Paul Mailly, professeur de l'Université l'Aurore
Rédigé par Arthur Groleau, arrière-arrière-petit-fils de Paul Mailly, et Philippe Fourneraut (ECP 88)[1]
Né à Drancy et diplômé à la fois de l’École centrale et de Supélec, Paul Mailly a fait carrière dans les explosifs en Italie avant de devenir professeur à l’université L’Aurore et un notable de la Concession française de Shanghai. Parcours d’un ingénieur intègre et passionné qui fut séduit par la Chine du début du XXe siècle.

Paul Mailly est né le 12 août 1872 à Drancy, près de Paris. Il est lʼaîné dʼune fratrie de trois enfants et le fils dʼun industriel ayant connu de nombreuses infortunes, lʼamenant donc à voir le jour dans une famille auparavant riche, mais désormais appauvrie. De plus, le jeune Paul Mailly se trouve vite orphelin, ce qui le conduit à assumer la garde et la charge de ses deux sœurs cadettes, une responsabilité quʼil assumera pleinement.
Toutefois, cela ne lʼempêchera pas de poursuivre de grandes études. Ce scientifique dans lʼâme est diplômé de lʼÉcole centrale des arts et manufactures[2] ainsi que de lʼÉcole supérieure dʼélectricité, alors tout juste créée (il en est diplômé en 1896 alors que lʼécole est fondée en 1894, on peut supposer quʼil était donc de la première promotion).
Ayant terminé ses études, Paul Mailly commence sa carrière dʼingénieur au Havre dans lʼusine de la Compagnie électromagnétique. Après un court passage à Nancy, à la Compagnie générale électrique, il sʼinstalle à 31 ans à Villafranca, en Italie. Il y prend la direction dʼune usine dʼexplosifs et de produits chimiques.
Cʼest un homme généreux, qui prête de lʼargent à plusieurs reprises à certains de ses proches.
Il fut rapporté par sa petite fille que Mailly supervisa lʼinstallation de lʼélectricité dans le gouffre de Padirac afin de faciliter sa visite.
En 1911, Paul Mailly épouse Yva Blondel de la Rougerie, une orpheline ayant perdu lʼintégralité de sa famille dans lʼéruption en 1902, de la montagne Pelée en Martinique). Le couple réside encore à Villafranca, lorsque en 1913, leur premier enfant, également prénommé Paul, voit le jour.
L'ombre de la guerre
Toutefois, lʼombre de la guerre plane sur le continent européen, et en 1914, à lʼannonce de la mobilisation générale, Paul Mailly est recruté comme lieutenant dʼartillerie de réserve. Néanmoins, grâce à sa précieuse expérience à la tête dʼune usine dʼexplosifs, il est rapidement évident que ses compétences en poudrerie pourraient être mises à profit. Il est ainsi promu capitaine et détaché comme ingénieur de fabrication. Il mettra ses connaissances au service de lʼusine du Bouchet à Sevran-Livry, puis pour lʼinstallation de la production de poudre près de Toulouse. Enfin, il exercera les fonctions de directeur général par intérim dʼune autre usine de poudre à Saint-Fons, près de Lyon. Durant la guerre naissent deux autres fils, Roger et Jean, nés respectivement le 24 février 1915 et le 15 mars 1918.
Lʼengagement de ses capacités au service de son pays vaudra à Paul Mailly dʼêtre décoré de la croix de chevalier de la Légion dʼhonneur.
Après la guerre, Paul Mailly ne retournera pas en Italie pour reprendre la direction de lʼusine dʼexplosifs de Villafranca.
Cʼest dans cette période dʼaprès-guerre quʼil est approché par un père jésuite qui lui proposera dʼenseigner en Chine, à lʼUniversité lʼAurore, à Shanghai. On lui offre alors de dispenser des cours de technique dans un de ses domaine dʼexpertise, le génie civil.
Shanghai est alors le centre industriel et commercial de la Chine[3]. Grace à sa base industrielle, elle a profité du conflit mondial, substituant les productions locales aux produits importés.
La ville comprend au nord une concession internationale gouvernée par un conseil municipal élu parmi les notables étrangers, née de la fusion des concessions anglaise et américaine, qui est bordée par des faubourgs ouvriers et portuaires. Au Sud est lʼancienne cité qui vient de perdre ses murailles transformées en boulevard de la République. Et entre les deux, la Concession française, sous lʼautorité du Consul de France, elle est administrée par un conseil municipal élu parmi les résidents étrangers soumis à lʼimpôt foncier.
La Concession vient de doubler sa surface en 1914 en sʼétendant vers lʼOuest jusquʼaux abords de Zikawei, le quartier où les Jésuites ont fondé église, couvents, orphelinats et écoles ainsi quʼun observatoire astronomique. Ces mêmes Jésuites avaient fondé en 1903, lʼUniversité lʼAurore en limite de la Concession française, sur ce qui sʼappelle en 1919 lʼavenue Dubail (rue de Chongqing, sud).
La vie à Shanghai

Cʼest ainsi que Paul Mailly quitte la France pour la Chine depuis le port de Marseille, en août 1919.
À lʼévocation de la ville de Shanghai, il est important dʼapporter des précisions quant au statut particulier de la ville à lʼépoque[4].

À Shanghai, le professeur Mailly vivait dans une maison se trouvant dans la rue Chongqing, cette architecture typique est désormais classée comme patrimoine historique par la municipalité. Ces maisons bourgeoises au style français, modernes pour lʼépoque, sont aujourdʼhui occupées par des ménages modestes se partageant chacun une chambre de la maison originale.
En parallèle de ses cours à lʼUniversité lʼAurore, Paul Mailly sʼintéresse aux affaires. Ainsi, il prend rapidement la direction technique de la société Longovika, une société ayant pour but dʼimporter du matériel industriel français en Chine. Lorsque Longovika cesse ses activités, Paul Mailly crée sa propre société dʼimport, “Lonkomayˮ. Toutefois, il fait face à une concurrence vive à lʼinternational, et le désintéressement de la France pour le marché chinois rend lʼactivité difficile.
Paul Mailly fut élu au conseil municipal de la Concession française à deux reprises, en 1921 et 1922. Sa bibliothèque fut lʼune des plus riches de Shanghai, on y trouvait notamment toutes sortes dʼouvrages techniques.

Paul Mailly se trouva séduit par cette Chine immense quʼil entreprit de découvrir à travers de nombreux voyages dans différentes villes. Il compta parmi ses proches amis de nombreux Chinois : anciens élèves, collègues professeurs ou autres.

De plus, il “adoptaˮ une petite fille chinoise, baptisée sous le nom de Thérèse, nommée Liu Danlan (刘丹蓝) en chinois. Les deux étants voisins, Thérèse grandit aux côtés de Paul Mailly. Si le terme utilisé par son fils est “adoptionˮ, on pourrait toutefois, avec notre regard moderne, y voir une sorte de parrainage. Paul Mailly eut vraisemblablement un impact sur lʼéducation de Thérèse Liu, puisquʼelle parlait un français impeccable et devint une professeure de français reconnue à Shanghai. Thérèse se maria avec un médecin chinois, également diplômé de lʼUniversité lʼAurore.
Cʼest en 1931 que Paul Mailly revint pour la dernière fois en France. Lors de ses retours dans sa patrie natale, il ne pouvait sʼaccorder de repos, car il traversait le pays pour relancer ses fournisseurs souvent négligents.
Au cours des années 1930, la politique de lʼUniversité lʼAurore change, et Paul Mailly en subit les conséquences. En effet, la tendance est au remplacement des professeurs français par leurs homologues chinois. Cʼest ainsi que Paul Mailly voit ses heures de cours drastiquement diminuer au point quʼil donnera des cours à lʼInstitut technique franco-chinois, école moins réputée, afin de compenser ce manque à gagner. En parallèle de ses nombreuses activités, il accomplit des missions dʼexpertise technique, dont on peut retrouver des teaces dans les compte-rendus du Conseil Municipal français de Shanghai.
Cʼest en 1936, lʼannée de lʼagrandissement de lʼUniversité lʼAurore, que Paul Mailly décède à lʼhôpital Sainte-Marie dépendant de sa faculté de médecine et désormais rattaché à lʼUniversité de Jiaotong, une des plus prestigieuse université de Chine, sous le nom hôpital Ruijin, à Shanghai. Sa fille adoptive Thérèse était présente lors de sa mort, et sa succession fut organisée par son fils aîné, Paul Mailly (fils). Le professeur Mailly fut inhumé au cimetière de Lokawei, le cimetière “françaisˮ de la concession de Shanghai. Il laissa à ses proches lʼimage dʼun homme intègre et profondément chrétien, ainsi que celle dʼun fervent scientifique, mais qui malheureusement nʼétait pas aussi brillant dans le domaine du commerce. Il fut lʼun des centraliens qui, par sa présence en Chine et son rôle dʼenseignant à lʼUniversité lʼAurore, contribua au rayonnement de Centrale à travers le monde.
Retrouvailles récentes
Très récemment, les familles de Paul Mailly et de Thérèse Liu ont pu prendre contact et se rencontrer grâce à un concours de circonstances exceptionnel.
En effet, grâce à M. Fourneraut et la professeur Ren Yi de lʼunversité de Jiaotong, des membres des deux familles ont pu se rencontrer sur les lieux où Paul Mailly enseignait à lʼUniversité lʼAurore, cela a donné lieu à des retrouvailles inattendues mais sincères et touchante. De plus lʼexpertise et les connaissances de la professeur Ren Yi et de Monsieur Fourneraut ont contribué grandement à lʼécriture de cet article. Merci à eux pour ce qui au-delà de la rédaction dʼun article, a permis la rencontre et le partage dʼune histoire commune entre deux familles.
Notes et références
- ↑ paru dans la revue « CentraleSupélec Alumni » no 27 de mars 2025
- ↑ Connue sous le nom de Centrale Paris, l'établissement était alors sis rue de Montgolfier dans le 3e arrondissement.
- ↑ Voir l'article de Philippe Fourneraut
- ↑ En 1919, Shanghai était une ville sous contrôle partiel de puissances étrangères, avec des concessions internationales et françaises où s'appliquaient des lois extra-territoriales, au sein d'une Chine politiquement divisée et instable.