Les prémices de la Révolution de 1911 : la dépêche du Consul de France à Hankou Raphaël Réau du 13 octobre 1911
rédigé par Julien Saint-Sevin
Le 10 octobre 2023, l’Ambassadeur de France en Chine, M. Bertrand Lortholary et le Consul général de France à Wuhan, M. Jean-Yves Roux, ont remis au Musée de la Révolution Xinhai un exemplaire de la dépêche du Consul Raphaël Réau rédigé le 13 octobre 1911. Cette dépêche relate le récit de la révolution par un diplomate en poste dans la concession française de Hankou. Dans l’histoire du soulèvement de Wuchang qui a mené à la fin de l’empire mandchou, la France a joué un rôle méconnu.
Le soulèvement du Double Dix
Le 9 octobre 1911, une bombe explose dans une maison appartenant à un officier de l'armée dans la concession russe de Hankou. Sur l’autre rive du Yangzi, le matin du 10 octobre, les troupes régionales acquises à la cause des révolutionnaires décident alors de passer à l'action et prennent les armes dans le district de Wuchang[1]. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui encore le soulèvement du Double Dix (10 octobre 1911). Le 12 octobre, des combats éclatent à Hankou. Le 13 octobre, le général Li Yuanhong[2] à la tête de l’armée révolutionnaire notifie officiellement l’avènement au Hubei du « gouvernement démocratique chinois ». Cette révolution, qui s’étend de septembre 1911 à février 1912 entraîne l’abdication de l’empereur et établit la première république de Chine. Les diplomates français en poste dans la concession française de Hankou sont aux premières loges des prémices de ce bouleversement historique.
Moins connue que celles de Shanghai, Canton ou Tianjin, la concession française de Hankou (Han-k’eou)[3] est établie à Wuhan depuis 1896. Hankou est le port de commerce de la ville situé sur le Yangzi et où sont installées les concessions russe, allemande, anglaise, japonaise et française. La concession française possédait un consulat, une église, un hôtel municipal, un commissariat de police et une succursale de la Banque d'Indochine. Le consulat de France à Hankou a été ouvert en 1862 et a vu entre autres passer Paul Claudel en 1897. En face, c’est Wuchang (Outchang), la ville préfectorale où réside le vice-roi qui gouverne les provinces du Hubei et du Hunan[4]. Wuchang prise le 10 octobre 1911, les diplomates en poste dans les concessions de Hankou, et pour la partie française notamment le consul Réau, sont pris en étau entre l’armée révolutionnaire aux portes des concessions et les autorités impériales avec lesquelles les pays ont négocié leurs installations. Le 10 octobre, à 10h le soir, le Consul de France à Hankou est informé par le délégué provincial aux affaires étrangères que le vice-roi s’est enfui[5]. Le 13 octobre 1911, le Consul Réau envoie à Paris une note relatant la révolution en cours à Wuhan. 112 ans plus tard, un exemplaire de cette note a été proposée au Musée de la Révolution Xinhai à Wuhan pour rappeler les liens historiques étroits entre Wuhan et la France.
La remise de la dépêche au Musée de la Révolution Xinhai
Le musée de la Révolution Xinhai à Wuhan – composé d’un espace moderne d’exposition et de l’ancien bâtiment du gouvernement militaire du Hubei – a été fondé en 2011 à l’occasion du centenaire du soulèvement de Wuchang. Il retrace les étapes de la révolution à partir de reconstitutions et pièces de l’époque.
À l’occasion des 25 ans de l’ouverture du Consulat de France à Wuhan, l’Ambassadeur de France en Chine, M. Bertrand Lortholary et le Consul général de France à Wuhan, M. Jean-Yves Roux, ont remis le 10 octobre 2023 au musée un exemplaire de la dépêche du Consul Réau rédigé le 13 octobre 1911[6]. Cette dépêche témoigne des liens historiques anciens qu’entretiennent la France et Wuhan et illustre un pan de l’histoire de la présence française en Chine au cœur du début de la révolution chinoise de 1911.
Dans cette note, le Consul Réau (1872-1928) revient sur les événements des trois derniers jours à partir du 10 octobre avec la prise de Wuchang d’abord le 10, la constitution d’un gouvernement le 11, la prise de Hanyang[7] le 12 et l’arrivée à Hankou le 13. On y apprend que le taotai (gouverneur) de Hankou a demandé aux concessions étrangères d’envoyer leurs canonnières devant Wuchang afin d’empêcher les révolutionnaires d’atteindre la rive gauche. Sous l’influence du Consul Réau, le corps consulaire décida de ne pas intervenir et de n’assurer que la défense des concessions. Si les consuls avaient décidé de répondre à l’appel, l’armée révolutionnaire aurait été en difficulté face à leurs canonnières et croiseurs. Autre indice d’intérêt dans la dépêche, c’est la vision d’un tournant historique : le Consul Réau constate à Hankou le signe d’un « immense programme de soulèvement populaire embrassant toutes les provinces au sud du Yang-Tse » et voit déjà la réussite de Sun Yat-Sen[8] dans la réalisation du projet de constitution d’un gouvernement chinois démocratique. Le Consul se confie également sur ses entretiens avec Sun Yat-Sen. Sa sympathie pour les mouvements révolutionnaires dès ses premiers contacts avec Sun Yat-Sen en 1905 est connue, de même que celle de plusieurs autres Français présents en Chine à l’époque[9].
« Dans la matinée du 11, la victoire des révolutionnaires était complète. Le taotai de Han-K’eou, sur l’ordre du Vice-Roi, nous notifia les événements en nous demandant d’envoyer nos canonnières croiser devant Ou-Tchang pour empêcher les révolutionnaires de passer sur la rive gauche. Le consul général d’Angleterre m’a déclaré que la lettre lui fut soumise préalablement par le délégué du taotai et j’ai tout lieu de croire qu’il a suggéré à ce fonctionnaire, dans je ne sais quel dessein, cette demande d’intervention. Dès la première réunion du corps consulaire, nous avons naturellement convenu que nous nous garderions bien d’intervenir et de faire acte quelconque d’hostilité à moins d’y être provoqué, notre rôle devant se borner à assurer la sécurité des concessions. »
Pour en connaître davantage sur le rôle qu’a joué la concession française et son Consul au moment du soulèvement de Wuchang, nous renvoyons ici à l’article complet de Dorothée Rihal : Raphaël Réau : un consul français au cœur de la révolution de 1911[10]. L’auteure y revient sur l’attitude du Consul Réau face à la révolution lancée en octobre 1911, sa presque sympathie pour les révolutionnaires et le rôle de la diplomatie locale dans le conflit a contrario de la position française. Si le Consul Réau n’a pas soutenu ouvertement les révolutionnaires, sa neutralité a joué de fait en faveur du soulèvement.
Notes et références
- ↑ 武昌
- ↑ 黎元洪
- ↑ 汉口
- ↑ Farjenel Fernand, À travers la Révolution chinoise : mes séjours dans le sud et dans le nord, l'évolution des moeurs, entretiens avec les chefs des partis, l'emprunt inconstitutionnel, le coup d'État, Plon-Nourrit (Paris), 1914, p. 27
- ↑ Ibid., p. 162
- ↑ Réau Raphaël, Consul de France à Han-k’eou, à son Excellence Monsieur de Selves, Ministre des Affaires étrangères, N°41, 13 octobre 1911, copie d’une dépêche N°64 envoyée à la légation le 13 octobre
- ↑ 汉阳
- ↑ 孙中山
- ↑ Bensacq-Tixier Nicole, La France en Chine en 1912-1913. In: Outre-mers, tome 99, n°376-377,2012. Cent ans d'histoire des outre-mers. SHOM, 1912-2012. pp. 259-279.
- ↑ Rihal Dorothée, « Raphaël Réau : un consul français au cœur de la révolution de 1911 », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2013/1-2 (N° 109 - 110), p. 10-18. DOI : 10.3917/mate.109.0010. URL : https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2013-1-page-10.htm (consulté le 8 octobre 2023)