Yunnan : La tombe du père Genestier à Zhongding
Rédigé par David Maurizot
Le père Annet Genestier est une figure marquante de la Mission du Thibet, relevant des Missions Étrangères de Paris (MEP). Né en avril 1858 à Chambon-sur-Dolore, dans le Puy-de-Dôme, « il fait ses études dans son diocèse et est tonsuré au Grand séminaire de Clermont le 19 mai 1883. Il entre au Séminaire des Missions Étrangères le 11 septembre suivant et est ordonné prêtre le 5 juillet 1885. Il part le 7 octobre de la même année pour la mission du Thibet. »[1] Âgé de 27 ans, il allait consacrer les 50 prochaines années à cet apostolat.
1885-1899 : Vallée du Mékong
Établie en 1846, la Mission a échoué à s’établir à l’intérieur même du Tibet en raison d’un clergé bouddhiste particulièrement hostile. Après 1865, elle s’installe donc à la périphérie du toit du monde, dans le territoire des marches tibétaines[2]. C’est dans la corne Nord-Ouest du Yunnan, sur les rives du Mékong, que le père Genestier passe ses 14 premières années : à Tsekou[3], Antentsé[4] puis Yerkalo[5]. Ces territoires, situés sur une frontière mouvante et non déclarée, sont le théâtre de la rivalité sino-tibétaine : ils sont particulièrement périlleux et de nombreux missionnaires vont y périr.
1899-1937 : Vallée de la Salouen, le patriarche du Loutzekiang

Légèrement plus à l’Ouest du Mékong coule la Salouen, un autre grand fleuve d’Asie. Cette vallée est une des portes d’entrée naturelle du Tibet interdit. Ici, « nous sommes en pays Loutsé. Ce n'est plus la Chine, ni le Tibet, ni déjà la Birmanie. »[7] En 1899, le père Genestier y est envoyé pour établir une présence stable et préparer la lente conquête du Tibet. Au lieu-dit de Bahang[8], il fonde un premier poste dédié à Saint-Joseph[9].
Dès l’année suivante, en 1900, il est attaqué par une troupe de guerriers tibétains et ne doit sa survie qu’à l’intervention des Loutsé, qui le protègent[10]. En 1905 la Mission est prise dans une violente révolte tibétaine anti-chinoise et tous les postes missionnaires sont méthodiquement détruits par des armées de lamas et leurs cerfs. Dans la vallée de la Salouen, le père Genestier, dans un acte de légitime défense, « dut tuer un moine au fusil pour échapper lui-même à la mort »[11]. Ce n’est que des mois plus tard, après la fin des hostilités, qu’il réussit à revenir et à reconstruire son poste – dont la magnifique église en bois, qui se dresse encore fièrement aujourd’hui, perchée sur un mamelon dominant la vallée.
À partir de 1910 et surtout 1921 avec l'arrivée du père André qui prend sa succession à Bahang, il poursuit son œuvre en établissant d’autres postes plus en amont de la vallée et devient une personnalité respectée de tous. On le surnomme le patriarche du Loutzekiang. Sans répit, il bâtit à Kiongra, Kionatong[12], et surtout à Tchrongteu[13], où il s’acharne à ériger une immense église à double clocher. C’est là-bas que le père Genestier, « le missionnaire le plus perdu du monde[14] » élève « un monument qui, même en pays chrétien, aurait le droit de ne pas faire trop modeste figure. Au pied d'une haute montagne rocheuse, ses deux tours massives élèvent au-dessus des maisons voisines le signe de la croix rédemptrice, appelant les âmes païennes à la lumière et au salut. À l'intérieur, trois nefs qui rappellent le style roman primitif, mais abondamment illustré de peintures chinoises, et qui, au lieu de voûtes, étendent, haut au-dessus des têtes, de riches plafonds à caissons enluminés. »[[15] Dédicacée le 8 octobre 1933, l’église est le témoin de la disparition du père Genestier à peine trois ans plus tard, le 9 janvier 1937. Il avait 78 ans.
Inhumation et dernière demeure
« Le dimanche 10 janvier, c’est un défilé ininterrompu, une affluence extraordinaire qui ne fait que croître du matin jusqu’au soir. Païens et chrétiens, sans distinction de rang ni de religion, viennent porter au cher disparu leurs regrets, leur sympathie ou leurs prières. Dans la soirée arrivent les chrétiens de Bahang. […] Les obsèques ont lieu le lundi matin 11 janvier. La foule compacte des chrétiens remplit la grande église, cette église splendide qui dresse dans le ciel bleu de cette pure journée de janvier ses deux tours imposantes qui viennent de s’achever, il y a à peine trois ans, sous les directives et les soins minutieux de l’infatigable pionnier du Loutzekiang qui fondait encore un dernier poste plein d’avenir. Les chants montent sous les voûtes neuves, chants lugubres et émouvants où passent toute l’âme des fidèles, leurs regrets, leur admiration et leur amour. […] Nous chantons l’absoute, et le cortège funèbre se dirige ensuite vers l’emplacement du jardin choisi pour la dernière demeure de notre grand missionnaire. Tout est simple, très simple, comme il l’a exigé dans ses dernières volontés. »[21]
Le 15 août 1950, un tremblement de terre ruina l’église, et dans les années 1960, la Révolution culturelle acheva d’anéantir ses derniers vestiges. Reconstruite en 1996 – toujours avec deux clochers – la tombe d’Annet Genestier y est toujours visible.


Sources iconographiques
Bibliographie
DESHAYES (Laurent), Tibet, 1846-1952 : les missionnaires de l'impossible, Paris, Les Indes savantes, 2008.
Notes et références
- ↑ Institut de Recherche France-Asie, https://irfa.paris/missionnaire/1653-genestier-annet/ (consulté le 16 mars 2025).
- ↑ Catalogue de l'exposition « Missions du toit du monde » (2012), MEP, Paris, réd. Françoise Fauconnet-Buzelin, p. 10.
- ↑ Aujourd’hui : Cígū, 茨古
- ↑ Aujourd’hui : Dèqīn, 德钦
- ↑ Aujourd’hui : Yánjīng, 盐井
- ↑ © Maison hospitalière du Grand-Saint-Bernard, Médiathèque Valais - Martigny.
- ↑ Jacques Bacot, Dans les Marches tibétaines autour du Dokerla, Novembre 1906-Janvier 1908, Plon, 1909, p. 148.
- ↑ Aujourd’hui : Báihànluò, 白汉洛
- ↑ Les Missions catholiques, Bulletin, n°1657, 7 avril 1899, p. 157.
- ↑ Laurent Deshayes, Tibet (1846-1952) : Les missionnaires de l'impossible, Les Indes Savantes, 2008, p. 130.
- ↑ Laurent Deshayes, Tibet (1846-1952) : Les missionnaires de l'impossible, Les Indes Savantes, 2008, p. 146.
- ↑ Aujourd’hui : Qiūnàtǒng, 秋那桶
- ↑ Aujourd’hui : Zhòngdīng, 重丁
- ↑ Bacot, J., Le Tibet révolté, Paris, Peuples du Monde-Raymond Chabaud, rééd. 1988, p. 261.
- ↑ Annales de la Société des missions étrangères de Paris, 1934, p. 59.
- ↑ © Institut de recherche France-Asie.
- ↑ © Institut de recherche France-Asie.
- ↑ © Maison hospitalière du Grand-Saint-Bernard, Médiathèque Valais - Martigny.
- ↑ © Maison hospitalière du Grand-Saint-Bernard, Médiathèque Valais - Martigny.
- ↑ © Maison hospitalière du Grand-Saint-Bernard, Médiathèque Valais - Martigny.
- ↑ E. Burdin, Bulletin des Missions étrangères de Paris, 1937, p. 328-329.
- ↑ © Guillaume Delvallée.
- ↑ © Guillaume Delvallée.