorités des concessions étrangères et le gouvernement chinois.

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