Une brève histoire du Journal de Shanghai

De Histoire de Chine

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rédigé par Pierre Clavequin

Témoin privilégié des années fastes du Shanghai de l’entre-deux-guerres, le Journal de Shanghai a une longue histoire derrière lui. Cet article relate les grandes étapes de ce journal pendant les 18 années de son existence, de sa création en 1927 jusqu’à son interruption le 10 mars 1945.

Le contexte

L’Écho de Chine a longtemps été le seul journal francophone paraissant à Shanghai. Succédant à plusieurs journaux francophones ayant chacun fait banqueroute, et lancé par les missions catholiques française en 1898, il traitait principalement des questions religieuses ainsi que de quelques actualités shanghaiennes ou chinoises, mais ne publiait aucune nouvelle internationale. Il était délaissé par le lectorat francophone qui préférait lire la presse anglophone qui, elle, traitait de tous les sujets. Le consulat a bien tenté à plusieurs occasion d’améliorer la situation en donnant des subventions, mais finalement les missions catholiques ont voulu se mettre en retrait de sa gestion quotidienne[1]. Au cours de ses années de parution, plusieurs directeurs se sont succédés et finalement Achille Vandelet reprend la gestion du journal en juillet 1922 et l’améliore en proposant une nouvelle formule traitant tous les sujets. Il se fait remarquer en signant des éditoriaux assez vigoureux contre les jésuites ainsi que les pouvoirs publics. Mais la publication de L’Écho de Chine s’arrête soudainement le vendredi 10 juin 1927, sans le moindre préavis ni même explication. Seul un petit encart en première page annonce que « le journal cesse sa publication », et que « les abonnés recevront sous peu la somme qui leur revient pour la période du 1er juin à la date d’expiration de leur abonnement ».

Les raisons de sa fermeture restent à éclaircir. Il est souvent indiqué que le journal a fait faillite mais les finances du journal semblaient saines à cette période[2]. Il est vrai qu’Achille Vandelet s’est plus tard enfui à Macao pour échapper à ses créanciers[3], mais cela devait être distinct de L’Écho de Chine puisqu’il n’était pas le propriétaire de ce journal, et donc non responsable financièrement. D’ailleurs, il était encore présent à Shanghai le 19 avril 1928[4], près d’un an après l’arrêt du journal.

Une autre hypothèse est que la liberté de ton d’Achille Vandelet, critiquant régulièrement les jésuites, ait déplu jusqu’au pape qui aurait décidé de faire suspendre L’Écho de Chine[5], toujours propriété des missions catholiques françaises. Aussi, sans aller jusqu’au pape, on peut penser qu’Achille Vandelet dérangeait également les autorités politiques et religieuses françaises de Shanghai[6]. Quand on sait que la Concession française a principalement été l’œuvre des pouvoirs publics et catholiques français, cette ligne éditoriale n’était peut-être pas un bon calcul pour durer.

Quoiqu'il en soit, à l’été 1927 les Français de Shanghai se trouvaient une nouvelle fois sans quotidien.

Et pourtant, Shanghai, et plus généralement la Chine, sont alors à un moment clé de leur histoire. Tchang Kaï-chek a démarré l’expédition du nord l’année précédente, et la première moitié de l’année 1927 a été marquée par plusieurs contestations violentes dans toutes les villes ayant des concessions étrangères, Shanghai étant particulièrement touchée lors des événements de mars et avril 1927. Le Massacre de Shanghai le 12 avril entraîne la fin du front uni entre le Kuomintang et le Parti communiste chinois initié en 1924 pour unifier le pays contre les différents seigneurs de la guerre se partageant le pays. Le pays bascule à nouveau dans la guerre civile à grande échelle.

L’absence de quotidien français contrastait avec la situation des autres communautés étrangères qui avaient chacune un ou plusieurs quotidiens. La presse anglophone était bien sûr la mieux pourvue avec le North China Daily News (fondé par l’Anglais Henry Shearman en 1850) et le The China Press (fondé par l’Américain Thomas Franklin Fairfax Millard en 1911). Les Russes avaient le Shanghai Zaria et les Allemands le Deutsch Shanghai Zeitung. Enfin, les Japonais avaient le Shina, mais, signe de leur influence croissante, avaient également investi dans le journal anglophone The Shanghai Times lorsque celui-ci rencontra des difficultés financière en 1924 et pu obtenir l’aide de la banque Yokohama Specie, la grande banque japonaise ayant son siège sur le Bund, à proximité du fameux Cathay Hotel.

Le soutien de la Chambre de Commerce française de Chine

La fin surprise de la parution du seul journal français de Shanghai a provoqué des réactions au sein de la communauté des affaires de la ville, et tout particulièrement au sein des membres de la Chambre de Commerce. Après avoir échangé avec le consul de France Paul-Émile Naggiar, Jean Fredet, le secrétaire de la Chambre de Commerce française est choisi pour préparer l’étude d’un journal français qui remplacerait L’Écho de Chine[7]. Jean Fredet est alors à la fois une personne bien installée dans la Concession puisqu’il est arrivé à Shanghai en 1911 et expérimenté dans le milieu du journalisme. Après avoir travaillé au Salut public de Lyon, il a ainsi été correspondant du Figaro en Chine, et même pendant deux ans directeur de L’Écho de Chine (de 1912 à 1914 avant d’être mobilisé pour la Première Guerre Mondiale). Il créa ensuite la Chambre de Commerce française de Chine pour laquelle il exerça sans interruption la fonction de secrétaire général jusqu’en 1946, fut conseiller du Commerce extérieur du consulat et co-écrivit avec Charles Maybon le premier livre traitant de l’histoire de Changhai[8][9].

Le titre du nouveau journal, « Journal de Shanghai, organe des intérêts français en Extrême-Orient », est déposé rapidement par le Président de la Chambre de commerce, Édouard Charlot, et la question de la création de ce journal est évoquée dès le 14 juin 1927 lors d’une séance ordinaire du Comité central de la Chambre de Commerce française de Chine tenue au Cercle Sportif Français[10].

Le projet de création du journal sera encore à l’agenda d’autres réunions du Comité central de la Chambre de Commerce pendant l’été 1927, notamment celle du 30 juin à laquelle assistera Lucien Lion, membre de la commission d’administration municipale. D’autres membres de la Chambre de Commerce de Shanghai aideront Jean Fredet dans les travaux préparatifs au lancement du Journal de Shanghai :

  • Edgar Labansat était le directeur général de Pathé-Orient Ltd. depuis son arrivée à Shanghai en 1910. Précurseur des enregistrements de disque dans les studios de l’avenue Pétain, sa connaissance des médias de l’époque ont sans doute facilité la mise en place du quotidien. Il est resté président du conseil d’administration du Journal de Shanghai jusqu’à son départ de Shanghai en 1932[11].
  • Pierre Dupuy était le représentant en Chine depuis 1925 de l’entreprise française Optorg spécialisée dans la mécanique. Il est l’un des rares Français à figurer dans le livre Men of Shanghai and North China publié en 1933, un équivalent du Who’s who du monde des affaires chinois de cette époque.
  • Étienne Sigaut[12] était l’Agent général des Messageries Maritimes, la grande entreprise gérant les liaisons maritimes entre la France et Shanghai, avant d’être administrateur de plusieurs entreprises parmi les plus prospères de la Concession dans les années 30 (Union Mobilière, ISS, Foncim, etc.).
  • Joseph Sauvayre était un négociant en soierie originaire de la Drôme présent à Shanghai depuis 1898, Conseiller municipal et administrateur de l’Assurance Franco-Asiatique de René Fano.
  • Charles Grosbois ne faisait pas à proprement parler du milieu des affaires mais c’était un personnage central de la Concession française de par son action dans les domaines éducatif et culturel. Principal du Collège municipal, inspecteur de l’enseignement, commandant de la compagnie des volontaires et chroniqueur régulier de L’Écho de Chine sur les questions culturelles, il fut pendant plus d’un quart de siècle un personnage emblématique de la Concession.


À l’exception d’Étienne Sigaut, ils constitueront le conseil d’administration du Journal de Shanghai dont la raison sociale sera une société anonyme au capital de 60000 taëls. Les deux premiers conseils d’administration ont eu lieu les 1er et 8 novembre 1927 au Cercle Sportif Français, au cours desquels P. Mornu de la Compagnie des Tramways fut nommé commissaire aux comptes[13] pour le journal.

Le premier directeur-rédacteur

Jean Fontenoy avec sa famille à Shanghai[14]

S’il y a un nom auquel le Journal de Shanghai reste attaché, c’est bien celui de son premier directeur. En 1927, Jean Fontenoy est encore un Shanghaien de fraîche date puisqu’il n’est arrivé dans la Concession que début avril en tant qu’envoyé spécial de l’agence de presse Havas après un bref séjour à Canton. Avant d’arriver en Chine, il avait passé trois ans en Russie où il avait été déjà envoyé par Havas comme correspondant à l’âge de 25 ans à la suite de ses études de russe et de chinois poursuivies à l’École des Langues Orientales.

Tout en restant correspondant pour Havas, il sera le directeur du Journal de Shanghai jusqu’à ce qu’il soit nommé conseiller auprès du Ministère des communications du gouvernement chinois à Nankin en mai 1929[15]. Cette nomination est le signe d’une certaine renommée acquise au cours de ses deux premières années en Chine. Il conseillera le gouvernement chinois jusqu’en avril 1930[16] lorsqu’il démissionnera pour se consacrer à l’agence Havas et au journalisme de terrain. Il se signalera alors par plusieurs reportages dans les zones contrôlées par les seigneurs de la guerre. Il ne semble plus lié au Journal de Shanghai à ce moment là[17] et il rentrera définitivement en France le 17 avril 1931, rappelé par Havas à Paris. Il trouvera plus tard un certain succès littéraire avec L’école du renégat, et surtout Shanghai Secret en 1938 qui bénéficiera d’un succès critique et pour lequel il obtiendra un prix. La suite de sa vie sera plus funeste puisqu’il s’engagera avec conviction dans la collaboration et mourra à Berlin en avril 1945 lors de l’arrivée des soldats soviétiques.

Nous n’avons pas trouvé de document relatant les relations entre Jean Fontenoy et les membres de la Chambre de Commerce, mais celle-ci semblait satisfaite d’avoir trouvé en lui son premier directeur-rédacteur[18].

Le lancement

Le lancement du nouveau journal français est publiquement annoncé dans les colonnes du China Press le 13 octobre 1927 et dans celles du North-China Herald le 15 octobre 1927. Jean Fontenoy y explique que ce journal servira à l’expression des intérêts français, notamment commerciaux, en Extrême-Orient, tout en étant un vecteur de coopérations internationales pacifiques. Il remercie également la Chambre de Commerce pour toute l’aide apportée à la création du journal. Il peut en effet bénéficier d’un matériel d’imprimerie, de presses et caractères entièrement neufs, de l’assistance du journaliste Georges Strohm dit Moresthe venant du Petit Parisien, ainsi que d’une équipe franco-chinoise dédiée[19].

Les bureaux du Journal de Shanghai se trouvaient aux 21 et 23 Rue du consulat, juste en face du consulat de France[20]

Le Journal de Shanghai est officiellement lancé le 10 décembre 1927, six mois jour pour jour après l’arrêt de L’Écho de Chine. Afin d’attirer le maximum de lecteurs, le journal est distribué gratuitement pendant les cinq premiers jours dans les boîtes aux lettres des Français résidant à Shanghai. Ceux ne l’ayant pas reçu sont invités à se rendre aux bureaux du Journal de Shanghai, situés au 23 rue du Consulat, en face du Consulat général de France et non loin des anciens bureaux de L’Écho de Chine (37 rue du Consulat[21]), ni de ceux des autres quotidiens anglophones situés sur l’avenue Edward VII. Le Journal de Shanghai ne changera pas d’adresse jusqu'à sa fermeture en mars 1945.

L’immeuble en 1934, Rue du consulat[22]
L'immeuble aujourd’hui, sur Jinling Lu[23]


Dans l’éditorial du premier numéro, Jean Fontenoy rend hommage aux pères des missions catholiques et à L’Écho de Chine pour avoir informé les Français pendant 30 ans : « Avec lui […], c’était un peu de l’histoire de Shanghai qui disparaissait », mais aussi à la Chambre de Commerce pour avoir entrepris la création du Journal de Shanghai. À ses compatriotes, il exprime le vœu que le Journal de Shanghai devienne « leur » journal et les invite à lui écrire pour qu’il puisse « s’adapter, devenir le journal que souhaite son public ».

L’International Savings Society (ISS), une importante société d’épargne de l’époque, y reprend la diffusion des résultats du tirage au sort mensuel qui a fait sa renommée sur un quart de page comme elle le faisait déjà dans L’Écho de Chine. Une autre société ayant plusieurs dirigeants en commun avec l’ISS, et qui diffusera de la publicité pendant très longtemps dans le journal, commence à faire son apparition : un encart en première page annonce une souscription pour la création « d’un Champ de Course Français », qui sera ensuite plus connu sous le nom de Canidrome.

Le premier numéro payant est daté du 15 décembre 1927, vendu à l’unité 10 cents comme L’Écho de Chine. Les prix des abonnements sont également identiques, à savoir 25$ l’abonnement pour un an, 14$ pour six mois et 8$ pour trois mois. Le prix évoluera peu avec le temps, l’exemplaire en kiosque en mai 1939 coûtera toujours 10 cents, les abonnements passant respectivement à 25$ pour un an, 13$ pour six mois et 7$ pour trois mois.

Shanghai avec un “S”

Cela nous semble naturel en 2023, mais à l’époque la romanisation officielle de 上海 en français était “Changhai” et non “Shanghai”. Le passage de l’un à l'autre dans le nom du nouveau quotidien a ainsi créé une petite polémique dès le premier numéro, le correspondant de Pékin n’appréciant que modérément l’orthographe choisie. Le débat se poursuivra sur plusieurs numéros, Jean Fontenoy, d’autres correspondants et même des lecteurs apportant chacun leurs avis sur ce sujet. Le choix de “Shanghai” est néanmoins expliqué dès le second numéro : « ce n’est pas l’S anglais que nous avons adopté, mais l’S international, devant lequel, neuf fois sur dix, les journaux parisiens se sont inclinés en rejetant l’orthographe officielle de Changhai ». N’oubliant pas son origine du monde des affaires, il ajoute un peu plus loin : « Pour Shanghai, énorme ville internationale, les businessmen du monde entier ont adopté une orthographe unique. Ne montrons-nous pas beaucoup de simplicité, de bon sens, en l’admettant à notre tour ? ».

L’apogée du Journal de Shanghai

Le Journal de Shanghai ressemble assez sensiblement à la dernière version de L’Écho de Chine. Les actualités internationales y sont traitées ainsi que les événements concernant la communauté française, notamment culturels, comme les conférences à l’Alliance Française et les spectacles. On y trouve aussi les cours de la bourse de Paris et de Shanghai, les taux de change ainsi que les horaires d’arrivée et de départ des bateaux, et même parfois des articles de mode. On peut également y lire les “publicités légales”, des encarts annonçant la tenue de conseils d’administration, d’assemblées extraordinaires d’actionnaires et la dissolution de différentes entreprises. Il propose également des traductions d’articles de la presse chinoise, dont le Shen Pao et le Ta Kong Pao et un roman diffusé en feuilleton. Le quotidien paraît tous les matins sauf le lundi.

Bien que la Chambre de Commerce fut fière dès juin 1928 de posséder un journal vraiment digne de ce nom et digne des intérêts français en Chine[24], il semble que Jean Fontenoy n’était pas satisfait de sa notoriété[25]. C’est sans doute pour y remédier que le Journal de Shanghai a organisé le dimanche 25 novembre 1928 une « grande course cycliste internationale », dont le directeur de course était Jean Fontenoy. Profitant d’un grand soleil, une foule nombreuse était venue assister à la course le long du tracé, une boucle reliant l’avenue Joffre (Huahai Road), l’avenue Pétain (Hengshan Road) et la route Prosper Paris (Tianping Road), parcourue neuf fois, après être parti de l’avenue Pétain et avoir fait un passage dans la Concession internationale par l’avenue Haig (Huashan Road). Le consul Meyrier en personne était venu remettre le prix au vainqueur et le Journal de Shanghai se satisfera de son opération de communication dans son édition suivante.

Jean Fontenoy se mettra en retrait du journal lorsqu’il sera nommé Conseiller auprès du ministère des communications du gouvernement chinois à Nankin en mai 1929, et se limitera au poste de “Directeur politique” du Journal de Shanghai[26]. Cependant, il n'apparaît plus parmi l’effectif du journal dans la Hong List dès juillet 1929. George Moresthe le remplace au poste de directeur-rédacteur en chef et il y restera jusqu’en 1945. René Laurens, correspondant pour Paris Soir, devient le secrétaire de rédaction.


L’audience du journal a entre-temps significativement augmenté. D’un tirage de 700 exemplaires pour sa première édition, il est ainsi passé à 1.500 un an plus tard pour atteindre 2400 exemplaires en 1935[27]. Compte-tenu de la taille de la communauté française à cette époque[28], cela démontre que le journal avait étendu son lectorat au-delà de son périmètre naturel. Ces beaux succès mettent en lumière George Moresthe qui est fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1933[29], après avoir été nommé commandeur de l’Ordre de la Couronne de Roumanie en 1932 et avant de devenir officier de l’Ordre “Polonia Restituta” en 1934.

Parmi les chroniqueurs réguliers, nous pouvons citer Charles Grosbois qui écrit régulièrement une chronique intitulée La Musique à Shanghai, dans laquelle il donne ses impressions sur les derniers concerts donnés en ville. Claude Rivière, enseignante au Collège municipal, après avoir impressionné la communauté française de Shanghai lors d’une conférence qu’elle a donnée le 17 mai 1935 sur sa vie en Polynésie, écrira aussi régulièrement sur la vie culturelle de Shanghai.

Chaque année l’édition du 14 juillet sera augmentée de plusieurs pages afin de célébrer la fête nationale en mettant à l’honneur les représentants de la République et de la Concession française. C’est souvent l’occasion de mettre en avant les personnalités locales qui ont droit à leur portrait, seuls ou en groupes : conseillers municipaux, membres de la Chambre de Commerce ou bien encore de la police. À près d’un siècle de distance c’est aussi pour nous une source formidable pour mettre un visage sur ces personnalités de la Concession française.

Suite et fin

L’attaque japonaise sur Shanghai le 14 août 1937 marque un tournant dans la mise en page du Journal de Shanghai. La première page qui jusque-là était surtout occupée par des publicités est désormais utilisée pour afficher les grands titres de l’actualité chinoise (principalement l’évolution de la guerre sino-japonaise) et internationale (essentiellement la montée des tensions en Europe). Signe de ce changement d’atmosphère, le Journal de Shanghai paraît également le lundi à partir du 28 août 1939 « en raison de la gravité de la situation internationale ». Quant à l’ISS, elle arrêtera un peu plus tard la publication de son tirage au sort mensuel en janvier 1940 tandis que les publicités du Canidrome deviendront plus rares.

L’entrée de la France en guerre puis son occupation par l’Allemagne n'interrompt pas la parution du journal, mais à l’instar des autorités consulaires, la ligne éditoriale va suivre la ligne vichyste impulsée depuis la métropole. Ce ne sera pas sans causer quelques bisbilles avec les journaux anglophones, George Moresthe reprochant au China Herald, au Shanghai Mercury Post et au North-China Daily News des offenses au maréchal Pétain et de soutenir le Général de Gaulle afin d’affaiblir l’empire colonial français dans plusieurs éditoriaux[30].

Suite à l’entrée en guerre du Japon face aux États-unis en décembre 1941, les Japonais font fermer les journaux américains et anglais et expulsent leurs journalistes hors de Chine après les avoir harcelés en raison de leurs positions anti-japonaises[31]. Le Journal de Shanghai sera l’un des rares quotidiens en langue étrangère (le seul ?) à continuer sa publication régulière en compagnie du Shanghai Times qui est toujours contrôlé par les Japonais.

Le nombre de pages sera réduit à quatre puis à deux, et le journal perdra de sa qualité en ne diffusant pratiquement plus que des brèves d’agences de presse partisanes. C’est ainsi que seules les pertes infligées par les troupes de l’Axe seront rapportées ainsi que les dégâts civils causés par les bombardements alliés. Les brèves de l’agence Havas sont en effet filtrées par les autorités japonaises et celles-ci n’autorisent que celles allant dans le sens de leurs intérêts[32]. Néanmoins, le Journal de Shanghai offre un témoignage de première main de quelques moments clés de cette période, comme l’attaque de Pearl Harbor et la rétrocession de la Concession française au gouvernement de Nankin dirigé par Wang Jingwei en juillet 1943.

Le Journal de Shanghai perdurera jusqu’au 9 mars 1945 lorsque les Japonais suspendront sa parution lors du coup de force sur la Concession française. Le Shanghai Times continuera lui de publier jusqu’au 22 septembre 1945. Après la fin des hostilités, un nouveau quotidien français sera relancé dans les mêmes locaux : le Courrier de Chine.

Quelques articles notables

Ci-dessous nous listons des éditions du Journal de Shanghai accessibles en ligne permettant de lire dans les pages du quotidien quelques faits d’actualités avec la vision de l’époque.

29 septembre 1929 - Éditorial de Jean Fontenoy à propos d’André Malraux

En raison de leurs nombreux points communs (goût pour l’aventure en Extrême-Orient, qualités littéraires, engagement politique, âge, etc..), Jean Fontenoy est parfois qualifié de “Malraux qui aurait mal tourné”. Il est intéressant de voir comment Jean Fontenoy percevait à l’époque André Malraux en lisant l’éditorial qu’il signe à l’occasion de la sortie de son livre Les conquérants, décrivant les affrontements entre nationalistes du Kuomintang et communistes en 1925.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k866217b/f4.item.zoom

10 septembre 1931 - L’armée japonaise intervient en Mandchourie

Il s’agit ici de l’évènement plus connu sous le nom d’incident de Mukden, qui a servi de prétexte aux Japonais pour intervenir en Chine du nord en 1931.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8659232/f3.item.zoom

18 mai 1932 - Le paquebot “Georges Philippar” abandonné en flammes à l’entrée du Golfe d’Aden

C’est l’accident pendant lequel Albert Londres perdra la vie. D’autres shanghaiens étaient à bord, dont Lucien Basset qui lui survivra, non sans avoir été brûlé aux pieds. La couverture de la catastrophe continuera dans les éditions suivantes, pendant une semaine.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8667667/f3.item.zoom

19 Novembre 1933 - 5ème anniversaire de l’inauguration du Champ de Courses Français

Cet article relate l’histoire du Canidrome, lieu mythique de la Concession française, et ses évolutions au cours des cinq premières années de son existence.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k867224t/f7.item

14 juillet 1934 - Les bâtiments de Léonard, Veyssere et Kruze

Cette édition rend hommage à ce célèbre trio d’architectes et liste la plupart de leurs réalisations à travers la Concession française.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8674970/f47.item.zoom

26 mai 1935 - Dans les mers du sud - Un entretien avec Mme Claude Rivière

Claude Rivière est une personnalité qui a marqué Shanghai à travers la conférence “Une Française dans les mers du sud”, qu’elle a donné à l’Alliance Française en 1935. Suite à ce succès, elle a accordé une longue interview au Journal de Shanghai permettant de mieux connaître son parcours singulier, qui la mena à Hawaï et en Polynésie française avant d’arriver à Shanghai.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8677688/f5.item.zoom

14 juillet 1936 - Histoire de la Concession française

Claude Rivière et Roger Labonne nous donnent chacun leur version de l’histoire de Shanghai sur plusieurs pages dans ce numéro spécial du 14 juillet.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k868123d/f15.item.zoom

15 août 1937 - Une journée tragique à Shanghai

Cette édition relate les combats du 14 août 1937 à Shanghai entre la Chine et le Japon, lorsque des bombes ont été lancées sur le Grand Monde et Nanjing road, tuant plus de 900 personnes.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8690466/f3.item

Bibliographie

  • BROSSOLLET, Guy, Les Français de Shanghai, Belin, 1999
  • BROSSOLLET, Guy, Annuaire des Français de Shanghai : 1842-1955, identités, professions, familles, dates de séjour, etc., Editions Rive droite, 2002
  • FONTENOY Jean, Shanghai Secret, Grasset, 1938
  • FRENCH Paul, Through the looking glass: China’s foreign journalists from opium wars to Mao, Hong-kong University Press, 2009
  • GUÉGAN Gérard, Fontenoy ne reviendra plus, Stock, 2011
  • VILGIER Philippe, Jean Fontenoy, aventurier, journaliste et écrivain, Via Romana, 2012
  • WASSERTEIN Bernard, Secret war in Shanghai, I.B. Tauris, 2017

Notes

  1. Guy Brossollet, Les Français de Shanghai, 1849-1949, Belin 1999, p. 218.
  2. The China Press, édition du 11 juin 1927. De plus, Jean Fontenoy précise dans l’éditorial du 10 décembre 1927 du Journal de Shanghai, que l’Écho de Chine a été le seul quotidien francophone dans l’histoire de la concession à ne pas « manquer de ressources financières indispensables pour leur assurer une organisation convenable ».
  3. Entretien de Guy Brossollet avec Jacques Vandelet, fils d’Achille, repris dans Guy Brossollet, Les Français de Shanghai, 1849-1949, Belin 1999, p. 218.
  4. The China Press, édition du 19 avril 1928, Achille Vandelet comparaît comme témoin dans l’affaire de la Compagnie Orientale de Capitalisation auprès de l’U. S. Court for China
  5. Hypothèse évoquée dans Fontenoy ne reviendra plus de Gérard Guégan
  6. Le China Press du 14 juillet 1935 parle de “certain dissentions in policy” à propos de L'Écho de Chine sans préciser entre qui et sur quels sujets.
  7. Le Courrier de Chine, 13 décembre 1948, p.14.
  8. Le Journal de Shanghai, 17 juillet 1929, p. 4 :  https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8664546/f14.item.zoom.
  9. Disponible en ligne à l’adresse : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54741667
  10. Bulletin Commercial d’Extrême-Orient, juillet 1927, p. 2 et 4.
  11. The Shanghai Times, édition du 12 mars 1932. Il sera remplacé par Henri Mazot de la Banque de l’Indochine.
  12. Le Journal de Shanghai, 14 février 1924, p. 4.
  13. Bulletin Commercial d’Extrême-Orient, novembre 1927, p. 6.
  14. Fontenoy ne reviendra plus, Gérard Guégan
  15. The North-China Herald, 25 mai 1929.
  16. The North-China Herald, 24 avril 1930.
  17. Il est présenté comme le correspondant de ARIP - une filiale de Havas - dans l’édition du 18 avril 1931 du Journal de Shanghai : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k865793v/f6.item.zoom
  18. Bulletin Commercial d’Extrême-Orient, octobre 1927, p. 2.
  19. Bulletin Commercial d’Extrême-Orient, octobre 1927, p. 2.
  20. Shanghai Commercial Guide, 1939. Lien : https://www.histoire-chine.fr/cadastre-des-concessions-1939/
  21. Adresse indiquée sur les numéros de l’Écho de Chine de l’année 1927 consultés à la bibliothèque de Xujiahui (Bibliotheca Zi-Ka-Wei).
  22. Warren G. Swire, Historical Photographs of China. Lien : https://pastvu.com/p/958045
  23. Société d’histoire des français de Chine, 2023
  24. Bulletin Commercial d’Extrême-Orient, juin 1928, p. 8.
  25. Dans Shanghai Secret, il écrit: « Donc, le Journal de Shanghai poursuivit son existence peu notable ».
  26. Le Journal de Shanghai, édition du 18 mai 1929 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8664067/f4.item.zoom
  27. The China Press, 14 juillet 1935.
  28. Le Journal de Shanghai du 7 février 1933 indique que la population française était de 1713 personnes, dont seulement 1241 personnes âgées de plus de 20 ans. Ces chiffres ne comportent pas les militaires et leurs familles (estimés à environ 300 personnes au total).
  29. Le Journal de Shanghai, édition du 1er août 1933, p. 6.
  30. The North-China Herald, édition du 7 août 1940, et The North Daily News, édition du 12 décembre 1940.
  31. Paul French, Through the looking glass: China’s foreign journalists from opium wars to Mao - Hong-kong University Press, 2009.
  32. Lettre du consul de Margerie à l’ambassadeur à Pékin, 16 décembre 1941, citée dans WASSERTEIN Bernard, Secret war in Shanghai, I.B. Tauris, 2017, p. 164.