L’Université l’Aurore
rédigé par Ghislain de La Hitte
« Ici, on travaille ! » Telle est la devise officieuse de l’université, rapportée par le Père Haouisée en 1934. L’Aurore avait alors déjà près de 30 ans, et s’était imposée comme l’un des fleurons de l’enseignement supérieur à Shanghai.
Alors qu’à Zi-ka-wei, le collège Saint-Ignace ne dispensait qu’un enseignement secondaire en chinois, en 1898, lors du mouvement « réformiste », un projet plus ambitieux de « collège des traducteurs » est envisagé, avec enseignement en français ; il faut dire que la concurrence anglo-saxonne est déjà en place à Shanghai. Ma Xiangbo, lettré chrétien et ancien élève de Saint-Ignace devait en prendre la direction, mais le projet avorte suite au retour de l’Impératrice Cixi. Cependant en 1902, tandis que les élèves du Nan-yang College sont en grève, trois professeurs de cet établissement accompagnés de quelques élèves viennent proposer à Ma d’ouvrir un établissement associant les Jésuites et ouvert sur la culture occidentale. Les cours commencèrent le 1er mars 1903, dans les bâtiments de l’ancien observatoire météorologique de Zi-ka-wei ; les étudiants, qui n’étaient alors qu’une vingtaine, baptisèrent eux-mêmes l’établissement Chen-tan (L’Aurore).
Dès 1905, suite aux orientations données par le Père Perrin, préfet des études, Ma et certains élèves protestant contre l’ingérence abusive de la Mission quittent l’école pour fonder la jeune université Fou-tan (Fudan, Nouvelle Aurore). Nullement découragés, les Pères renouvellent l’équipe dirigeante et les cours reprennent en avril 1905.
De 94 en 1905, le nombre des élèves passe à 172 en 1907, et ce malgré une sélection implacable au cours de laquelle seule une minorité de prétendants sont reçus. Avec la croissance du nombre d’élèves, il fut décidé que l’Aurore s’installerait dans de nouveaux bâtiments, plus spacieux et moins éloignés de la ville. C’est en 1908 que pour la première fois, la rentrée eut lieu avenue Dubail à Lou-ka-wé, à l’extrémité sud-ouest de la Concession française et à mi-chemin entre Shanghai et Zi-ka-wei. Bordée à l’ouest par le vaste parc de l’Hopital Sainte-Marie, à l’est par deux beaux terrains de jeux et d’athlétisme, à trois minutes du jardin public de Kou-ka-za, L’Aurore, en pleine ville, jouit encore des charmes de la campagne.
L’Université maintient la distinction entre le cours préparatoire et le cours supérieur, chacun étant alors d’une durée de trois ans. Le cours supérieur se divise en deux sections : Sciences et Lettres. Dès 1909 furent introduits les cours de médecine, facilités par la proximité de l’Hôpital Sainte-Marie, et cinq ans plus tard le cours supérieur se divisera en trois branches : Lettres-Droit (le second prenant en réalité le dessus sur le premier), Médecine, et Sciences. A noter que les cours de littérature chinoise et de littérature française sont obligatoires pour tous les élèves, qu’ils soient ingénieurs, avocats ou médecins.
Le but spécial de l’Université est d’offrir à l’étudiant Chinois dans son propre pays, tous les avantages qu’il va parfois chercher à l’étranger au prix de grands sacrifices sans pour cela avoir à négliger la culture nationale qui à L’Aurore reste au premier plan.
« La réputation de L’Aurore se répand brillamment à l’œil et à l’oreille du monde » écrivit Son Excellence Tcheng Té-tsiuen, Gouverneur de la province de Kiang-sou, qui envoya son propre fils y suivre les cours. En 1912, l’université reçut sa première reconnaissance officielle de la part du jeune Gouvernement républicain chinois, reconnaissance très importante pour la validation des diplômes.
En 1930, le Musée d’histoire naturelle, ou Musée Heude, fut érigé pour abriter les collections uniques patiemment récoltées depuis soixante ans par le Père Heude et ses successeurs. Et en 1933, fut ouverte la Faculté dentaire et le Dr. Le Goaer, de l’Ecole de stomatologie de Paris, commençait son enseignement.
Il fallait faire de nouveau reconnaître l’Université par le Gouvernement National installé à Nankin depuis 1927 : ce fut fait par un décret officiel d’enregistrement paru en 1932, suite à la visite de quatre délégués du Ministère de l’Education, qui restèrent pendant deux jours.
L’Aurore a toujours trouvé près des deux gouvernements français et chinois, le plus précieux appui. A ce titre, les subventions accordées par l’Etat français permettent de maintenir des frais d’inscription et d’études relativement faibles.
En 1932, le terrain de l’université est d’une superficie d’environ 7 hectares. Ses bâtiments peuvent être énumérés ainsi : le pavillon de l’administration et de la Résidence des Pères, le bâtiment de la physique, le bâtiment de l’électronique et la mécanique, celui de la chimie, le bâtiment des amphithéâtres de Droit et de Médecine, un pavillon de l’anatomie, un musée de zoologie, botanique, entomologie et d’antiquités chinoises (Musée Heude), une Salle des fêtes pouvant contenir 1300 personnes, une grande chapelle, une maison d’habitation pour les étudiants catholiques, une autre pour les non-catholiques (L’Aurore peut alors recevoir 500 pensionnaires), deux bâtiments de cours préparatoires, un établissement de douches de 24 cabines, deux restaurants. Les bibliothèques sont réparties dans les différentes Facultés et comptent environ 70000 livres chinois et étrangers. Le musée Heude possède aussi ses propres bibliothèques.
De plus, les étudiants peuvent profiter de la magnifique bibliothèque chinoise de Zi-ka-wei. L’Aurore reçoit 300 revues chinoises et étrangères.
Les publications sont au nombre de six : le Bulletin Général de l’université, le Bulletin Médical, en chinois et en français, une Revue Scientifique en chinois, des Notes d’entomologie chinoises publiées par le Musée Heude. L’Aurore collabore aussi avec l’Institut des Hautes Etudes de Tientsin à la Collection du Droit Chinois Moderne, tandis que les meilleures thèses des étudiants forment la collection des Thèses de l’Université l’Aurore.
Curieusement, si le diplôme du cours préparatoire est accepté en France comme équivalent au Baccalauréat, les autorités universitaires françaises refusent d’accorder l’équivalence des autres diplômes. Heureusement, il n’en va pas de même pour les Grandes Ecoles avec lesquelles les équivalences du second degré sont nombreuses.
Parmi les conditions d’admission, l’étudiant doit avoir à Shanghai ses parents ou un répondant qualifié, présenter les diplômes exigés et avoir une bonne connaissance du français. En effet, les cours sont animés en français, à l’exception de certains cours de droit chinois ou de littérature chinoise. Ceux qui n’auraient pas une connaissance suffisante du français peuvent entrer au Cours spécial et se préparer en un an.
Les étudiants ? « D’une distinction parfaite et d’une politesse exquise ». Il ne sont pourtant pas moins préoccupés de politique que les autres, et la police dut intervenir plusieurs fois au sein de l’université lors des moments de tension qui ne manquèrent pas à Shanghai, que ce soit avec la question communiste ou les agressions japonaises. Le corps enseignant – à plein temps ou vacataires – est particulièrement fourni, et l’on compte environ un professeur pour cinq étudiants. Environ les deux tiers sont Chinois, et les autres Européens – jésuites ou non.
La discipline est ferme mais enseignants et élèves vivent au quotidien dans une certaine familiarité. On considère comme faute grave un manque de travail prolongé, un manque de respect envers les professeurs, tout essai d’agitation dans l’Ecole, toute parole ou conduite qui peut faire tort à la réputation de l’Université. A partir de 20h30, chaque étudiant doit être dans sa chambre et le silence gardé avec soin. Extinction des feux à 22h00. La plus grande liberté est laissée à chacun pour pratiquer sa religion, et il n’y a pas de prosélytisme. Les chrétiens ne représentent d’ailleurs qu’environ un quart des étudiants.
Le sport est favorisé, et l’Université se trouve particulièrement bien pourvue avec par exemple cinq courts de tennis, deux courts de basket-ball, une piste cendrée pour la course, ou encore un des plus beaux terrains de football de la ville, volontiers emprunté par la Ligue Anglaise, ce qui n’est pas peu dire.
La qualité de l’enseignement conjuguée à la puissance de travail des étudiants chinois fera que la plupart auront une carrière brillante et se feront un nom, que ce soit dans la politique, la médecine ou le droit. En 1936 est inauguré un nouveau bâtiment, et d’autres projets seront interrompus par la seconde guerre mondiale. Les jeunes filles sont admises à partir de 1938, mais ne sont au départ qu’une dizaine. En 1948, juste avant l’arrivée de Mao, l’université venait d’atteindre son maximum historique avec 1078 étudiants.
Bibliographie
- Université L’Aurore, Shanghai, imprimerie T’ou-Sè-Wei 1934.
- Brossollet (Guy), Les Français de Shanghai, P., Belin 1999.