La Gazette de Changhai : (19) La collection Heude
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rédigé par Charles Lagrange
Depuis le XVIIème siècle, les jésuites contribuèrent par leurs travaux au progrès des sciences, et notamment des sciences naturelles. Dès leur implantation au Kiang-nan, ils renouèrent avec cette tradition et grâce à de grands noms comme les pères Heude et Courtois, ils amassèrent au fil des années une collection de renommée mondiale sur la faune et la flore de Chine. Dans les années 1930, cette collection sera hébergée dans un superbe immeuble Art Déco que l’on peut encore admirer aujourd’hui.
Un patronage parisien pour un travail de longue haleine
C’est à l’initiative de M. Drouyn de Lhuys, Ministre des affaires étrangères et Président du jardin d’acclimatation de Paris que les jésuites sont approchés afin de contribuer à l’étude de l’histoire naturelle en Chine.
Deux jésuites, les pères Heude et Colombel sont mis à disposition de la Mission du Kiang-nan.
Au départ, la mission était simplement censée compléter les collections du jardin d’acclimatation, mais c’était compter sans l’esprit d’initiative et la compétence de Pierre Heude, un scientifique à la curiosité insatiable : depuis la toute première heure, il avait en effet décidé de créer un Musée à Zi-Ka-Wei (Xujiahui).
Né le 25 juin 1836 à Fougères, une ville d'Ille-et-Vilaine, le jeune Pierre entre au noviciat des Jésuites le 4 novembre 1856. A la fin de sa formation spirituelle et académique il est ordonné prêtre en 1867, probablement à Laval, en Mayenne, et est tout de suite pressenti pour partir en Chine.
La collection d’échantillons de faune et de flore qui portera son nom, démarre dès l’arrivée de celui-ci, le 9 janvier 1868.
Quelques collectes avaient été faites de manière isolée dans le voisinage de certaines missions, notamment des serpents, des mollusques et des poissons.
Mais le père Heude n’a de cesse de structurer et complémenter tous les échantillonnages.
Pendant les 8 mois qui suivent son arrivée ainsi que pendant les 6 premiers mois de l’année suivante, Pierre Heude sillonne le Jiangsu, l’Anhui et le Zhejiang afin de s’approvisionner en plantes et en oiseaux, et multiplier les observations géologiques.
Le 10 août 1872, le Musée est officiellement créé par décret de Mgr Languillat, supérieur de la Mission du Kiang-nan et la direction en est tout naturellement donnée au père Heude.
Nanti de cette mission officielle, celui-ci se lançe alors dans une campagne d’exploration dans le bassin du Yang-Tsé, en remontant jusqu’au Hubei et à la frontière du Shanxi.
Les greniers s’emplissent alors de spécimens de poissons, de coquillages, de tortues, ainsi que de mammifères, d’oiseaux, de serpents et de plantes.
Il n’en oublie pas Paris où il envoie de belles collections d’horticulture et de malacologie. Le 18 novembre 1874, il est d’ailleurs nommé correspondant du Muséum d’histoire naturelle.
Dès février 1879, sont envoyés de Paris les sommes nécessaires à l’aménagement des locaux dans l’enceinte de la mission de Zi-Ka-Wei, et dont les travaux sont terminés 4 ans plus tard.
Pierre Heude sort sa première publication en 1877 et après avoir publié un ouvrage sur les mollusques, il s’attaque résolument aux mammifères.
Il fait alors un long périple qui l’amène des Indes néerlandaises au Japon, en passant par l’Indochine, le Cambodge, et les Philippines. Il y laisse malheureusement ses forces et s’éteint le 3 janvier 1902 en n’ayant pas formé de successeur, et à coté de trésors que lui seul aurait pu faire valoir….
Le père Frédéric Courtois lui succède. Le père est un naturaliste, né le 25 octobre 1860 à Châtelliers-Notre Dame en Eure-et-Loir. Il est ordonné prêtre le 22 décembre 1883. Il est alors nommé professeur de Sciences au Séminaire de Chartres avant d'être nommé à l'Institut Catholique de Paris où il passe une thèse en sciences. En 1890 il prépare son noviciat chez les Jésuites à Canterbury puis revient en France, à Vannes puis Lyon et Brest, où il exerce comme professeur de philosophie. Il est envoyé en Chine en 1902.
Au début, il tâtonne un peu parmi ces collections si riches et si variées, mais il s’attèle avec acharnement à la botanique, qui était la principale étude de sa vie scientifique.
Le père Courtois ne fait pas d’exploration aussi lointaine que son prédécesseur, mais il s’aventure là où celui-ci n’avait pu aller, dans les zones plus montagneuses de la région.
Dès 1906, il part en expédition chaque année de mars à juillet, complétant ainsi la collection du musée et passant le reste de l’année à répertorier et classer les échantillons ainsi qu’à préparer les publications.
Le 21 septembre 1929, le père Courtois contracte un mal incurable et s’éteint en laissant à la Mission une collection de réputation internationale.
En 1931, il sera décidé de construire un bâtiment dans l’enceinte de l’Université Aurore, et ce uniquement pour héberger les collections.
En 1933, il sera baptisé « Musée Heude ». Au rez-de-chaussée se trouvera une exposition permanente exhibant insectes, reptiles, oiseaux, plantes ligneuses et herbacées, roches et minéraux.
Aux étages, se trouvera la collection des poissons, des reptiles et des mammifères, ainsi que la bibliothèque scientifique.
Le 1er juin 1935 sera ouverte une section « curios » rassemblant les antiquités chinoises initiée par le père Beck et récoltées par la Mission au fil des années, dons des missions religieuses essaimées dans le pays.
Le bâtiment abritant le Musée Heude existe toujours aujourd’hui (au 227 Chongqing lu).
Il a été conçu par le cabinet d’architectes Léonard et Veysseyre et reste un très beau témoignage Art Déco de Changhai.
Les collections
Les Mammifères
La collection comprend des peaux, des crânes et parfois même des squelettes entiers de tous les mammifères d’Extrême-Orient, de Sumatra au Japon, de la Nouvelle-Guinée jusqu’au lac Baïkal. Des rhinocéros, des éléphants, des baleines, en passant par des cervidés, des sangliers, des buffles, des carnivores, et des chiroptères (chauves-souris). Parmi tout cela, des spécimens rarissimes comme le cerf de Shomburck (Laos) ou le Bubalus de Mindanao…
Les Oiseaux
Une collection complète de l’avifaune du Kiang-nan, assortie de spécimens d’autres régions de Chine grâce à la contribution des missions de l’intérieur.
Les Reptiles
350 spécimens de 30 espèces différentes avec quelques raretés ne se trouvant qu’à quelques endroits dans le monde.
Les Mollusques
Une collection unique de mollusques de la vallée du Yang-Tsé, du Yunnan à Shanghai.
Les Insectes
Hyménoptères, Névroptères, Lépidoptères,…. un inventaire à la Prévert d’insectes de Chine et d’Extrême-Orient, dont l’intérêt était manifeste pour l’agriculture locale.
La Botanique
Des dizaines de milliers d’herbiers, représentant des milliers d’espèces : c’était certainement le fleuron de la collection.
En plus, le musée Heude renfermait de belles collections de poissons et de batraciens.
Le Musée des antiquités chinoises
En 1929 sera ajouté au musée un département antiquités chinoises, collection nourrie par des années de récolte d’objets anciens découverts par les missionnaires de Zi-Ka-Wei ou envoyés par les missions de l’intérieur.
La collection comprendra plus de 3500 pièces dont l’origine s’étalait de la période Chang (1766-1401 avant J.C) jusqu’au XXème.
Elle comprenait :
- des bronzes (brûle-parfums, cloches, tambours, statuaires, réchauds, chandeliers, gongs,…)
- des jades et de pierres dures (vases, sceaux, pierres sonores, palettes à encre,…)
- des armes (sabres, épées, dagues, poignards de la dynastie Song jusqu’à la Qing)
- des tabatières, globules et colliers
- des poteries
- des terres cuites
- des monnaies et médailles
Les collections Heude ont été disséminées parmi les différentes universités et la collection des antiquités a été intégrée dans celle du Musée de Changhai et les plus belles pièces peuvent y être admirées aujourd’hui.